De 1959 à 1979 : La maturité

 

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CHAPITRE 8

LES ACTEURS : L’INDUSTRIE

LES MISSILIERS

 

Nord-Aviation (après 1970, SNIAS, après 1984, Aérospatiale)

Les principaux événements, durant cette période, furent la coopération avec Bölkow et l’évolution de la stratégie technique concrétisée par le lancement de l’Exocet.

Les nombreuses raisons ayant poussé à la coopération franco-allemande sur les missiles Milan, Hot et Roland ont été décrites au chapitre précédent ; il faut y ajouter la volonté de coopérer manifestée par M. Stauff dès le début des années 1960. Il acceptait que Nord-Aviation perde son rang de leader, alors que son missile SS 11, supérieur au missile Cobra allemand, commençait à connaître un succès mondial. M. Stauff, alsacien, était plus à l’aise avec les Allemands qu’avec d’autres nationalités et il était convaincu de l’étroitesse du marché national et de la nécessité de coopérer. Il voulait assurer l’avenir de sa société.

En 1968, après l’enthousiasme lié au démarrage de la coopération, des difficultés intervinrent concernant le management des programmes développés dans ce cadre. En outre, la différence de politique entre les deux pays pour les autorisations d’exportation pouvait limiter le succès d’un programme. En définitive, M. Stauff orienta son projet d’Exocet, conçu à cette date, vers un programme national, cette position étant partagée par les services officiels.

La filière du missile simple et téléguidé manuellement, choisie comme stratégie fondamentale par l’Arsenal pendant la première période, avait été un succès ; elle avait aussi été la seule voie française pour réussir industriellement, compte tenu de l’état de la technologie électronique ; ce succès a été confirmé pour les programmes lancés en 1959 : SS 12 et AS 30.

Mais la nécessité d’un tireur entraîné créait des limitations. Avec l’adoption du téléguidage semi-automatique infrarouge, qui permettait d’accroître l’utilisation opérationnelle pour une augmentation acceptable du coût du poste de tir, le succès mondial a été assuré pour les missiles lancés dans cette période (antichars de deuxième génération Milan et Hot ; sol-air Roland).

Toutefois, le domaine de la filière du téléguidage restait limité aux missiles à courte portée et sur des cibles peu manoeuvrantes ; l’autoguidage s’imposait pour les autres missiles, d’autant que la technologie électronique progressait. En 1959, le choix de l’air-air autoguidé Matra R 530 au lieu du Nord 5104 avait montré cette limite.

En septembre 1968, M. Stauff, percevant l’intérêt industriel du missile antinavire, définit le MM 38, premier mer-mer moderne ; c’était un missile sophistiqué (guidage mi-course inertiel et autoguidage final), avec l’avantage de la nouveauté. Nord-Aviation avait trouvé sa deuxième filière, la famille Exocet ; cela a imposé un « virage » du point de vue stratégique, mais ce choix a conforté Nord-Aviation, le marché du téléguidage devenant mineur dans les années 1990.

 

Les conditions de la naissance du MM 38 méritent d’être connues. Jusqu’en 1967, le missile antinavire n’était pas pris en considération par les Marines française, américaine et britannique ; l’Allemagne développait lentement le Kormoran pour son Aéronavale et avait commandé l’autodirecteur à CSF. En France, des études générales étaient financées par le STAé à Nord-Aviation : l’AS 33 pour le guidage inertiel et des études du vol à très basse altitude, en association avec le RAE, dans le cadre d’un projet d’AM 15 pour l’armement d’hélicoptères. En 1967, la Grèce avait négocié une commande de vedettes françaises armées de missiles non définis ; Nord-Aviation et le STAé prévoyaient la vente du MM 12 (6 km de portée). Seuls les Soviétiques, n’ayant pas d’aviation embarquée, avaient mis en service, au début des années 1960, le Styx ; c’était un gros missile relativement simple, du type avion, pesant 2 300 kg, équipé d’une charge de 500 kg et ayant une portée de 40 km. Le 21 octobre 1967, le navire Eilath israélien, patrouillant au large de Port-Saïd, fut coulé par trois missiles Styx (chacun avait fait l’impact) tirés d’une vedette égyptienne. L’émotion fut considérable ; mais il fut jugé que c’était une agression menée par surprise et aucun programme ne fut lancé immédiatement, en Occident.

 

Cependant, en 1968, les Grecs exigèrent des missiles de grande portée ; la DAI poussait Nord-Aviation à faire une proposition dans ce sens. La direction générale de la SNIAS prit alors le risque du lancement du MM 38, sous réserve d’un intérêt de la Marine française, qui fut acquis rapidement ; le ministre donna son accord en octobre 19681 et le contrat d’étude du STCAN fut signé à la fin de décembre 1968, ainsi que le contrat grec. La famille Exocet est un grand succès.

D’autres programmes, ne faisant pas partie des deux filières de base, furent ou commencèrent à être développés : les dérivés de la cible CT 20, le R 20 et le M 20 (programme Suédois RB 08) ; la cible C 22 ; l’AS 30 laser et l’AS 15 TT. Il faut y ajouter le missile préstratégique, l’ASMP, qui possède alors, avec son statoréacteur, une technologie de grand avenir pour la propulsion des missiles tactiques.

