De 1980 à 1995 : Les missiles intelligents

 

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CHAPITRE 14

LES PROGRAMMES

 

L’indication des caractéristiques et des performances de ces programmes sera plus sommaire que celle correspondante aux programmes des deux périodes antérieures ; en effet, les performances étaient généralement classifiées lors de la rédaction.

 

LES MISSILES ANTICHARS DE TROISIÈME GÉNÉRATION

 

Ils restent sous la responsabilité de la DAT jusqu’en 1994. Ces missiles diffèrent de la deuxième génération :

- par l’adoption de la technologie des années 1980 et, pour certains, de l’autoguidage ;

- par une architecture telle que, sans perche de nez, ils soient efficaces contre les blindages réactifs, mis en évidence en 1982.

 

Eryx (ACCP : antichar courte portée) – Aérospatiale

L’historique de ce missile national, remplaçant la roquette, a déjà été donné (cf. chapitre 12). Ses principales performances sont les suivantes :

- missile de fantassin conçu pour le combat en zone urbaine et donc tirable en espace clos (discrétion du tir et protection du tireur impliquant une limitation du bruit, des flammes et de la fumée lors du tir) et dans toutes les positions (couché, à genoux, debout, avec trépied ou à l’épaulé) ;

- portée de 50 à 600 m (4 s de temps de vol maximum) ; le missile est éjecté du tube avec une faible accélération et le propulseur est allumé postérieurement ;

- téléguidage semi-automatique infrarouge, défini pour le Milan 3 1 ; cette solution est plus moderne que celle des Milan 1 et 2, car elle est moins sensible à l’environnement du champ de bataille : balises à éclats sur le missile et écartométrie fournie par la comparaison des images (entre celle du paysage plus le missile et celle du paysage seul) détectées par l’imageur ; liaison filaire ;

- masse de la munition égale à 13 kg (ensemble tube et missile) ;

- poste de tir individuel ayant une masse de 4 kg et comprenant une lunette thermique de technologie moderne (détecteurs infrarouges IR-CCD), permettant le combat de jour et de nuit, et un imageur avec détecteur matriciel CCD dans le proche infrarouge pour la fourniture de l’écartométrie ;

- ensemble de deux charges creuses en tandem, dont la principale a un diamètre de 135 mm ; la perforation peut atteindre 900 mm de blindage ; c’est une arme polyvalente pour l’appui feu de l’infanterie et efficace contre les véhicules blindés et d’autres types de cibles, comme les blockhaus, les nids de mitrailleuse, etc. ;

- son architecture est originale et bien adaptée aux besoins : pour supprimer la perche de nez, la charge creuse principale est placée à l’arrière du propulseur ; ce dernier comporte des intercepteurs de jet pour le pilotage au centre de gravité du missile (PIF) 2.

 

1 Le Milan 3 est la version améliorée du Milan 2T ; il a été mis en service en 1995.

 

2 Cf. chapitre 13, Aérospatiale.

 

Un autre des mérites de l’Eryx est son prix, comparable à celui d’une roquette. Il a été mis en service en 1991.

Malgré la réduction du marché des antichars, l’Eryx connaît un franc succès : il n’a pas de missile concurrent en 1995, le Predator américain devant être mis en service au début des années 2000. En 1994, 16 400 munitions étaient commandées par trois pays : la France, le Canada (4 500 munitions) et la Norvège (7 200 munitions) 3.

 

TRIGAT MP et LP – GIE Euromissile Dynamic Group

L’historique de ces missiles a été donné (cf. chapitre 12). L’objet de cette coopération était de produire, pour les années 1990, des missiles de troisième génération succédant aux Milan et Hot. L’activité a été répartie entre les trois sociétés constituant EMDG et des coopérants pour les principaux équipements optroniques :

- Aérospatiale : missile MP et viseur du LP ;

- BAe : missile LP ;

- MBB : poste de tir et intégration sur hélicoptère pour le LP et poste de tir pour le MP ;

- autodirecteur du LP : Thomson-CSF avec BGT et BAe ;

- lunettes thermiques : SAT, leader, avec Eltro et Thorn-Emi.

 

Pour la version MP, à part la technologie, les innovations opérationnelles sont limitées : le guidage par faisceau laser, adopté au lieu du téléguidage semiautomatique, a l’avantage de supprimer la liaison filaire et d’offrir une meilleure protection contre le brouillage (détecteur du faisceau laser à l’arrière du missile). En outre, pour permettre l’utilisation opérationnelle en temps brumeux, c’est un laser émettant dans l’infrarouge en bande 3 (10,6 microns) qui a été choisi 4. En conséquence, le coût de production du missile a été nettement augmenté (détecteur infrarouge refroidi à 90° K à bord du missile). Ses principales caractéristiques sont les suivantes :

- missile d’infanterie portable et mis en oeuvre par deux hommes ; masse de la munition de 14 kg ; possibilité de tir en espace clos ;

- masse du poste de tir : 17 kg, comprenant la lunette thermique de technologie moderne, de masse réduite et très performante, Tiger, et l’émetteur laser avec sa modulation spatiale ;

- portée de 200 à 2 000 m, temps de vol maximal de 12 s ;

- double charge en tandem, dont la principale a un diamètre de 150 mm et une masse d’environ 3 kg (1 100 mm de perforation) ; comme pour l’Eryx, la charge principale est située à l’arrière du propulseur de croisière (pas de perche).

 

3 À la fin de 1998, cinq pays (nouveaux pays : Brésil et Malaisie) et 48 000 munitions commandées ; à la fin de 1997, 22 800 livrées, dont 9 750 pour la France.

 

4 Une autre solution, nettement moins onéreuse, existait, avec le laser dans le proche infrarouge à 1,06 micron ; mais les éventuelles brumes auraient limité l’utilisation opérationnelle.

 

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En 1995, le développement s’achève ; la phase de production devrait être commandée ; le retard est dû à l’étalement du programme, le besoin de remplacement des Milan étant très réduit. En 1995, la première livraison française a été reportée en 2003.

 

Par rapport au Hot, la version LP présente une innovation opérationnelle capitale pour l’équipement d’un hélicoptère : elle est « tire et oublie ». Le système comprend d’une part un viseur de mât Osiris, ayant une capacité exceptionnelle de surveillance et comportant une lunette thermique de technologie IR-CCD, une caméra TV et un télémètre laser couplé, d’autre part des missiles équipés d’autodirecteurs infrarouges à matrice IR-CCD. Le traitement d’images permet de tirer les missiles, après un dégagement en altitude de l’hélicoptère, sur des objectifs identifiés à l’aide du viseur. Un tel système discret est nécessaire pour assurer un haut degré de survivabilité à un hélicoptère comme le Tigre. Ses principales caractéristiques sont :

- portée de 500 m à 4 000-4 500 m ;

- masse de 760 kg pour l’ensemble du système (y compris les munitions) devant être installé sur hélicoptère ; il comprend le poste de tir et deux conteneurs lanceurs pouvant recevoir chacun quatre munitions et incorporant les servitudes, comme le refroidissement pour les détecteurs infrarouges ;

- masse de la munition (tube et missile) : 47 kg ;

- double charge en tandem, dont la principale a un diamètre de 155 mm (1 300 mm de perforation); cette dernière est située au milieu du missile (pas de perche).

Le développement est en cours ; en 1995, comme pour le MP, la première livraison française de production de série a été reportée en 2003. Mais un tel système est lié à la version antichar du Tigre ; en outre, les Britanniques ayant acquis l’hélicoptère Apache avec son missile américain associé, le Longbow, la cible des commandes est très réduite, d’où un prix envisageable très élevé.

 

La concurrence américaine à moyenne portée est représentée par le Javelin. Dès 1984, les Américains ont choisi la solution « tire et oublie » avec l’autoguidage IR (matrice de 64x64 pixels au plan focal), en pariant sur un prix de production acceptable, vu leurs besoins. Par rapport au TRIGAT, le Javelin a la même portée ; il est plus discret, pour un tir en espace clos, et est plus léger, la masse du poste de tir étant plus réduite ; actuellement, il est plus cher (voir annexe 1). Sa mise en service est prévue pour 1995 et la cible en production pour les Américains est de 26 000 exemplaires. La compétition entre les solutions antérieures, non « tire et oublie », et l’autoguidage est ainsi ouverte.

