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Vernon (27200), l'Ardèche et la guerre de 1870

 

La guerre de 1870… De l'histoire ancienne que tous - ou presque - ont oubliée. Une guerre brève (six mois), et relativement peu de victimes (du moins par comparaison avec les deux guerres suivantes !). Mais cet épisode de notre histoire, dont la mémoire s'estompe dans la nuit des temps, n'est pas oublié à Vernon. Demandez aux Vernonnais ce qu'est le "Monument aux Mobiles de l'Ardèche" et ce qu'il représente, ou pourquoi il y a une Avenue de l'Ardèche. Vous serez surpris de constater que la mémoire d'un épisode cette guerre, qui a eu lieu il y plus de 130 ans, n'a pas totalement disparu.

 


L'Avenue de l'Ardèche vers 1920

Au fond de l'avenue, on distingue le monument aux mobiles de l'Ardèche. Les barrières que l'on voit sont celles de la voie ferrée Vernon - Pacy (ici au départ de Vernon), le long de laquelle ont eu lieu les combats dont il est question plus loin.

Carte postale ancienne

Rappelons rapidement quelques faits : la guerre trouve son origine dans l'inquiétude provoquée en France par la puissance grandissante de la Prusse, et dans la volonté de Bismarck d'unifier l'Allemagne sous l'hégémonie de la Prusse.
La France déclare les hostilités le 19 juillet 1870, mais dès le 4 août, l'armée française bat en retraite. Puis vient la reddition de Sedan au début de septembre, prélude à l'invasion de la France : Paris est investi le 19 septembre, le 27 octobre Bazaine capitule à Metz libérant les armées allemandes qui intensifient ainsi leur pression sur tous les fronts si bien qu'en novembre ils sont en Normandie. (Rouen tombe le 4 décembre).

Terminons-en rapidement avec la suite de la guerre avant de revenir à notre région :
En décembre, la Loire est franchie et le Général Chanzy se replie derrière la Mayenne. En janvier, au nord le Général Faidherbe après les batailles de Bapaume et Saint-Quentin bat en retraite dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais.
A l'est, l'armée de Bourbaki est mise en déroute à la fin janvier 1871.
Paris, affamé, épuisé, bombardé, s'est déjà rendu le 28 janvier 1871.

Dans son livre, Pierre Noziere, Anatole France décrit longuement Vernon et il y écrit en particulier :
"Près du parc, à l'extrémité d'une avenue plantée, que bordent d'un côté les dernières maisons de la ville et qui longe de l'autre des vignes et des pommiers, s'élève une pyramide de granit, sorte de menhir géométrique, d'un aspect à la fois héroïque et funèbre. C'est, en effet, un tombeau glorieux. Sur ce monument sont gravées les armes de Vernon et de Privas avec cette inscription : AUX GARDES MOBILES DE L'ARDÈCHE - Vernon, 22-26 novembre 1870"

S'il n'y a plus ni vignes ni pommiers à cet endroit, le monument se dresse toujours et il nous évoque un des combats de cette guerre - qui a tourné à l'avantage des français (ce qui a été plutôt rare !) - même s'il n'était pas de nature à changer le cours des tragiques événements.

Les Prussiens avaient fait leur première apparition en bordure de la Normandie dès le début octobre mais sans envisager d'occuper la région, se contentant de protéger leurs troupes qui assiégeaient Paris et d'organiser des opérations de ravitaillement dans le Vexin.
De leur côté, des troupes françaises bivouaquaient autour de Vernon, et ce dès la fin septembre. Un Mobile de l'Eure note le 1 octobre : " Nous quittons la caserne de Vernon à 7 heures du matin pour aller camper dans la forêt de Bizy, du côté du village de Blaru, à 5 kilomètres de Vernon. "

"Un Mobile de l'Eure" disons-nous. Qu'est-ce que cette unité ?