La situation de la Division à la fin des années 1970 était la suivante. Compte tenu des importantes commandes de missiles antichars reçues à la fin des années 1950 (ENTAC, SS 11), Nord-Aviation avait installé ses moyens de production à Bourges ; la société a dû les augmenter dans les années 1960, avec l’augmentation des cadences et les nouvelles productions : AS 20, AS 30… Le Centre pyrotechnique du Subdray, près de Bourges, fut créé, en particulier pour les moyens d’essais (240 hectares). Avec les Milan, Hot, Roland et la famille  Exocet, le plan de charge en production semblait assuré pour les années 1980.

 

1 Voir chapitre 7, DTCN.

 

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La part du chiffre d’affaires à l’exportation était de 70 % environ.

Le plan de charge en études reposait sur la fin des développements de l’AS 30 laser, du SM 39 et de l’ASMP, sur les améliorations relatives principalement au Hot et au Roland et sur les projets de la troisième génération d’antichars. En 1970, l’effectif de la Division était de 3 500 personnes ; il passa à 5 800 en 1976 et à 6 000 en 1980, dont 1 300 en « études et essais ».

Après 28 années de direction de la Division, Émile Stauff prit sa retraite de la SNIAS en 1974. C’est l’ICA (M) Michel Allier qui prit le relais. En plus des responsables déjà cités, qui avaient participé à l’aventure de la première période et dont l’activité s’est poursuivie pour la plupart, nous citerons M. Colette, directeur du programme Milan, M. Pinel, qui fut le responsable des missiles aéroportés et ensuite le directeur de programme de l'Exocet, et l’ICA Jean-Claude Renaut, qui fut le directeur des fabrications modernes, comme les structures composites, la microélectronique, les piles thermiques, etc.

 

Matra

La société Mécanique Aviation Traction est devenue, en 1960, société Engins Matra puis, en 1977, société Matra. Ces changements de nom traduisent l’évolution de la stratégie de la société. En 1960, elle fonde son avenir seulement sur les engins ; en 1977, « Matra » est devenu non plus un sigle, mais une véritable marque, avec les succès remportés par les missiles et par les courses automobiles. En plus des succès techniques et commerciaux, cette société a été dynamisée par Jean-Luc Lagardère, recruté le 1er janvier 1963 par Marcel Chassagny comme directeur général. En 1977, M. Lagardère le remplace comme PDG.

La chronologie des événements clés permet de comprendre l’évolution de Matra.

En octobre 1959, la société a gagné, avec le R 530, la compétition pour l’air-air du Mirage III. Elle le développe ; il est mis en service en 1964 : c’est le premier missile antiaérien français équivalent aux missiles américains. Elle commence aussi la production du R 511 (20 par mois). Elle espère obtenir de la SEREB, dont elle est actionnaire, quelques études sur les missiles stratégiques et elle produit des lance-roquettes. L’avenir semble limité.

Des contacts se sont créés, au début de 1960, avec la société britannique De Havilland Propellers sur l’air-air ; cette société, avec l’appui de ses autorités officielles, désirait l’adoption sur le R 530 de son autodirecteur infrarouge, prévu pour le Red Top. Les responsables techniques de Matra, ainsi que ceux du STAé, n’étaient pas favorables. En effet, d’une part, les Britanniques ne voulaient pas développer de version électromagnétique avec l’autodirecteur français ; d’autre part, cette coopération aurait arrêté toute étude d’autodirecteur infrarouge en France. À la fin de 1960, cette proposition britannique fut rejetée par M. Blancard, délégué ministériel pour l’Air, à la demande de la DTIA.

 

En 1963-1964, trois opérations ont eu lieu, liées en partie à l’arrivée de M. Lagardère ; l’avenir devenait plus rose.

Avec l’appui de la DTCA, Matra a été choisie par les Australiens pour l’armement des Mirage III 0 avec des R 530, malgré l’influence des Américains sur la plupart des officiers australiens. L’une des conditions était de réussir des tirs à haute altitude, ce qui a imposé une campagne de tirs à Woomera. L’exportation de missiles commençait.

Dans le cadre de la coopération franco-britannique pour le Martel, Matra a été choisie comme maître d’oeuvre de la version Martel (AR) et comme coresponsable, avec HSD, du véhicule commun ; cette dernière société a été choisie par le MOA du fait des relations entre Matra et HSD, qui étaient restées cordiales2. Ce fut le développement d’un nouveau type de missile complexe pour l’époque ; il a assuré une charge de développement pendant huit années et des espoirs pour une production importante – qui se révélèrent vains.

La CFTH, maître d’oeuvre du SACP téléguidé Crotale au titre de l’exportation, a proposé à Matra d’être responsable du missile. Matra a accepté cette coopération alors que Nord-Aviation avait refusé cette offre. C’était l’entrée de Matra dans les « petits missiles » ; ce programme de véhicule assura 15 années de développement, avec les différentes versions, et une production de 6 400 missiles.