Pour ce qui est de la longue portée, pour leurs hélicoptères, et en particulier pour l’Apache, les Américains ont développé, à partir de 1976, le programme Hellfire (missile de 45 kg) à guidage semi-actif laser et avec une version future à imagerie infrarouge. Ils ont mis au point la version Longbow « tire et oublie » équipée d’un autodirecteur actif millimétrique (nécessité de l’équipement de l’hélicoptère avec un radar) ; le gain en utilisation opérationnelle par rapport au TRIGAT, dû à la meilleure transmission de l’atmosphère, est limité (possibilité de tir en cas de brouillard).

 

Conclusion sur les antichars

Depuis 1985, le choix de l’autoguidage pour l’antichar est posé. La nécessité de réduire l’attrition des hélicoptères le rend indispensable pour le LP. Malgré l’augmentation du prix, ce choix semble aussi être la solution d’avenir pour l’antichar MP, compte tenu de l’avantage opérationnel du « tire et oublie » ; le choix sera facilité si les quantités à produire permettent une réduction du coût des composants infrarouges (matrices) : avec leur marché domestique supérieur, les États-Unis sont mieux placés que l’Europe.

En conclusion, les États-Unis semblent acquérir le leadership sur les antichars moyenne portée et longue portée.

 

 

LES MISSILES AIR-AIR DE QUATRIEME GENERATION

 

Opérationnellement, c’est la génération du multicible, avec le combat aérien à grande distance, les possibilités en portée du véhicule du missile pouvant être utilisées 5. L’avion de combat équipé d’une conduite de tir multicible peut tirer simultanément, par exemple, quatre missiles contre quatre objectifs ; avec un radar de bord à balayage électronique (Rafale, F 22...), l’avion peut être polyvalent, c’est-à-dire effectuer une mission de pénétration à basse altitude et se défendre en tirant des missiles air-air.

Notons que les avions de combat français seront équipés d’un armement plus nombreux : le Mirage 2000 DA pouvait être armé de deux missiles d’interception Super 530, à AD EM, montés sous voilure et de deux missiles de combat Magic, à AD IR, montés en extrémité de voilure ; le Mirage 2000-5 peut être équipé de six missiles Mica, à AD EM ou IR, montés quatre le long du fuselage et deux en extrémité en voilure.

Technologiquement, c’est la génération du missile à autodirecteur électromagnétique actif et celle de l’autodirecteur infrarouge, avec un détecteur multiélément IR-CCD ; ce dernier missile est en général utilisé en combat aérien à courte portée.

Les Américains, eux, ont continué à imposer le concept comportant deux missiles totalement différents :

- AMRAAM (moyenne portée 6) avec autodirecteur électromagnétique ;

- ASRAAM (courte portée) avec autodirecteur infrarouge.

 

5 Pour les missiles à autoguidage intégral, c’est la portée de l’autodirecteur qui détermine la distance de tir maximale ; elle est inférieure, en général, à celle du véhicule.

 

6 Le qualificatif de « longue portée » est réservé à des missiles ayant une portée de l’ordre de 200 km, comme le missile Phoenix armant le F 14 de la Marine américaine (mis en service en 1970).

 

La France a développé le concept d’un seul missile, le Mica, pouvant remplir les deux missions. En effet, en cas d’absence de nuages près de la cible, le tir de deux missiles à grande distance, l’un avec un AD électromagnétique et l’autre avec un AD infrarouge, augmente les difficultés de la cible pour se défendre en utilisant des contre-mesures ; ce concept intéresse plusieurs armées de l’Air.

Pour cette génération, la compétition existe principalement entre trois pays : la France, les États-Unis et la Russie.

 

Mica – Matra

L’historique de ce missile a été donné aux chapitres 12 et 13 (Matra et EMD). Ses principales caractéristiques et performances sont :

- masse du missile de 110 kg (et longueur de 3,10 m, d’où une grande compacité) compatible d’une part avec son montage en extrémité de voilure des avions de combat, d’autre part avec son montage en tandem le long du fuselage du Mirage 2000 (éjection du missile) ;

- configuration classique, avec ailes longues et donc avec une envergure réduite ;

- phase de guidage mi-course inertiel avec informations de rafraîchissement sur la position de la cible fournies par le radar de l’avion tireur (LAM : liaison de données hyperfréquence avion-missile) 7, suivie d’une phase d’autoguidage terminal en navigation proportionnelle ;

- possibilité de tir, à distance rapprochée, sans phase inertielle ;

- deux autodirecteurs interchangeables de masse de 10 kg : un autodirecteur actif électromagnétique pulse doppler d’EMD et un autodirecteur infrarouge SAT avec détecteurs IR-CCD (deux barrettes pour détection bispectrale, permettant une lutte très efficace contre les leurres) ;

- calculateur numérique de technologie électronique la plus avancée ;

- pour le combat aérien moderne de deux avions se croisant, utilisation de déviateurs du jet du propulseur durant la phase d’accélération : ils permettent au missile d’effectuer, lors de son départ, une rotation de l’ordre de 100° en 1 s, de manière à ce que l’AD puisse être en position d’accrochage sur la cible ;

- charge à fragmentation Thomson-Brandt de 12 kg et fusée de proximité à corrélation Thomson-CSF ;

- distance de tir : de 350 m (combat rapproché) à 60 km environ en altitude et sur cible supersonique ; domaine d’altitude de 0 à 20 000 m ; Mach maximum de 4,5 ;

- capacité d’une part de lutte contre les contre-mesures très sophistiquées et d’autre part d’attaque des cibles les plus manoeuvrantes (9 g par exemple) ;

- armement prévu des avions équipés d’une conduite de tir multicible : famille Mirage 2000-5 (37 avions français), Rafale (Air et Marine pour la France)…

 

Comme nous l’avons indiqué, le démarrage du développement a été étalé :

- lancement de la version EM en décembre 1985 ;

- choix des coopérants pour la propulsion à propergol solide (Thomson-Brandt) et la référence inertielle (Matra et SAGEM) en 1987 ;

- lancement de la version IR en 1989.

 

7 Cf. chapitre 13, Équipements électromécaniques.

 

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Le premier tir réussi en multicible (deux cibles) a eu lieu en 1993. Les premières livraisons en série sont prévues à la fin de 1996 pour la version EM et au début des années 2000 pour la version IR. En 1990, la cible des commandes françaises était de 2 300 ; en 1995, elle était réduite à 1 600. Des contrats d’exportation, liés à la vente des Mirage 2000-5, ont été obtenus : dès 1992 avec Taiwan, pour 960 missiles EM, et en 1994 avec le Qatar 8. La valeur du Mica est reconnue internationalement.

 

La concurrence pour la moyenne portée

L’AMRAAM américain développé par Hughes (absorbée par Raytheon) est le principal concurrent. Il diffère du Mica sur les points suivants :

- il ne comporte qu’une version électromagnétique et son autodirecteur actif est équipé, dès le premier exemplaire de série, d’un TOP comme émetteur (c’est un avantage) ; mais la technologie électronique n’était pas mature en 1978, compte tenu de la complexité de l’autodirecteur avec ce TOP ;

- ses dimensions sont supérieures et ne sont pas compatibles avec celles exigées pour un missile de combat : 156 kg, diamètre de 180 mm et longueur de 3,65 m, contre 110 kg, 160 mm et 3,1 m pour le Mica (ce dernier est plus compact, grâce à la technologie de 1990);

- son développement a été lancé en 1979, soit 8 années d’avance sur le Mica. Compte tenu des difficultés rencontrées avec la technologie, une version améliorée fut développée et en définitive, il fut mis en service en 1991 (5 années d’avance sur le Mica) ;

- son marché domestique est nettement supérieur à celui du Mica : 24 000 AMRAAM en 1980, nombre ramené actuellement à 10 800, contre 770 Mica EM. Cette différence vaut aussi pour l’exportation. L’AMRAAM a été adopté, en 1995, par 14 pays équipés d’avions américains, comme le F 16, ou européens, comme l’Eurofighter, le Sea Harrier et le Gripen.