La "garde nationale mobile" avait été créée par une loi de février 1868. A cette époque, le service militaire n'était pas généralisé et on tirait au sort pour savoir qui ferait son service et qui ne le ferait pas. Cette loi de février 1868, permettait de créer une réserve en incorporant d'office dans une "garde nationale mobile" certains des jeunes gens qui, n'ayant pas été tirés au sort, ne faisaient pas de service militaire : en leur donnant un minimum d'instruction (ce qui a été rarement le cas), ils devaient former une armée de supplétifs de 400.000 hommes, organisés dans le cadre de chaque Département et chargés de défendre les places-fortes, les côtes et les frontières.


Ces Mobiles qui allaient assurer la défense de la Normandie (dans le cas qui nous concerne) venaient avant tout de la région elle même, mais aussi de départements plus lointains, de Charente-Maritime, du Puy-de-Dôme, des Landes, des Pyrénées Atlantiques, ainsi que de l'Ardèche, et ce sont ces derniers qui vont nous intéresser. On peut se demander pourquoi des Pyrénéens ou des Ardéchois combattaient en Normandie alors que ces troupes étaient censées être affectées à la défense de leur région. Monsieur Baboux (voir note 2) explique : "S'il est logique que les garçons du Vexin défendent leur département, pourquoi diable Louis Fortineau, avec les 2.000 hommes du 6ème bataillon de Loire-Inférieure [1], est-il venu en Normandie, pour quelles raisons les Ardéchois ont-ils été envoyés chez nous ? Je n'en sais rien, sans doute dans ces départements, le zèle de certains responsables avait-il hâté la constitution du corps : puisque des combattants étaient prêts, on les a envoyés là où le besoin se faisait sentir". [2]

Suivons Anatole France dans son récit des combats autour de Vernon.
"L'invasion s'étendait. Évreux venait de tomber au pouvoir des Allemands. Quatre compagnies du 2ème bataillon de l'Ardèche et le 3ème bataillon, formant ensemble un effectif de quinze cent hommes, partirent de Saint-Pierre-de-Louviers le 21 novembre, à onze heures du soir, avec ordre de couvrir Vernon qui devait être attaqué le lendemain. Le train qui les portait marchait à petite vitesse, tous ses feux de signaux éteints. Il s'arrêta vers trois heures du matin, par une nuit noire et pluvieuse, à une lieue en avant de la ville. Aussitôt les troupes descendirent et se portèrent sur les hauteurs de la forêt de Bizy, qui couvrent Vernon du côté de Pacy, où l'ennemi était arrivé en force depuis la veille".

On assiste donc aux premiers combats pour contenir la première armée prussienne qui cherche à contourner Paris en traversant le Seine à mi chemin entre Paris et Rouen, c'est à dire à Vernon. Au total, les Mobiles de l'Ardèche étaient 3.700 répartis entre ces deux villes. Le face à face devait durer d'octobre 1870 à la fin mars 1871.

"Ayant pris des renseignements, ils [les Prussiens] surent bientôt, par des espions, que les Français occupaient la forêt. Alors, comprenant ce que leur position avait de critique, ils ne songèrent plus qu'à assurer leur retraite. Leur cavalerie se porta immédiatement en avant pour explorer les passages et reconnaître ceux qui pourraient être libres. A force de recherches, elle parvint à découvrir de petits chemins de service qui n'étaient pas gardés. Ils se hâtèrent de faire filer leur artillerie par ces chemins, pendant que l'infanterie, se portant sur la grande route, tentait d'enlever le passage de vive force. Après une heure d'une fusillade très nourrie, ils se débandèrent et, se jetant dans tous les sens à travers bois, ils poussèrent dans la direction de Pacy. Ils perdirent, tant dans le combat que dans leur retraite désordonnée, cent cinquante soldats et plusieurs officiers, et ils abandonnèrent douze fourgons chargés de vivres et de munitions".