Mais c’est entre 1967 et 1969 que l’avenir de Matra se joua.

Les Israéliens avaient acheté un nombre très limité de R 530 pour armer leurs Mirage III J. Ils les ont tirés à partir de 1965 contre des Mig 17 ou 19, lors de combats aériens fréquents sur leurs frontières. Le résultat a souvent été un échec, car les conditions de tir étaient « hors domaine » : les interceptions étaient réalisées à vue et à distance faible. Le missile R 530 n’était pas adapté. En plus des missiles classiques, dits « d’interception », des missiles de combat tournoyant, dits « dogfight », se révélaient indispensables.

Après discussions avec les Israéliens, Matra comprit que ce nouveau besoin allait s’imposer à toutes les armées de l’Air si son coût était abordable. L’EMAA et le STAé adoptèrent ce besoin et des spécifications furent établies (l’accord sur le prix maximum fut plus difficile, l’EMAA étant très exigeant) ; après consultation industrielle, Matra fut choisie et le contrat de développement du Magic fut notifié en 1969. Le Magic est un petit missile autoguidé infrarouge très manoeuvrant et peu cher ; les Américains ont amélioré leur missile Sidewinder, qui resta cependant inférieur au Magic. Les livraisons en série commencèrent en 1975 (2 500 exemplaires avaient été commandés pour l’exportation avant la sortie du premier).

C’est le missile Magic qui a permis à Matra de devenir une véritable société industrielle et d’être considérée par les Américains.

En 1970, le contrat de développement du Super 530, successeur du R 530 devant équiper le Mirage F1, était notifié à Matra. Par rapport au R 530, c’était un missile mature.

En 1970 également, Matra, recherchant des dérivés pour le Martel, s’était associée avec Oto Melara pour développer un missile antinavire spécifié pour la Marine italienne et pour l’exportation. C’est l’Otomat, qui a une originalité par rapport à l’Exocet : sa grande portée, grâce à sa propulsion par turboréacteur.

 

2 Ces relations Matra-HSD furent intensifiées avec un accord de coopération pour l’espace signé en 1964.

 

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Les relations entre les deux coopérants furent très cordiales et le missile eut un succès correct. L’évolution de Matra était nette ; elle avait pu financer une partie d’un développement de missile exportable.

Enfin, entre 1963 et 1972, la DIRCEN (Direction des centres d’expérimentation nucléaire, direction de la DAM du CEA) a passé d’importantes commandes de missiles de prélèvements de gaz et de poussières, par l’intermédiaire du STAé. Ces missiles étaient tirés dans les nuages lors des essais aériens des charges nucléaires : c’étaient les R 536 (véhicule R 530), R 637 et R 638 (véhicule Martel). Cela assura un bon plan de charge en production.

On peut ainsi résumer la situation de Matra à la fin des années 1970. La société était devenue l’un des missiliers les plus compétents au niveau mondial pour les air-air infrarouges et électromagnétiques et pour les antiradars. Son bureau d’études était innovant ; Matra avait consacré beaucoup d’énergie à essayer d’accroître son domaine ; mais il y avait eu beaucoup d’échecs.

La société avait fait l’expérience de la coopération avec les Italiens et avec les Britanniques ; avec ces derniers, le résultat était mitigé. Matra n’avait pas trouvé de place en Allemagne, celle-ci achetant ses air-air aux États-Unis. Les tentatives de coopération avec les sociétés américaines s’étaient traduites par un échec.

Durant les années 1970, Matra était devenue exportatrice, pour 75% environ de sa production. Son plan de charge en production semblait assuré pour les années 1980 ; en revanche, ce n’était pas le cas pour les développements, sans nouveaux programmes ; l’espoir reposait sur les projets de sol-air en cours.

En 1966, Matra s’était installée sur le plateau de Vélizy, pour ses moyens d’études ; ses moyens de production étaient en Sologne : à Salbris depuis 1956 et à Selles-Saint-Denis, centre d’intégration pyrotechnique très moderne créé à la fin des années 1970. L’effectif de la Division missiles était d’environ 3 500 personnes.

Les personnes ayant marqué cette période, en plus de celles déjà citées, Marcel Chassagny, Jean-Luc Lagardère et Yves Hébel, sont, classées suivant la date de leur arrivée :

- Jean Paolorsi, directeur de programme des « gros missiles », comme le Martel, et concepteur de l’Otomat ;

- Jean-Élie Cadoux, ancien capitaine de l’armée de l’Air, l’un des concepteurs opérationnels du Magic ;

- Émile Durand, chargé du Masurca, puis de la Direction industrielle, qui devint directeur de la branche de 1975 à 1986 ;

- Jacques Amann, avec son expérience acquise au SADTC (SHAPE Air Defense Technique Center ), dirigea les études de systèmes et de prospective ;

- René Carpentier, directeur adjoint de la branche, dirigea la préparation de l’avenir et les coopérations des années 1970 et 1980.

 

Remarques communes aux deux missiliers

Les missiles conçus dans la deuxième période sont en général équipés d’un calculateur pour le guidage. Les missiliers en ont gardé la responsabilité, considérant que c’était le coeur du missile et que le logiciel serait évolutif avec les résultats des essais.