 

Le R 77 russe (code OTAN : AA 12 Adder), produit par Vympel, est un missile du même type que l’AMRAAM. Par rapport à ses deux concurrents, c’est le missile qui a la masse la plus importante et la plus faible compacité (masse de 175 kg ; 200 mm de diamètre ; 3,6m de longueur). Sa technologie, non connue en détail, est certainement moins avancée. Il a été mis en service en 1993 ; mais, en 1995, les difficultés budgétaires de la Russie limitent sa production. Il a été vendu en Inde, en Chine, en Malaisie et au Pérou.

 

Comme nous l’avons indiqué au chapitre 9, les Britanniques avaient, dans les années 1970, développé, après acquisition de la licence du véhicule du Sparrow, le missile d’interception Skyflash avec un AD semi-actif EM. Dans les années 1980, après avoir signé le MoU AMRAAM-ASRAAM, ils eurent le projet de développer un Skyflash actif, en particulier pour l’armement du Gripen ; mais ils n’y donnèrent pas de suite. L’AMRAAM fut adopté par la Royal Navy et, à titre transitoire, par la RAF.

 

8 En 2000, total des commandes françaises, avec les tranches optionnelles et celles de l’exportation : 3 400 exemplaires pour cinq pays (nouveaux pays : Émirats arabes unis et Grèce).

 

Celle-ci établit en 1994, pour l’armement de l’Eurofighter, la spécification BVRAAM 9. En effet, la distance de tir de l’AMRAAM et du Mica varie, entre l’attaque frontale de la cible et l’attaque arrière, de manière plus importante que pour les missiles de génération antérieure : par exemple, en altitude, de 60 km à 15 km ; le problème de la politique de tir est posé, car le succès de l’interception à grande distance dépend du temps du début de l’éventuelle manoeuvre de la cible. Le remède est l’augmentation de la vitesse moyenne du missile (solution probable : le statoréacteur) et c’est l’objectif de cette spécification. Une consultation internationale est prévue.

 

La situation pour le combat à courte portée

En 1990, l’amélioration souhaitée pour la version la plus récente des missiles Magic et des Sidewinder, mis en service à la fin des années 1980, concernait principalement la lutte contre les leurres.

Une nouvelle génération d’autodirecteurs équipés de détecteurs multiéléments IR-CCD était mature. Notons que la portée de ces autodirecteurs étant très supérieure à celle des générations antérieures (rapport de 3 à 4, soit 10 à 15 km), la notion du combat à courte portée est relative.

En outre, les pilotes de chasse demandaient une évolution des combats, car ils désiraient les réussir dans des situations difficiles ; par exemple, l’engagement sur des cibles largement dépointées nécessite des trajectoires de départ du missile avec des virages de l’ordre de 90° (avions se croisant, par exemple) ; cela augmente le besoin de manoeuvrabilité du missile au départ de l’avion, d’où l’adjonction d’une déviation de jet du propulseur d’accélération et l’augmentation du débattement de l’autodirecteur.

 

La conception de la version IR du Mica, au début des années 1980, a permis de satisfaire ces deux demandes opérationnelles avec une mise en service au début des années 2000.

En revanche, ce concept innovant, nécessaire pour un avion de combat moderne, ne présente pas le même intérêt pour des avions d’attaque air-sol, comme le Mirage 2000 D, limité en air-air à l’autodéfense ; le Mica peut être considéré comme un armement cher pour de tels avions (du fait de la centrale inertielle et de la liaison non nécessaires – voir annexe 1). Un Magic 3 (véhicule du Magic 2 équipé d’un AD IR dérivé du Mica) aurait pu être développé pour satisfaire ce besoin ; cette solution n’a pas été retenue, pour des raisons budgétaires.

L’utilisation d’un missile étranger sera peut être envisagée à la fin des années 2000 pour l’armement de tels avions français, avec l’obsolescence du Magic 2.

 

9 Beyond Visual Range Air-to-Air Missile . Pour la génération antérieure, c’était la portée de l’AD, inférieure à celle du véhicule, qui limitait la distance de tir en attaque frontale.

 

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Quant à la concurrence occidentale, rappelons qu’en 1980, le MoU relatif aux missiles air-air avait confié à deux pays, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, la responsabilité du développement de cette catégorie de missile. Durant la décennie 1980, les discussions entre les services officiels de ces deux pays et les travaux des deux missiliers maîtres d’oeuvre, BAe et BGT, n’ont pas permis de définir un missile commun ; un divorce en a résulté. Les Britanniques, ayant comme premier objectif la résistance aux contre-mesures, militaient pour un missile fondé sur la technologie infrarouge la plus récente (matrice IR-CCD) – mais elle était peu développée à cette époque en Grande-Bretagne – ; les Allemands proposaient une évolution par étapes en partant du Sidewinder. Finalement, trois programmes occidentaux furent développés.

Pour le programme britannique ASRAAM, de BAe, une consultation nationale fut lancée au début des années 1990. En mars 1992, BAe fut retenu comme maître d’oeuvre de ce missile, le concurrent étant Marconi, proposant le Micasraam, en association avec Matra et SAT (autodirecteur). BAe choisit comme coopérant, pour l’autodirecteur, la société américaine Hughes : BAe espérait l’adoption par les Américains de ce missile. Ce fut une erreur. Les principales caractéristiques connues sont : une masse de 87 kg et un diamètre de 166 mm, supérieur au Sidewinder (127 mm) ; seulement des gouvernes à l’AR (pas de voilure) ; un autodirecteur à matrice dans le plan focal de 128x128 pixels 10. La question se pose : les Américains livreront-ils toutes les informations sur un tel AD ? Sa mise en service est prévue à la fin des années 1990.

L’Iris-T (Infra Red Imaging Sidewinder Tail Controlled) de BGT est en cours de définition. Les principales caractéristiques connues sont une configuration du missile assez différente du Sidewinder, avec des gouvernes aérodynamiques situées à l’arrière du missile et associées à des déviateurs de jet, et un autodirecteur BGT utilisant deux barrettes de 64 pixels (détection monospectrale) balayées par un miroir et ayant un débattement de ± 90°. Le lancement du développement est prévu prochainement 11 en association entre l’Allemagne, pour 50 % du coût, l’Italie, la Grèce, la Norvège, la Suède et le Canada ; le maître d’oeuvre serait BGT.

En définitive, les Américains ont lancé, en 1994, le développement d’une refonte du Sidewinder, le Sidewinder 9 X par Hughes : c’est la fin de la configuration canard. Certains équipements seraient conservés : propulseur, charge militaire et fusée de proximité. Les novations sont d’une part l’autodirecteur à matrice, dérivé de celui développé pour l’ASRAAM de BAe (mais avec un diamètre réduit et paraît-il avec une résistance supérieure aux contre-mesures), d’autre part le pilotage fondé sur des gouvernes de taille réduite situées à l’arrière du missile et couplées avec des déviateurs de jet du propulseur. La mise en service est prévue au début des années 2000 et la cible américaine est de 10 000 exemplaires.

 

10 La matrice, théoriquement plus sensible que la barrette, permet l’obtention d’une portée supérieure. Mais la détection bispectrale, permettant une résistance supérieure aux contre-mesures, est une solution plus facilement réalisable avec des barrettes. C’est elle qui a été choisie pour le Mica, avec deux barrettes.

 

11 Lancement effectif en 1998.

 

Enfin, une concurrence possible à l’exportation est créée par deux missiles : le R 73 russe et le Python 4 israélien. Le premier (code OTAN AA 11 Archer) a été révélé lors de meetings aériens. Il aurait été mis en service en 1987. Avec une masse de 110 kg, il a été conçu pour améliorer son agilité au combat : c’est un canard avec des gouvernes associées, avec des déviateurs de jet du propulseur situé à l’AR du missile ; le débattement de l’AD en lacet est important (± 75°). Son prix de vente à l’exportation est dérisoire : 50 000 à 60 000 dollars (voir annexe 1). Ses qualités ont été abondamment commentées dans la presse ; ce missile et le Mica (sa définition est antérieure à la connaissance de l’AA 11) ont certainement incité les états-majors occidentaux à développer les trois programmes indiquées ci-dessus. Quant au Python 4 israélien, il a été révélé à la fin de 1995 et il serait compétitif, au combat, avec l’AA 11 ; mais il est proposé à un prix nettement supérieur à ce dernier.