L'ennemi, qui s'était retiré, ne bougea plus pendant trois jours, ce qui donna le temps aux derniers Mobiles de l'Ardèche de rallier Vernon.
"Dans la matinée du 26, la 6e compagnie du 3e bataillon, de grand-garde à deux cents mètres en avant de la forêt, sur la route d'Ivry, au hameau de Cantemarche [3], fut subitement assaillie par une colonne de huit cents hommes. Malgré la soudaineté de l'attaque et le nombre des ennemis, les mobiles firent bonne contenance. Mais, s'apercevant que la position allait être tournée, ils battirent en retraite jusqu'à la lisière du bois. Là, s'abritant derrière les terrassements de la voie ferrée [4], ils tiraillèrent jusqu'à l'épuisement complet de leurs munitions. Alors le capitaine Rouveure s'écrie: "A la baïonnette, mes enfants! "Et il s'élance en avant. Aussitôt il tombe mortellement frappé".

N'oublions pas le lieutenant Leydier et huit autres Ardéchois tués au combat pour la défense de notre ville. Leur nom figure sur le monument dont parle Anatole France.
 

Les Mobiles de l'Ardèche tombés dans les combats pour la défense de Vernon

"La petite troupe se jette sur l'ennemi, qui recule. A ce moment, deux bataillons de renfort arrivent et, masqués par les bois, font sur les Allemands de vigoureuses décharges. Ceux-ci mettent en batterie plusieurs pièces de campagne. Mais, vers quatre heures, ils battent en retraite, laissant deux cents morts sur le terrain. Les mobiles avaient eu huit hommes tués et vingt blessés. Le corps du capitaine Rouveure était resté aux mains des Allemands, qui lui rendirent les derniers honneurs. Un détachement de cavalerie, commandé par un officier supérieur, rapporta ces restes dans un cercueil couronné de lauriers".

Monument à la mémoire du capitaine Rouveure, élevé en lisière de forêt près de l'endroit où il a été tué.


On peut y lire :


"A la mémoire du capitaine Rouveure des mobiles de l'Ardèche. Ancien élève de Polytechnique. Né à Annonay en 1847, frappé mortellement à la tête de sa compagnie le 27 novembre 1870".

Et Anatole France conclut en disant : "A la nouvelle de la capitulation de Rouen, les mobiles de l'Ardèche reçurent l'ordre de quitter la ville de Vernon qu'ils avaient si généreusement défendue. Voilà les souvenirs que rappelle le monument de Bizy".

Pour commémorer cette défense de la ville et le sacrifice des Ardéchois, la ville de Vernon a élevé un monument - celui qu'on voit aujourd'hui - dès le 26 novembre 1873. Deux ans plus tôt, en mai 1871, le conseil municipal avait décidé de nommer Avenue de l'Ardèche la route plantée de tilleuls qui montait vers la forêt de Vernon et Blaru, lieu des combats. En 1872 le sous-lieutenant Louis de Pazanan, un des Mobiles de l'Ardèche, écrivait en repassant à Vernon : "Je te dirai que l'Ardèche a ici [à Vernon] une réputation colossale […] Le conseil municipal a baptisé une avenue "Avenue de l'Ardèche". Nous sommes tous fiers et heureux d'être Ardéchois".

Le monument en 1915 avec une section de réservistes en manœuvre à Vernon.

Le monument actuel.

 

[1] Ce département s'appelle la Loire-Atlantique.
[2] Ces informations sur les Mobiles sont tirées de la conférence de Monsieur Baboux, donnée le 16 octobre 2004, salle de la Rotonde à Louviers : La guerre de 1870-1871 dans le département de l'Eure et dans la région de Louviers
[3] Anatole France est mal renseigné, il s'agit du hameau de Courcaille.
[4] Cette ligne de chemin de fer de Vernon à Pacy sur Eure est fermée depuis 1942, date à laquelle les Allemands démontèrent les voies dont ils avaient un besoin urgent en Russie.      

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