La méthode de développement des missiles a totalement évolué entre les années 1950, où les tirs furent très nombreux (peut-être trop), compte tenu du peu de moyens de simulation, et les années 1970, où le missile fut totalement simulé et où quelques tirs (souvent pas assez) furent seulement prévus pour la vérification et la qualification.

 

LES SYSTEMIERS

 

Pour l’intégration aux avions et aux navires des missiles les armant, ce sont les directions de la DMA (DTCA ou DTCN) qui ont assumé cette responsabilité avec, en général, une coordination industrielle. Le problème restait posé pour les systèmes terrestres, particulièrement pour les sol-air.

Nord-Aviation et MBB ont rempli ce rôle pour le Roland, Matra et Oto Melara pour la batterie côtière sol-mer Otomat développée pour l’Égypte.

 

CFTH, Division des systèmes électroniques (DSE)3

Ce radariste est devenu un maître d’oeuvre systémier après l’expérience acquise avec la production du Hawk. Il a obtenu de l’Afrique du Sud, en 1964, un contrat (appelé Cactus) pour le système sol-air à téléguidage automatique Crotale. Thomson s’engageait à le développer avec la participation d’ingénieurs sudafricains (pour la formation). Ce contrat a été obtenu grâce à un réseau commercial efficace. La DSE a alors été créée.

Son importance s’est nettement accrue d’une part avec l’adoption du Crotale, dans les années 1970, par l’EMAA et par l’EMM, d’autre part avec les exportations, suite à la guerre israélo-arabe de 1973. Les clients furent la Libye et les pays du Golfe, puis l’Arabie saoudite, qui passa, en novembre 1974, l’important contrat Shahine pour l’arme blindée (système monté sur châssis AMX 30 et missile de portée augmentée). À la fin de 1976, la DSE avait 84 mois de production en carnet, dont 90 % à l’exportation.

La création, à la fin des années 1970, du système naval de défense antimissile Crotale EDIR (écartométrie différentielle infrarouge), adopté par l’Arabie saoudite (contrat Sawari) et par la Marine française, a été aussi un facteur de croissance.

Mais le succès majeur de la période s’appelle Al Thakheb, « le perforant » : c’est un contrat de 6 milliards de dollars (selon des sources de Thomson-CSF), passé en 1985 par l’Arabie saoudite, qui faisait suite au contrat Shahine et avait pour objet la couverture complète de défense antiaérienne du territoire (avec missiles) ; la place de Thomson comme systémier était renforcée.

L’activité Crotale et Shahine s’est déroulée sur 27 années d’études et de production, et le programme continue avec la nouvelle génération4.

 

3 Thomson-Houston Hotchkiss-Brandt en 1966, Thomson-CSF en 1968.

 

4 Voir chapitre 14.

 

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Comme nous l’avons déjà indiqué, Thomson a sous-traité la responsabilité des missiles à Matra ; la coopération technique entre les deux sociétés, fondée sur la complémentarité, a été constructive. En outre, ces deux sociétés coopéraient sur des projets de SAMP, au titre de contrats du STET. Mais le rôle que voulait jouer Thomson dans les missiles pour les années 1980 semblait plus ambitieux.

Les personnes qui ont marqué cette période sont Julien Binard, directeur de DSE jusqu’en 1982, M. Gras, qui a conçu le projet Crotale et a été le premier chef du programme (il avait fait partie de l’équipe du LRBA, où il était chargé du PARCA), son successeur, Roger Pagazani, de 1974 à 1980, et Jean-François Briand, directeur de programme du Shahine et qui succèda à Julien Binard comme directeur de DSE.

 

LES ÉQUIPEMENTS OPTRONIQUES

 

En plus des équipements infrarouges, fondés sur la détection du rayonnement émis par la cible, les premiers équipements lasers sont apparus à la fin des années 1960. Ils sont fondés sur la détection du rayonnement provenant d’un illuminateur comportant une source laser (émission dans la bande spectrale IR) et réfléchi par la cible.

En outre, à partir de 1970, des études du leurrage infrarouge et surtout de la lutte contre les leurres furent lancées par le STAé/ES ; Matra effectua des études de protection des autodirecteurs et la SAT commença l’étude d’un détecteur aéroporté de départ de missiles par détection du rayonnement du propulseur.

 

La SAT (activité infrarouge)

Nous avons indiqué plus haut que, durant la première période, les bases de la détection infrarouge, en particulier les lois de la transmission de l’atmosphère, avaient été explicitées. La technologie infrarouge (cellules détectrices, filtres, grille pour la détermination de l’écartométrie) relative à la première bande spectrale5 avait été mise au point et avait permis aux Éts Turck de réaliser de premiers équipements : prototype de goniomètre pour le SS 11 et autodirecteur pour le R 511 (non produit en série).

Pendant la deuxième période, les axes d’étude et les équipements développés sont les composants infrarouges et la mesure du rayonnement des avions, les autodirecteurs pour les missiles Matra air-air en bande 2, les goniomètres pour les postes de tir des missiles téléguidés de Nord-Aviation, en bande 1, et l’analyseur infrarouge monoligne pour avion ou missile de reconnaissance. Nous allons les évoquer successivement.