 

 

L’ÉVOLUTION DES MISSILES AIR-SOL TDS : LES MISSILES DE CROISIÈRE

 

C’est durant la troisième période que le missile tactique de croisière a été conçu et utilisé (lors de la guerre du Golfe). La France a lancé en développement l’Apache et a décidé de lancer le développement du SCALP-EG (cf. chapitre 12). Rappelons que le succès de ces missiles dépend de la précision de la localisation des cibles et des trajectoires programmées et que celle-ci est liée aux informations fournies par les satellites d’observation. Notons aussi qu’en France, seuls des missiles air-sol sont développés.

C’est aussi la période de conception de la bombe guidée par GPS : JDAM (Joint Direct Attack Munition) et AASM ; c’est une autre voie d’armement TDS.

Pour les autres catégories de missiles air-sol TDS, rappelons la situation. L’armement guidé laser, AS 30 laser et BGL, a été mis en service à la fin des années 1980 et il a été utilisé durant la guerre du Golfe et durant l’intervention en Bosnie. Malgré les projets novateurs et le retrait des unités du Martel (AR), programmé pour la fin des années 1990, aucune décision de lancement d’un successeur n’avait été prise.

 

Apache – Matra maître d’oeuvre, l’Aérospatiale partenaire

Ayant été défini dans les années 1980 et lancé en développement en 1989, Apache comporte la technologie de l’époque, dite de première génération :

- recalage de la centrale n’utilisant pas le système GPS ;

- limitation du volume du stockage des informations nécessaires pour le recalage et en conséquence de la portée ;

- absence d’autoguidage terminal ; la précision finale de 50 à 100 m est compatible avec un armement constitué de sous-munitions anti-piste, permettant de neutraliser les bases aériennes (besoin opérationnel primordial de l’époque) : pour neutraliser une piste, il faut réussir 5 tirs, en attaque latérale ; le délai de la réparation varie suivant la disponibilité des moyens des travaux publics. Ses principales caractéristiques sont les suivantes :

- masse du missile d’environ 1 280 kg, correspondant à la possibilité des points d’accrochage sous voilure, en tenant compte du pylône ; longueur de l’ordre de 5 m ;

- configuration classique avec les ailes déployables ; véhicule discret du point de vue de la SER ;

- cargo modulaire avec tronçon d’armement interchangeable de 500 à 600 kg environ : version anti-piste comportant 10 sous-munitions Kriss (Matra et TDA) avec propulsion ; possibilité de chargement avec des mines (projet allemand, sans suite) ;

- propulsion par turboréacteur subsonique Microturbo ; portée de l’ordre de 140 km ;

- vol à très basse altitude utilisant les informations prévues par la préparation de mission : radioaltimètre TRT ; guidage inertiel (centrale SAGEM 12) avec recalage utilisant la corrélation altimétrique continue (relief d’une bande latérale de l’ordre de 300 m) et la corrélation sur quelques amers, les images étant détectées par le radar Thomson-CSF Prométhée ; détection de la cible par ce radar, pour le tir des sous-munitions ;

- adaptation sous les avions Mirage 2000 D et Rafale ; elle a aussi été effectuée sous le Tornado, pour les Allemands ;

- nécessité d’une préparation de mission au sol.

Un tir de mise au point a d’ores et déjà été réalisé avec succès, en juillet 1994. Apache devrait mis en service à la fin des années 1990, avec une production limitée 13. Il faut noter la difficulté en France d’effectuer des tirs d’essais à grande portée et avec recalage sur un champ de tir maritime comme le CEL.

 

SCALP-EG (ou Storm Shadow, missile britannique identique) – Matra avec BAe

C’est un missile conçu après la guerre du Golfe et comportant la technologie de 1993, de « deuxième génération » :

- recalage par récepteur GPS 14 permettant l’obtention d’une grande portée ;

- autoguidage terminal sur l’objectif désigné par des informations mises en mémoire, permettant l’obtention d’une précision métrique;

- charge unitaire permettant la destruction d’objectifs militaires de haute valeur, durcis et de faibles dimensions.

 

Ses principales caractéristiques connues à la fin de 1995 sont :

- missile : masse et formule aérodynamique voisines de celles d’Apache ;

- portée classifiée, de l’ordre de 400 km ; propulsion par turboréacteur subsonique Microturbo ;

- trajectoire programmée ; vol à très basse altitude (radioaltimètre) ; guidage inertiel hybridé avec recalage GPS ; autoguidage terminal après une petite

ressource pour accrochage de l’autodirecteur infrarouge ; corrélation entre l’image détectée et les données mises en mémoire ; utilisation de traitements d’images en temps réel permettant de décomposer l’image en informations synthétiques utiles pour reconnaître la cible, puis de fournir l’écartométrie pour assurer le guidage du missile sur cette cible ;

- charge unitaire capable de perforer quelques mètres de béton (charge en tandem) ;

- adaptation sous les avions français, Mirage 2000 et Rafale, et sous les différents avions britanniques.

 

12 Cf. chapitre 13.

 

13 Décision en mai 1996, lors de la préparation de la 9e loi de programmation : 100 Apache anti-piste.

 

14 Le système GPS n’est pas autonome vis-à-vis des Américains, car ils se réservent la possibilité de le brouiller.

 

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Ce programme a été défini en 1995 et devrait être lancé en 1997. Les Britanniques prévoient le lancement de leur programme à la même date. Sa mise en service est prévue pour le début des années 2000.

 

La concurrence

Le missile de croisière a commencé à être développé, dans les années 1970, aux États-unis, comme armement stratégique pour l’Air Force et la Navy. C’est la Marine qui a été la première armée à exprimer le besoin d’une version tactique du Tomahawk pour tir sur des cibles terrestres : elle était destinée à armer ses navires et ses sous-marins ; elle a été mise en service en 1984 et sa première utilisation eut lieu lors de la guerre du Golfe.

 

Les principales caractéristiques du Tomahawk (BGM 109 C et D, Tomahawk Land Attack Missile ) de Hughes sont :

- masse lors du lancement de navires : 1 450 kg ; missile de 1 225 kg ; accélérateur longitudinal largable ; charge unitaire de 454 kg ;

- portée de 1 300 km ; propulsion de croisière par turboréacteur subsonique ;

- trajectoire programmée ; vol à très basse altitude ; guidage inertiel avec modes de recalage de la première génération : corrélation altimétrique (Tercom) et corrélation sur images optiques (DSMAC, Digital Scene-Matching Area Correlation ) ; précision finale donnée pour 10 m (CEP).

L’utilisation tactique a été révélée lors de la guerre du Golfe, avec 291 missiles tirés sur des objectifs de haute valeur : 75 à 85 % des missiles auraient touché l’objectif visé, selon des revues américaines ; une deuxième utilisation eut lieu en 1993 contre des objectifs stratégiques irakiens.

La décision de transformer en version tactique une partie du stock des Tomahawk nucléaires a été prise en 1991. La Marine américaine avait acquis environ 3 400 missiles de ces versions avant 1995 ; c’est un missile tactique très cher, car il a été conçu pour une utilisation stratégique (voir annexe 1). La Marine britannique s’est également équipée, en 1994, du Tomahawk (10 missiles).

 

Ce n’est que récemment qu’un missile américain proche du SCALP-EG et commun aux deux armées a été lancé en développement ; il devrait être mis en service au début des années 2000. C’est le JASSM (Joint Air to Surface Standoff Missile ), équipé d’un recalage GPS et d’un guidage terminal infrarouge : il a 300 km de portée et une charge unitaire de 454 kg ; la cible des commandes est de 2 400 exemplaires, avec un prix objectif compétitif (voir annexe 1) ; c’est probablement le concurrent du SCALP-EG.

 

15 Contrats notifiés en 1997 aux filiales nationales de MBD (Matra Bae Dynamics) : 500 exemplaires pour la France et 900 pour le Royaume-Uni. En 1999, environ 2 000 exemplaires commandés par quatre pays (France, Royaume-Uni, Émirats arabes unis et Italie).

Des programmes intérimaires ont été développés pour tirs d’avions : le JSOW (Joint Standoff Weapon), proche d’Apache, avec sa version armée de sousmunitions, et le SLAM (Standoff Land Attack Missile), adopté par la Navy et dérivé du Harpoon, qui a gardé la liaison avion-missile, d’où l’attaque possible de cibles d’opportunité ; il a été utilisé durant l’intervention de Bosnie.

Enfin, en 1995, les Allemands, en coopération avec les Suédois, ont lancé le programme Taurus, voisin du SCALP-EG.