En 1958, le STAé/ES orienta les études vers la mise au point de la technologie de la bande spectrale 2. L’objectif était de réaliser un autodirecteur IR détectant dans cette bande pour l’équipement du Matra R 530, qui devait être lancé en développement en septembre 1958. L’intérêt opérationnel était considérable, car cette bande permettait une détection « tous secteurs » des avions, contrairement à la bande 1, qui limitait la détection à la zone arrière des avions.

 

5 Bande 1 : 1,8 à 3 microns ; bande 2 : 3 à 5 microns ; bande 3 : 8 à 13 microns. Cf. annexe technique n° 3.

 

C’était un pari, car le missile américain Sidewinder 9 B, révélé en 1957, utilisait la bande 1 ; ce n’est qu’à partir de 1978 que la version 9 L fut opérationnelle en bande 2.

La SAT réussit ce pari difficile en un temps record de deux années. La technologie était complexe : cellule détectrice InSb (composé binaire d’antimoniure d’indium à effet photovoltaïque) ; refroidisseur à la température de fonctionnement de la cellule, soit 77° K (par réservoir d’azote liquide), réalisé en coopération avec la société Air Liquide ; irdôme de forme hémisphérique en matériau résistant et transparent (germanate de plomb), conçu en coopération avec Paramontois (devenu ensuite Sovirel).

D’autre part, de 1957 à 1962, le STAé fit effectuer au CEV un important prrogramme de mesures au sol et en vol du rayonnement du jet des réacteurs. Pour la mesure des spectres, des spectroscopes adaptés étaient nécessaires ; ils furent réalisés par la SAT d’après les indications fournies par le professeur Barchewitz.

Toutes ces études de composants infrarouges et ces mesures du rayonnement furent financées par le STAé/ES, jusqu’en 1970, par des contrats annuels au titre des études générales. Le soutien du STAé fut constant.

Les autodirecteurs (AD) pour les missiles Matra air-air en bande 2 concernaient le R 530 et les Magic 1 et 2.

Celui du R 530 était un autodirecteur moderne adapté à la navigation proportionnelle (cf. annexe n° 3). Avec sa bande spectrale, il permettait le tir « tous secteurs » de jour et de nuit, sauf dans un cône de ± 5° par rapport à la direction du soleil ; la tête gyroscopique était réalisée par SAGEM. L’électronique comportait, au début, des tubes miniaturisés ; elle fut transistorisée en 1961.

Le calendrier fut le suivant :

- premier tir du missile (sans charge) en septembre 1961, avec une cible CT 20, détruite par un impact très spectaculaire ;

- pendant le développement et l’évaluation, de nombreux tirs avec impact eurent lieu ;

- au milieu de 1964, début de la livraison de série : 800 exemplaires environ furent produits.

Les progrès, depuis 1957, étaient considérables.

Des installations de production d’azote liquide ont été installées par l’Air Liquide sur les bases aériennes ; elles utilisaient les installations existantes pour l’oxygène. Le seul défaut apparu pour l’AD fut le remplissage de son bidon d’azote : c’était une opération simple, mais qui ne fut pas toujours appréciée par les mécaniciens de piste.

Le Magic 1 est le premier missile de combat avec uniquement un AD infrarouge ; le Magic 2 est la version plus performante, en particulier pour l’AD.

Par rapport au R 530, l’autodirecteur du Magic 1 était plus moderne et plus léger (10 kg avec le gyroscope pour la stabilisation, au lieu de 20 kg). En particulier, le réservoir d’azote liquide était remplacé par un refroidisseur Joule- Thomson utilisant la détente d’azote sec et sous pression (400 bars), stocké dans une bouteille installée dans le lance-missiles (conception britannique pour le refroidisseur) ; cette solution a été jugée opérationnellement satisfaisante.

L’AD du Magic 2 différait principalement du Magic 1 par l’utilisation d’un détecteur multiéléments, qui permettait d’accroître la portée. La solution « monocellule et modulateur » était morte : c’était un premier pas vers la solution de la barrette des années 1980. L’électronique était modernisée : technologie de 1980 et amélioration de la lutte contre le leurrage. Pour l’irdôme, un nouveau matériau (fluorure de magnésium fritté), plus résistant à l’érosion lors de la traversée des nuages, fut adopté ; il était réalisé par le céramiste, la société Desmarquet.

Les développements ont respectivement eu lieu, pour Magic1 et 2, de 1969 à 1975 et de 1978 à 1986. 12 000 autodirecteurs ont été produits.

Les goniomètres infrarouges, en bande 1, ont équipé les postes de tir des missiles téléguidés de Nord-Aviation. Ces missiles étaient équipés de deux traceurs émettant en bande 1 et servant de cible. Nous avons déjà indiqué que le prototype pour le SS 11 avait été conçu en 1953. La difficulté principale résidait dans l’obtention d’une précision d’écartométrie inférieure à 0,1 milliradian en utilisation opérationnelle ; elle fut résolue grâce à une grille mécanique créant une modulation de fréquence. Le guidage du missile fut mis au point en 1963.

Ce type d’équipement fut adopté pour l’AS 30 et surtout pour les missiles Milan, Hot et Roland temps clair. Les goniomètres de ces trois derniers missiles, développés en coopération franco-allemande, ont aussi fait l’objet d’une coopération (à parité des charges) entre SAT et Eltro, filiale de Telefunken. Le développement dura de 1964 à 1975 et environ 10 000 goniomètres furent produits de 1975 à 1995.

L’analyseur infrarouge monoligne (IR line scanner)6 pour avion ou missile de reconnaissance fut développé par la SAT à partir de 1963, sous la responsabilité de la Section ES (qui était le leader des études infrarouges du STAé). Ce fut la famille Cyclope :

- première version en bande 2, adoptée sur le R 20 et le Mirage III dès 1970 ;

- deuxième version Super Cyclope, en bande 3, mieux adaptée pour la détection terrestre, adoptée sur le Mirage III et le F1 CR ;

- troisième version Corsair, en bande 3, choisie après compétition pour l’équipement du drone CL 289 développé par les Canadiens (Canadair) et les Allemands (Dornier). La France adopta ce drone en 1977 : 250 équipements de bord Corsair et 15 stations sol ont été produits entre 1989 et 1993.

Tous ces équipements étaient compétitifs et parfois en avance, du point de vue technologique, sur les matériels concurrents américains.

Les personnes ayant marqué l’époque sont, en plus des deux personnalités déjà citées, qui ont continué à exercer leur fonction, trois ingénieurs ayant débuté dans les années 1950 : Jean-Jacques Baudot, responsable des autodirecteurs, Pierre Bézerie, responsable des goniomètres et qui imagina leur modulateur, et Pierre Lamelot, concepteur des télémesures Turck au début des années 1950 et responsable des activités infrarouges de 1970 à 1990.

 

6 L’image est formée longitudinalement par le déplacement du mobile et transversalement par le balayage mécanique du champ optique perpendiculairement à l’axe du mobile.

 

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Les équipements laser

Trois sociétés ont travaillé dans ce domaine.

La CGE Marcoussis a tranféré cette activité, dans les années 1970, à une filiale : Cilas. Au titre de contrats de la DRME, elle a développé les illuminateurs lasers à 1,06 micron (émetteur solide) utilisés pour ACRA et le pod Atlis.

 

TRT (filiale de Philips) a été chargée, en 1964, du récepteur arrière de l’ACRA, dont l’étude s’arrêta en 1973. C’était les premières années d’application des lasers et une période d’innovation.

Enfin, comme nous l’avons indiqué en retraçant l’historique de l’armement guidé laser, Thomson-CSF (département Guynemer) a été chargée de deux équipements : le pod Atlis pour avion (poursuite et illumination laser de la cible), sous l’autorité du STAé et l’autodirecteur laser Ariel, sous l’autorité du STET. Ce type d’autodirecteur a équipé l’AS 30 laser et les bombes guidées laser (BGL) de Matra (AD Eblis, dérivé d’Ariel). 2 000 AD environ ont été produits de 1982 à 1995. Notons que la société réalisa aussi, dans les années 1960, un écartomètre infrarouge (bande 1) pour la prise en charge du sol-air Crotale, luimême développé par Thomson-CSF7.

 

Les fusées de proximité optroniques (Matra)

Ayant acquis une filiale spécialisée dans l’optique (SFOM), Matra a développé des équipements nouveaux, qui intéressaient peu les sociétés optroniques.

Pour le Crotale, développé par Matra à partir de 1964, le choix de la fusée infrarouge (passive) s’était imposé. Matra a pris la licence de la fusée développée par HSD pour son missile air-air Red Top ; elle l’a francisée et a acheté à HSD les pièces détachées infrarouges.

Pour le Magic 1, le STAé a accepté le choix de ce type de fusée, mais il a fait franciser les composants infrarouges par la SAT. Ce sont les deux seules fusées infrarouges produites en France (11 000 exemplaires de 1974 à 1988).

Le Mistral, développé à partir de 1980, fut équipé d’une fusée laser active Matra, avec un fonctionnement plus satisfaisant que celui de la fusée infrarouge passive.

 

LES ÉQUIPEMENTS ELECTROMAGNETIQUES

 

Dans cette deuxième période, l’activité missiles a été répartie entre quatre sociétés : la CFTH et la CSF (avec un nouveau département), avant de fusionner, ont continué leur activité et les sociétés EMD et TRT ont commencé à s’intéresser aux missiles.

En 1957, la CFTH avait réalisé un équipement de missile valable du point de vue électronique, avec la technologie de l’époque (AD R 511). Le STAé/ES lui avait confié l’étude d’une maquette d’autodirecteur (FX) à tête gyroscopique8, pour préparer le R 530. Mais cette division manquait de dynamisme.

 

7 Voir chapitre 9.

 

Électronique Marcel Dassault (EMD)

En 1954, Marcel Dassault avait créé un Département électronique au sein de la GAMD ; en 1962, ce département devint la société EMD. Pour éviter toute confusion avec l’activité des avions, nous traiterons aussi sous le titre « EMD » de l’activité de ce Département électronique entre 1954 et 1962.