 

JDAM (Joint Direct Attack Munition), armement à faible coût

Tirant les leçons de la guerre du Golfe, les Américains ont lancé, dès 1992, ce programme de kits pour armement de bombes, qui auront une bonne précision sur les objectifs désignés (préparation de mission) tout en étant larguées à moyenne altitude (au-dessus du domaine des SATCP et SACP). Elles comportent un guidage inertiel avec recalage GPS, d’où une précision décamétrique ; un guidage terminal additionnel à base d’un AD millimétrique est prévu.

Ce programme devrait mis en service avant la fin des années 1990 et l’objectif des commandes est de 87 000 exemplaires, à un prix très faible (20 000 dollars en 1995). Un programme similaire est prévu en France (AASM).

 

 

LES MISSILES ANTINAVIRES

 

La deuxième période avait vu le lancement, en Occident, de missiles antinavires modernes. La troisième est caractérisée par l’utilisation de ces missiles (Malouines, Irak-Iran, etc.) et par leurs améliorations, surtout pour la résistance aux contre-mesures.

En France, une nouvelle génération fondée sur l’utilisation du statoréacteur supersonique (ANS et ANF) a été étudiée, mais elle n’a pas été lancée (cf. chapitre 12). Le seul programme effectivement lancé, en coopération francoitalienne, est le missile lance-torpille Milas, qui devrait remplacer le missile de première génération Malafon.

 

Le Milas

Matra et Oto Melara en sont maîtres d’oeuvre, dans le cadre du GIE Milas (cf. histoire au chapitre 12). Les principales caractéristiques du Milas sont les suivantes :

- sa mission est la lutte anti-sous-marine dans la zone détectable par le sonar du bateau lanceur (première résurgence) : amener la torpille dans une zone précise située entre 5 et 35 km pour la larguer après une phase de ralentissement assurée par l’arrêt du moteur et l’ouverture d’un parachute ; dans l’eau, l’autodirecteur de la torpille recherche le sous-marin cible et assure ensuite le guidage ;

- armement des frégates de lutte anti-sous-marine ;

- torpille légère développée par les deux pays, hors de la coopération Milas : Mu 90, d’une masse de 300 kg environ ;

- véhicule dérivé de l’Otomat : masse de 815 kg avec la torpille ; deux accélérateurs à propergol solide, éjectés latéralement (identiques à ceux de l’Otomat) ; turboréacteur subsonique Microturbo pour la croisière ;

- guidage inertiel (centrale SAGEM) avec possibilité de recaler la position de largage par les informations transmises par le navire tireur (liaison entre le navire et le missile) ;

- ordre de grandeur de l’efficacité du Milas, hors fonctionnement de la torpille : à la distance maximale, 64 % en « tire et oublie », passant à 75 % avec réinformation en vol.

Le programme a été lancé en développement en 1988 et la mise en service est prévue pour la fin des années 1990.

 

 

LES SYSTEMES DE MISSILES SOL-AIR

 

Durant la deuxième période, les activités françaises dans ce domaine avaient été limitées au développement des systèmes SACP Roland et Crotale et à la définition de la fiche-programme interarmées d’un SATCP.

Le bilan de la troisième période est plus important : développement du SATCP Mistral et lancement du développement, en coopération (mais avec le leadership français pour les missiles), des systèmes SAMP et SAAM. Ce dernier système a été conçu pour contrer la menace envisageable, comme celle du missile antinavire supersonique. Pour les SACP, les améliorations avaient pour objectif de pouvoir contrer une menace devenue plus performante et de mieux résister aux contremesures.

En outre, l’intérêt d’une coordination de différentes batteries autonomes a été mis en évidence, pour contrôler l’exécution des opérations et pour augmenter l’efficacité ; cela a conduit au développement de systèmes dits « C2 » (command and control ).

Les années 1990 montrent aussi une évolution de la menace, vers le « bas » avec les missiles de croisière furtifs pour les attaques terrestres et vers le « haut » avec les missiles balistiques des pays dits « filous » (rogue states) ; les études de faisabilité ont commencé.

 

Les missiles SATCP

La mission de ces missiles est d’une part la défense de sites ne pouvant pas justifier des moyens de défense plus onéreux, comme les SACP, d’autre part « l’ultime recours » de sites majeurs, en cas de brouillage des radars des SACP et des SAMP. Compte tenu de leur coût moindre par rapport aux batteries des SACP, les SATCP sont retenus, avec un centre de coordination, par les armées pour la défense de quelques sites plus importants.

La menace est l’avion et aussi l’hélicoptère, rayonnant une très faible énergie et qui ne se démasque que quelques secondes (pop-up) ; en 1995, ces aéronefs sont souvent équipés de détecteurs de départ des missiles et de leurres largués suivant des cadences planifiées pour contrer au maximum les ordres de guidage fournis par les autodirecteurs.

 

L’histoire du Mistral a été donnée au chapitre 12 ; le maître d’oeuvre est Matra. Ses principales caractéristiques sont les suivantes :

- missile portable : masse pour la munition de 24,4 kg, dont 5,4 kg pour le tube ;

- véhicule canard en auto-rotation ; diamètre de 90 mm pour le missile ; pilotage un axe sans gyromètre ; servomoteur électrique Matra ; grande manoeuvrabilité (25 g) permettant d’être efficace contre des cibles se dérobant ;

- missile « tire et oublie » ; autodirecteur infrarouge SAT (cf. chapitre 13) avec un irdôme pyramidal et un détecteur infrarouge multiélément (technologie de 1978, avant l’IR-CCD) refroidi à 88° K (bouteille d’argon située sur le poste de tir) ; ce type de détecteur permet l’obtention d’une portée d’accrochage acceptable sur hélicoptère et sur avion et d’une certaine résistance contre le leurrage ;

- tir manuel après accrochage de l’AD ; temps de réaction de l’ordre de 5 s entre la désignation de la cible et le départ ;

- distance de tir maximale de 6 km sur avion ; altitude maximale de 4 000 m pour la cible ; éjection du tube à 40 m/s ; propulseur SEP à propergol solide (butalane) avec enveloppe bobinée en kevlar (Mach maximum de 2,5) ;

- charge à fragmentation Manurhin de 3 kg et fusée de proximité laser Matra. La probabilité globale de destruction du Mistral est réputée : elle est de l’ordre de 93 % pour des tirs effectués dans les nombreuses expérimentations ; elle résulte de sa fiabilité excellente, de sa distance de passage réduite et d’une charge de masse adaptée et mise à feu par une fusée de proximité.

 

Plusieurs systèmes de lancement et de tir ont été mis en service ; cela a induit une activité importante pour Matra (ce qui différencie les air-air des sol-air).

Parmi les affûts manuels, on trouve d’abord le trépied Manpads. C’est la solution de base la plus employée par les armées de Terre et de l’Air. Il est portable et comporte une seule munition ; il est équipé d’un viseur de jour et de la bouteille de servitude (pile et argon pour le refroidissement de l’AD) ; en option, il peut être équipé d’une caméra thermique légère Malis et d’un IFF. Il peut être monté sur un véhicule léger.

Il existe une solution dérivée terrestre, Atlas, avec deux munitions, pour montage sur véhicule ou sur plateforme.

Pour la défense de sites, un ensemble de 6 postes de tir peut être réuni autour d’un système d’alerte et de coordination, du type Samantha en France, comportant un radar de veille de 20 km de portée ; les informations vocales sur la désignation de l’objectif sont fournies à chaque poste de tir à l’aide d’un boîtier.

Il existe également une solution navale dérivée, Simbad, avec deux munitions, pour l’équipement des petites unités.

L’affût automatique pour la Marine 16, Sadral, est un système intégré comportant une tourelle stabilisée, télécommandée et équipée de 6 munitions. Sadral est couplé au système de combat du bâtiment et comporte par ailleurs une conduite de tir équipée d’une caméra thermique. Cet affût permet d’assurer l’autoprotection des grands bâtiments, comme un porte-avions.

 

16 Elle peut participer à la mission antimissile. Le système Mistral a la capacité, mais la probabilité est réduite.

 

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Pour l’armée de l’Air française, Thomson-CSF a développé un véhicule léger, Aspic, disposant d’un système de tir automatique permettant de tirer 4 munitions.