L’anecdote suivante explique l’origine de l’aventure d’EMD pour les autodirecteurs. Depuis 1957, EMD étudiait le radar de bord Super Aïda pour le Mirage III, sous l’autorité du STTA. Mais, en juillet 1958, CSF présenta une maquette de radar concurrente du Super Aïda, avec une antenne « monopulse » ; cette innovation fut tellement appréciée que l‘étude du radar EMD fut arrêtée en octobre 1958. Pour éviter la dispersion de l’équipe d’EMD, l’IGA Bonte, directeur de la DTIA, proposa au STAé de consulter EMD sur l’AD du R 530, pour dynamiser Thomson ; la compétition fut lancée en décembre 1958, avec la réalisation de prototypes. Au début de l’année 1960, EMD avait réalisé un prototype et Thomson avait six mois de retard (avec par exemple des difficultés pour obtenir de sa direction administrative l’autorisation d’acheter quelques oscilloscopes supplémentaires) ; en outre, EMD faisait le pari de la transistorisation, alors que Thomson voulait conserver la technologie « tube ». Le choix en faveur d’EMD fut prononcé en juin 19609.

EMD fut choisie pour plusieurs programmes d’autodirecteur que nous évoquerons successivement : l’AD 26 pour R 530, l’AD 37 pour Martel, l’ADAC pour Exocet, le Super AD 26 pour Super 530 F et D.

L’AD 26 pour R 530 est un AD semi-actif, en bande X, à scanning mécanique et pesant 20 kg. Son étude a commencé au début de 1959 ; il fallait réaliser une tête gyroscopique pour la navigation proportionnelle avec l’antenne fixée sur la toupie, une rotule hyperfréquence, un radôme en alumine et une électronique transistorisée (choix d’EMD). C’était un pari difficile. EMD a défini le projet de tête et a sous-traité la réalisation de prototypes à trois sociétés spécialistes en gyroscopie : AOIP, SFENA et ECA ; six mois après, EMD avait trois têtes ; elle choisit AOIP (Association des ouvriers en instruments de précision).

Tout le développement a été réalisé avec le même dynamisme. Le calendrier a été le suivant :

- février 1960 : premiers essais en vol au CEV ;

- janvier 1961 : premiers tirs de missiles équipés avec l’AD 26 et réussite de tirs en attaque arrière et en attaque frontale (tirs d’avion de servitude du CEV, avec radar Cyrano prototype) ;

- début 1964 : premières livraison de missiles en série. 1 500 AD ont été produits.

 

8 Rappelons que le LRBA avait fourni une maquette d’une tête gyroscopique à SAGEM pour la réalisation d’un prototype d’AD par la CFTH. Voir chapitre 2.

 

9 Comptes rendus des réunions entre M. Blancard et la DTIA (SHAA, dossier E 7433).

 

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L’AD 37 pour Martel est un AD passif, monopulse de phase, devant détecter les radars de la bande L (radar de veille) à la bande C (radar de poursuite) et pesant 32 kg. Deux gyromètres montés sur l’antenne permettent sa stabilisation.

 

De nouveaux paris techniques étaient à gagner :

- développer des antennes ayant une grande bande hyperfréquence (hélice). En 1965, la limite était de 20 % de la fréquence moyenne, d’ou un autodirecteur avec un récepteur commun et trois parties avant (L, S et C) laissant exister des zones non couvertes entre les bandes (appelées « trous ») ;

- détecter des radars classiques à impulsion, des radars à émission continue et des radars à fréquence d’émission aléatoire ;

- « sélectionner » l’énergie provenant du trajet direct de celle des trajets ayant subi des réflexions.

L’étude a été lancée par le STAé/ES, en 1962, dans le cadre d’une compétition française. EMD a été choisie en 1963, compte tenu de la qualité de son projet et de son expérience sur l’AD 26. Le développement a été lancé au début de 1964 et le calendrier a été le suivant :

- en octobre 1965, premier tir réussi sur un cornet cible, après plusieurs échecs ;

- en mai 1966, à Colomb-Béchar, premier tir contre un aérien tournant (antenne récupérée), avec un spectaculaire impact ;

- à la fin de 1967, difficultés de sélection, dues à l’environnement radar français, rencontrées lors des premiers tirs au CEL ;

- au milieu de 1968, après des améliorations, excellents tirs au CEL ;

- mise en service en 1972.

En 1978, les progrès technologiques sur les composants hyperfréquences (antennes, etc.) ont permis d’améliorer l’AD de la version Armat en couvrant « sans trou » les trois bandes avec trois parties avant.

L’ADAC, pour Exocet, est un AD actif à impulsions et monopulse ; il comporte une fonction originale de télémétrie précise (1 m), près de la cible.

EMD a su saisir la chance : nous avons indiqué ci-dessus que Nord-Aviation ne souhaitait pas équiper son missile d’un AD sous la responsabilité du gouvernement allemand, bien qu’il soit développé par CSF (car il fallait l’autorisation de ce gouvernement pour l’exportation). Avec la recommandation du STAé/ES, des contacts furent noués entre Nord-Aviation et EMD.