Enfin, l’autodéfense des hélicoptères est assurée par le missile air-air AATCP (air-air très courte portée). C’est une nouvelle mission. En 1994, l’équipement de la Gazelle est réalisé (quatre missiles) ; celui du Tigre est prévu.

 

Nous avons déjà indiqué, au chapitre 12, que le Mistral, missile interarmées, avait été lancé en développement à la fin de 1980 et que les difficultés rencontrées pour sa mise au point avaient été maîtrisées. Elles étaient liées à beaucoup d’innovations comme le faible diamètre, l’irdôme pyramidal et l’autorotation d’un missile autoguidé avec pilotage un axe. Cette dernière formule était celle du Red Eye américain (cf. chapitre 9), mais le Mistral était un missile plus lourd (20 kg, contre 10 kg) et plus ambitieux en matière de domaine de tir.

La première livraison de série eut lieu en 1989. Le Mistral rencontre un grand succès, en particulier à l’exportation ; en 1995, 16 pays l’avaient adopté, dont la Belgique, l’Espagne, l’Autriche, Chypre, l’Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis, la Corée… ; mais seulement 8 700 munitions étaient commandées 17.

 

Les deux principaux concurrents du Mistral sont des missiles épaulables : la famille du missile américain Stinger et celle du missile soviétique Stréla. Leurs concepts sont identiques :

- missile d’une masse de 10 kg environ et d’un diamètre de 70mm ;

- autoguidage infrarouge ;

- charge de masse réduite (1 kg), avec uniquement une fusée d’impact ;

- vitesse variant de Mach 1,4 pour le SA 7 à Mach 2 pour le Stinger ;

- temps de réaction de 10 s ;

- la probabilité de destruction du SA 7, estimée par les experts, est égale à 50 %.

Leurs performances ont été améliorées, particulièrement du point de vue de la résistance au leurrage, ce qui explique l’existence de familles.

La première version du Stinger, FIM 92 A, a remplacé le Red Eye et a été mise en service en 1979. Elle a été ensuite améliorée avec le Stinger Post, comportant une détection bispectrale (IR et UV). 60 000 exemplaires ont été produits aux Etats-Unis, dont 53 000 pour le marché domestique. Le Stinger a été très exporté (18 pays) et a été utilisé dans de nombreux conflits, en particulier par les Afghans contre les Russes (900 missiles remis par les États-Unis). Une production européenne est en cours, avec une production prévue de 10 000 exemplaires (le MoU date de 1983 et la licence de 1988) ; elle concerne l’Allemagne, les Pays- Bas, la Grèce et la Turquie ; Dornier en est le leader industriel.

La première version du Stréla, SA 7 Grail 18, fut mise en service en 1968 ; des versions améliorées furent mises successivement en service : SA 14 (bande spectrale 2) ; SA 16 (avec un nez pointu) ; très récemment, une nouvelle famille, Igla, est née, avec le SA 18 (détection bispectrale). Ce missile a été très diffusé et utilisé dans de nombreux conflits.

 

17 À la fin de 1999, 25 pays, 36 forces armées utilisatrices et 12 500 missiles commandés.

 

18 Les noms SA 7 Grail… SA 16 sont les noms de code définis par l’OTAN ; Stréla est le nom russe.

 

Les Russes ont aussi développé une famille de missiles infrarouges ayant une masse (30 à 40 kg) et un diamètre (120 mm) plus importants et tirables de véhicules. La masse de la charge est de l’ordre de 5 kg. Le premier est le SA 9, mis en service dès 1968 et très diffusé ; ses successeurs sont le SA 13 et le SA 15. Ces missiles peuvent être considérés comme des SACP ou de gros SATCP.

 

Des missiles guidés par faisceau laser existent également. Ils sont principalement adaptés à la menace hélicoptère. Ils nécessitent un poste de tir comportant la lunette et l’émetteur laser et ils ne sont pas « tire et oublie ». Les missiliers qui les ont développés ne possédaient pas la technologie de l’autodirecteur : ce sont Shorts, en Irlande, pour le Starbust et ensuite le Starstreak, avec ses trois fléchettes terminales, et Bofors, en Suède, pour le RBS 70.

 

En conclusion, la prolifération et l’efficacité de ces missiles SATCP « tire et oublie » a entraîné la limitation du vol des avions à basse altitude et le besoin de développer des missiles TDS et des bombes guidées par GPS et pouvant être tirées en altitude. Contrairement à ses deux concurrents épaulables, le Mistral n’est que portable, ce qui lui a permis d’être plus efficace ; en outre, ses performances en vitesse et en portée et son agilité sont supérieures. C’est la raison de son succès.

 

Les systèmes SACP terrestres (avec version Marine dérivée pour le Crotale)

Nous avons indiqué que seules des améliorations avaient été apportées dans cette troisième période (cf. chapitre 12) ; la situation fut la même à l’étranger.

Pour des raisons d’homogénéité, le SAAM Aster sera traité ci-après, avec la version SAMP de l’Aster ; nous évoquerons aussi la concurrence.

 

Le Crotale (NG) de Thomson-CSF résulte de la consultation américaine : il fut la base technique de la proposition de Thomson-CSF ; l’objectif des améliorations signalées au chapitre 13 était de rendre le système plus compétitif.

Les améliorations concernent d’abord, pour la version terrestre, l’intégration sur un seul shelter des fonctions de surveillance et de conduite de tir, avec un nouveau radar de poursuite (radar pulse doppler ayant une portée de 20 km au lieu de 18 km) et des caméras TV et IR pour une poursuite optronique, en cas de brouillage. La résistance aux contre-mesures et le traitement des informations ont été améliorés.

S’y ajoute un nouveau missile, le VT 1, développé par la société américaine LTV et plus performant : vitesse et manoeuvrabilité nettement augmentées, Mach de 3,5 au lieu de 2,3 et capacité de 30 g au lieu de 20 g, ce qui permet à ce missile de contrer les avions modernes (dérobade continue de 9 g à basse altitude) ; portée de 8 km atteinte en 10,3 s.

En France, l’armée de l’Air et la Marine, pour les frégates actuelles, ont amélioré leurs matériels existants et ont adopté le NG pour leurs nouveaux besoins (en 1990 pour l’Air). Pour la Marine, le missile VT 1 renforce la capacité anti-missile contre une menace subsonique et non saturante.

Après la vente, en France et à l’exportation (Finlande…) des 1 000 missiles VT 1 produits aux États-Unis, une production devrait avoir lieu en Europe (accord avec Euromissile en 1991). Après une stagnation, les ventes à l’exportation, pour la version terrestre, semblent devoir reprendre.

 

Comme nous l’avons indiqué, au chapitre 12, l’armée de terre française, prévoyant un maintien en service jusqu’en 2020, a décidé d’améliorer ses systèmes Roland 2 (tous temps) sur les points suivants :

- dans la version d’origine, le poste de tir (veille, poursuite et missiles) était monté sur un AMX 30. Pour l’utilisation par la Force d’action rapide, le poste de tir est installé dans une cabine aérotransportable, nommée Carol : les premières cabines ont été livrées en 1994 ;

- intégration prévue, en France et à la fin des années 1990, du Roland dans le système de contrôle et de coordination des feux appelé Martha (maillage antiaérien des radars tactiques contre hélicoptères et avions) ;

- adjonction d’un nouveau système optronique de veille sectorielle et de conduite de tir, le Glaive (SAGEM), et refonte du calculateur et des moyens de visualisation associés ; le Roland devient trimode, optique, radar et infrarouge, et résistera mieux aux contre-mesures. Cette modification doit être effectuée à la fin des années 1990 ;

- adoption du missile Thomson VT 1, lors de l’obsolescence des missiles Roland.

 

Les systèmes SAAM et SAMP

La famille FSAF Aster est développée sous la responsabilité de GIE Eurosam, associant Alenia, Aérospatiale et Thomson-CSF. Ce programme comprend trois systèmes distincts, avec une structure commune, les systèmes SAAM et SAMP 19 :

- le système SAAM (surface-air antimissile) naval, comportant le missile Aster 15 et le radar multifonction Arabel (SAAM français) ou Empar (SAAM italien) ;

- le système SAMP naval, comportant le missile Aster 30 et le radar Empar.

- le système SAMP terrestre, comportant le missile Aster 30 et le radar Arabel. La structure commune comprend :

- un radar multifonction, équipé d’une antenne mobile en gisement et à balayage électronique en site et en gisement, assurant simultanément la veille aérienne, la localisation des cibles, l’entretien de leur poursuite et la liaison avec le missile ;

 

19 Du fait qu’il n’a été défini qu’en 1998, nous ne décrirons pas le système PAAMS devant équiper les frégates françaises, britanniques et italiennes ; mais il utilise, sans changement, les missiles Aster 15 et 30.

 

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- un ensemble de calculateurs et de consoles assurant le pilotage du radar (forme d’onde émise suivant le site…) et les fonctions traditionnelles de commande et de contrôle (évaluation de la menace, plan d’engagement, automatisation du tir…) ;

- le missile composite lancé verticalement et composé d’un étage d’accélération largable et spécifique à la version du missile (15 ou 30) et d’un missile commun ayant une phase de guidage mi-course et un autoguidage terminal (autodirecteur électromagnétique actif) ; durant la phase de guidage micourse, des informations de rafraîchissement de la position de la cible sont transmises au missile, ce qui doit permettre l’accrochage de l’AD sur l’objectif ;

- un système de lancement vertical fondé sur un module de huit munitions ; ce système assure le stockage et le lancement dans des délais très brefs.

 

Les principales caractéristiques et les performances non classifiées sont les suivantes :

- la mission du SAAM est l’autodéfense du navire contre la menace la plus contraignante envisagée à la fin des années 1980 : missile antinavire supersonique et manoeuvrant suivant une hélice (accélération transversale de 10 g) et, bien entendu, les missiles subsoniques et les avions ;

- les missions des SAMP sont la défense à moyenne portée des grands bâtiments, la protection des sites fixes et la protection du corps de bataille contre la menace moderne. Ces systèmes sont, bien entendu, multicibles ;

- masses des missiles : 300 kg pour l’Aster 15, 440 kg pour l’Aster 30 ; 112 kg pour le missile commun.

- durant la phase d’accélération, le missile composite est piloté à l’aide de servomoteurs hydrauliques, ce qui est nécessaire pour le basculement, dans un délai bref, du missile Aster 15 tiré sur une cible à très basse altitude ;

- missile commun : propulseur de croisière ; pilotage PAF : configuration classique avec gouvernes aérodynamiques commandées par des servomoteurs électriques Lucas (de l’ordre de 30 g pour la manoeuvrabilité) ; près de l’impact, adjonction du pilotage PIF, fournissant une force latérale au centre de gravité grâce à des jets latéraux d’un propulseur spécifique (de l’ordre de 10 g durant 1 s) : c’est le pilotage original PIF-PAF, qui permet une légère réduction du temps de réponse du missile par rapport aux missiles modernes, et donc de la distance de passage ; guidage mi-course inertiel utilisant une centrale à éléments liés avec des gyrolasers (SAGEM et Alenia) et les informations provenant de la liaison radar-missile ; autodirecteur pulse doppler actif Alenia-ESD (dérivé de celui du Mica) ; charge à fragmentation à effet dirigé d’une masse de 15 kg environ, déclenchée par une fusée de proximité électromagnétique.

- vitesse maximale de Mach 3 à 3,5 ;

- pour le SAAM, la distance d’interception maximale varie d’environ 9 km sur une cible supersonique à 15 km sur une cible subsonique, soit une distance de tir pouvant atteindre 20 km ; altitude maximale de 10 000 m ;

- pour le SAMP, la distance d’interception maximale est de l’ordre de 30 km, soit une distance de tir pouvant atteindre 60 km ; altitude maximale de 18 000 m.

- très faible temps de réaction des systèmes, de l’ordre de 8 à 10 s, du fait de la conception du système : vitesse de rotation de l’antenne du radar égale à 1 tour/s ; automatisation du tir ; lancement vertical ; temps de préparation du missile très réduit.

Les différentes versions comportent des équipements sol spécifiques : pour la version SAMP/T française, un camion TRM 10 000 permettant la mobilité et l’aérostransportabilité ; ou encore des senseurs complémentaires (radar pour la veille zénithale ; moyens optroniques).

Le développement a été lancé en 1989. Pour la France, c’est un système interarmées, avec des versions SAAM et SAMP/N pour la Marine et SAMP/T pour les armées de l’Air et de la Terre. L’Italie est intéressée par l’ensemble du système pour sa Marine et pour son armée de Terre. La Grande-Bretagne n’est intéressée que par les deux versions navales.

La mise en service du premier SAAM, devant équiper le porte-avions Charles de Gaulle , est prévue à la fin des années 1990 ; elle est prévue au début des années 2000 pour les autres versions. Le marché potentiel est très important 20. Mais le coût élevé du système risque de limiter sa diffusion (voir annexe 1).

 

Les principaux concurrents du SAAM sont les programmes développés dans la deuxième période et actuellement en service ; ils ont été améliorés en adoptant le tir vertical : ce sont l’Evolved Sea Sparrow américain et le Sea Wolf britannique. Un autre concurrent, le RAM (Rolling Airframe Missile), a été développé en coopération entre les Allemands et les Américains : c’est un missile autoguidé passif avec un AD bimode (électromagnétique pour la première phase et infrarouge pour la rencontre). La production est en cours : 5 500 missiles sont prévus, dont 1 450 pour l’Allemagne, 2 400 pour les États-Unis et le reliquat pour l’exportation. Ces trois systèmes sont limités à la menace subsonique et à une menace non saturante : c’est la différence avec l’Aster.

En matière de SAMP, les systèmes américains ont continué à être améliorés : ce sont le Hawk et le système naval Standard, à tir vertical. L’événement principal a été l’utilisation du Patriot comme antimissile contre le Scud, durant la guerre du Golfe. C’est un système conçu en 1965 et opérationnel en 1982, comportant quatre radars avec une antenne fixe à balayage électronique et un missile imposant (1 000 kg avec une charge de 90 kg, une grande vitesse et une portée de l’ordre de 70 km) ayant les caractéristiques nécessaires pour être adapté en antimissile de première génération. 6 000 missiles ont été commandés par les Américains. Une version antimissile améliorée est en cours de développement : le PAC 3, avec le missile ERINT prévu pour faire l’impact.

 

Conclusions sur les sol-air

Dans les années 2000, les armées françaises, pour la première fois, seront entièrement équipées de missiles français très compétitifs.

Les deux autres événements majeurs sont liés à l’Aster : il s’agit de l’absence d’un concurrent américain et de la coopération européenne en cours (France, Italie et Grande-Bretagne) dans le domaine SAMP, pour lequel les Américains avaient la prépondérance en Occident.

 

20 À la fin de 1999, commande de cinq systèmes SAAM (un pour le porte-avions Charles de Gaulle , un pour le porte-aéronefs italien Andrea Doria et trois pour les frégates saoudiennes Sawari II), de trois systèmes PAAMS (un par pays : France, Italie et Grande- Bretagne) et d’environ 400 missiles Aster 15 et 30.

 

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LES DRONES

 

Cette troisième période est caractérisée par une prise de conscience de la part des états-majors quant à la valeur opérationnelle des drones ; les sceptiques se sont tus. Les Israéliens avaient été les premiers à les utiliser dans les conflits au Proche-Orient en 1973 et en 1982, en mission de surveillance et de leurrage (cf. chapitre 9). Les États-Unis, n’ayant pas réussi à mettre au point des drones viables, ont acheté des drones israéliens et les ont utilisé avec succès durant la guerre du Golfe de 1991.

Le besoin manifesté, dans les années 1980, par les armées de Terre occidentales concernait le drone dit « tactique », avec une mission de targeting pour l’artillerie de type MLRS. Les événements de 1990 et 1991 ont fait évoluer ce besoin : l’effondrement de l’URSS a supprimé la grande bataille potentielle de chars et la guerre du Golfe a montré l’intérêt du drone, ayant un grand rayon d’action et capable d’assurer la surveillance permanente et en temps réel ; cette dernière mission a été confirmée lors du conflit en Bosnie. L’idée d’un drone d’endurance, transmettant ses informations par une liaison satellitaire, est ainsi apparue aux États-Unis, à la fin de cette troisième période.

En 1995, la situation française était la suivante : l’armée de Terre peut utiliser le missile de reconnaissance CL 28 21, qui a une autonomie limitée ; le développement du drone Brével, conçu à la fin des années 1980, a été lancé à la fin de 1992, et un programme intérimaire, Crécerelle, a été commandé.

 

Le Brével – GIE Eurodrone (Matra et STN Atlas Elektronik)

Les missions principales imparties au système Brével 22 étaient les suivantes :

- en temps de crise, il devait être un excellent outil, avec une faible vulnérabilité et avec l’absence de risque de perte humaine ;

- en cas de conflit, il devait d’une part fournir les renseignements au commandant de division pour concevoir et conduire sa manoeuvre, d’autre part d’être « l’oeil de l’artillerie », c’est-à-dire désigner avec précision les objectifs et évaluer les dégâts.

La surveillance en temps réel devait être permanente (permutation des drones toutes les trois à quatre heures), nuit et jour (grâce à un senseur infrarouge), dans une ambiance sévère de brouillage et dans la profondeur du champ de bataille incombant à la division.

 

Les principales caractéristiques et performances non classifiées sont les suivantes :

- une batterie comprend une (ou deux) station(s) de contrôle et de commandement (SCC), le véhicule porte-antenne relié au SCC, plusieurs véhicules aériens (5 à 7) et les véhicules de servitude (lancement de drone, récupération, remise en état) ;

 

21 Le CL 289 a été utilisé avec succès en 2000 au Kosovo.

 

22 L’histoire en a été donnée au chapitre 12, Coopération franco-allemande.

 

- le drone Brével est léger (150 kg), de configuration avion, éjecté du camion lanceur par des roquettes de coût faible, propulsé par un moteur à hélice à deux cylindres et récupéré par un parachute (avec des airbags). Il comporte un système de navigation et le vol est programmé avec téléguidage par la station sol (changement de trajectoire ou de ligne de visée…). Brével a une très faible détectabilité (visuelle, infrarouge, radar et sonore). La charge utile est un FLIR infrarouge de technologie moderne (bande 3, détecteurs à barrette IR-CCD) avec zoom, monté sur une plate-forme trois axes avec débattement de ± 70°;

- la liaison drone-SCC transmet les ordres de télécommande, les informations de télémesure (ligne de visée) et l’image détectée, qui est compressée pour réduire la bande passante de la liaison. En bande Ku, elle est très protégée contre les contre-mesures ;

- la SCC est très automatisée (par exemple pour la reconnaissance d’objectifs). Le personnel comprend deux opérateurs et un responsable, ce dernier recevant les ordres du QG et transmettant les résultats en temps réel. Les opérateurs préparent la mission, exécutent la mission de surveillance et interprètent les images. Ils peuvent commander au drone des trajectoires circulaires autour d’un supposé objectif et zoomer dessus ;

- les performances approximatives sont les suivantes : vitesse de 140 km/h ; autonomie de 4 heures ; vol à une altitude d’environ 2 000 m et sous la couche nuageuse ; portée maximale de la liaison de 60 à 120 km, suivant le niveau de brouillage ; précision de désignation des objectifs de 50 à 100 m (artillerie), même en cas de brouillage.

 

La répartition de responsabilité des principaux ensembles était la suivante ; la maîtrise d’oeuvre du système relevait du GIE, la SCC de Matra, le drone, y compris le FLIR, de STN et la liaison de Dasa (Telefunken) et Matra en cotraitance.

Comme nous l’avons indiqué, le contrat de développement a été notifié au GIE à la fin de 1992 et l’expérimentation tactique commune est prévue à partir de 1997. La mise en service dans les deux armées de Terre pourrait intervenir à la fin des années 1990.

Il s’agit d’un matériel très sophistiqué des points de vue de la discrétion, de la détection par le FLIR, de la protection de la liaison contre le brouillage, de l’exploitation par la SCC et de la fiabilité.

 

Le Crécerelle – SAGEM

Nous avons déjà indiqué qu’en 1992, l’EMAT a désiré acquérir rapidement un matériel expérimental, sans spécification. Après une consultation internationale, c’est la proposition française la moins disante qui fut choisie en 1993 : c’était le Crécerelle.

Le système est fondé sur des équipements existants : vecteur aérien britannique (cible) tiré d’une rampe de 10 m de longueur, analyseur monoligne infrarouge Cyclope 2000 de la SAT, liaison non protégée et station de contrôle simplifiée. Les deux batteries commandées devraient être livrées à la fin de 1995.

 

La concurrence 23

À partir de leur drone de la première génération, le Scout, utilisé en 1982, les Israéliens ont développé, durant la troisième période, deux générations de drones de reconnaissance en adoptant une approche évolutive en liaison avec les opérationnels (nouveaux besoins et nouvelles technologies) ; la durée de mise au point de ces deux générations fut réduite.

La deuxième génération, dans les années 1980, correspond au Pioneer, ayant une autonomie de 5 heures et un rayon d’action de 185 km ; il ne fut pas utilisé par les Israéliens ; en 1985, il fut acheté par les États-Unis pour des expérimentations.

La troisième génération, dans les années 1990, comprend le Searcher, utilisé par les Israéliens à partir de 1994, et le Hunter, réalisé en association avec les Américains (TRW). L’autonomie est de 12 heures environ pour un vol à 4 000 m d’altitude.

Pour augmenter la portée de transmission des informations, l’idée d’un relais aérien assuré par un deuxième Hunter est née : une portée de 300 km fut obtenue ; la liaison satellitaire fut l’extrapolation de ce relais.

 

Les Américains expérimentèrent le Pioneer en l’améliorant constamment. En 10 ans, leurs neuf systèmes ont volé 15 000 heures, y compris 530 sorties opérationnelles de surveillance (1 700 heures de vol) durant la guerre du Golfe. C’est cette utilisation qui fut le révélateur, pour les états-majors, de la nécessité de cet équipement. Le Pioneer fut aussi utilisé durant les conflits en Somalie et en Bosnie. L’expérimentation du Hunter commença en 1994 et, après plusieurs déboires, le programme fut arrêté à la fin de 1995 24. Les Américains expérimentèrent aussi des mini-drones et leurs limites apparurent.

Les Américains définirent, en 1994-1995, deux programmes. Le premier concernait un drone tactique de reconnaissance destiné à l’armée de Terre, au corps des Marines et à la Marine, avec une autonomie de 4 heures. Le second concernait un drone de grande endurance, avec deux classes : Male, c’est-à-dire moyenne altitude (jusqu’à 10 000 m) et longue endurance (24 à 48 heures) et Hale, c’est-à-dire haute altitude (15 000 à 20 000 m) et longue endurance. Les drones de longue endurance utilisent une liaison satellitaire ; leur rayon d’action varie entre 700 km pour le Male à plusieurs milliers de km pour le Hale ; de nombreux senseurs sont utilisables : optroniques, radar à antennes latérales... Pour le Male, la mission prioritaire est d’une part la surveillance « jour et nuit et tous temps », la localisation de cible et l’évaluation des dommages, d’autre part l’écoute et l’analyse des signaux électromagnétiques.

 

23 G. BAFFERT-FORGES, « La robotique militaire aérienne aux États-Unis et en Israël », Revue scientifique et technique de la défense , n° 44, 1999-2.

 

24 Le coût des améliorations fut élevé : pour le Pioneer, 250 millions de dépassements pour un coût d’achat de 280 millions ; pour le Hunter, le prix des 176 modifications fut de 456 millions de dollars pour un prix d’achat de 171 millions (ibid.).

 

Le premier drone Male, le Predator (masse de 1 135 kg et envergure de 14,8 m), lancé en développement en 1994, fut déployé en 1995 en Bosnie. Le premier drone Hale, le Global Hawk (12 000 kg, envergure de 35 m, autonomie de 35 heures) est en cours de développement.

 

Conclusion sur les drones

Sauf pour Israël, qui a été le précurseur, la période d’apprentissage des drones semble s’achever, après les multiples expérimentations. Pour de nombreux pays, dont les États-Unis, les nombreux problèmes techniques, comme la fiabilité de la récupération durant la vie du drone (50 vols par exemple), ainsi que les coûts, avaient été sous-estimés ; les spécifications de l’ensemble du système avaient été souvent floues ou trop ambitieuses.

Une nouvelle ère commence pour les drones des pays pouvant utiliser une liaison satellitaire. Dans ce domaine, les Américains ont pris le leadership. La France, comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne, est en retard.

 

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