M. Stauff avait invité à déjeuner, en septembre 1968, la direction d’EMD pour lui présenter la spécification de l’AD ; en huit jours, travaillant de jour et de nuit, EMD réalisa l’avant-projet, et en un mois le projet. Ce dernier satisfaisait Nord-Aviation ; en outre, EMD acceptait d’auto financer le développement. Le lancement eut lieu en juin 1969.

La conclusion fut la création d’un équipement excellent en performances et exceptionnel en fiabilité (50 tirs réussis consécutifs pendant la phase de développement) ; cela renforça la valeur de l’Exocet et la coopération entre les deux sociétés. Le premier tir réussi et la mise en service eurent lieu respectivement en juin 1971 et en 1972.

Une version améliorée, particulièrement pour la lutte contre les brouilleurs et les leurres, dont l’efficacité augmentait, a été développée pour le MM 40. En 1995, la production continuait et elle dépassait les 3 500 exemplaires.

Pour assurer sa part de compensation en charge de production consécutive à l’achat de missiles par la Grande-Bretagne, EMD sous-traita à Marconi. Des liens furent créés et ce fut l’amorce d’une coopération européenne.

Les autodirecteurs (Super AD 26) pour Super 530 F et D représentent, comme leurs missiles, les solutions matures pour l’air-air d’interception en mode semiactif. Ce sont des autodirecteurs monopulses avec la technologie des années 1970, qui pèsent 30 kg (avec le gyroscope) ; par rapport à l’AD 26, la portée est nettement augmentée, en particulier grâce à l’antenne de diamètre plus important. Comme pour le Magic, la stabilisation de l’antenne est assurée à l’aide d’un gyroscope séparé (ce qui évite la tête gyroscopique). Le radôme, allongé d’un facteur 2, crée des difficultés pour l’autodirecteur (aberrations), contrairement à celui de l’AD 26 (hémisphérique) ; mais ce choix a permis une réduction de la traînée.

La différence entre la version F (conçue pour le Mirage F1) et la version D (doppler) résulte du choix du radar de bord. Lors de l’établissement du premier projet de Super 530, entre 1965 et 1967, la menace prise en considération était la basse altitude : seule une version discriminant les cibles des échos de sol par l’effet doppler pouvait convenir. Mais le radar de bord devait détecter les cibles à basse altitude et comporter un illuminateur à ondes continues pour le missile. Les essais, à la fin des années 1960, de la maquette du radar Thomson-CSF Cyrano IV, prévu pour le F1, ont montré que ses performances à basse altitude n’étaient pas suffisantes pour poursuivre une cible10. En conséquence, le radar du F1 ne fut pas équipé d’un illuminateur et c’est un Super AD 26 à impulsions qui fut adopté pour le Super 530 F, lancé en 1970. En outre, la menace prioritaire semblait évoluer vers la très haute altitude (Mig 25). Un retard était pris par rapport au missile concurrent américain, Sparrow à AD doppler, et aux radars de bord pulse doppler américains.

En 1975, lors du choix de la définition du système d’armes du Mirage 2000 DA, c’est un radar pulse doppler Thomson-CSF RDI11 qui fut retenu pour la version définitive de cet avion (la durée de développement d’un tel radar était estimée à 10 années), et le Super 530 D, avec son AD doppler, fut lancé en 1977.

Le calendrier a été le suivant : pour le Super 530 F, lancement en 1970, premier tir réussi en 1974, mise en service en 1979 ; pour le Super 530 D, lancement en 1977, premier tir réussi en 1982, mise en service en 1987. 2 300 AD furent produits.

 

10 Dans les années 1960, la CSF, constructeur des radars de bord Cyrano, était réticente vis-à-vis du radar pulse doppler et avait proposé d’adopter un radar à impulsions doté d’un système d’élimination d’échos fixes ; ce fut un échec.

 

11 Pour mémoire, un accord de promotion d’un système d’armes doppler – radar et autodirecteur – avait été signé en 1965, avec partage du travail ; EMD eut la responsabilité du Super AD 26 doppler, avec une sous-traitance à CSF, et le RDI fut développé en collaboration entre les deux sociétés, Thomson-CSF étant le maître d’oeuvre (« doppler à impulsions » est la francisation du terme pulse doppler).

 

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Ainsi, par son dynamisme et sa compétence, EMD a permis la réalisation d’autodirecteurs électromagnétiques compétitifs avec les Américains pour les missiles air-air, antiradars et antinavires ; en 1980, elle était devenue la première société européenne dans ce domaine.

Plusieurs personnes ont marqué cette période :

- Bertrand Daugny fut le chef du Département dès sa création,en 1954. Il avait été le responsable de la réussite du radar sol Cotal à la CFTH ; il recruta une équipe d’anciens Sup’élec de sa promotion et ce fut l’équipe dirigeante, qu’il anima avec dynamisme ; il succéda en 1986 à Serge Dassault, qui présidait EMD depuis 1967 ;

- Jean Climaud fut chargé des autodirecteurs lors de la consultation en 1958 pour le R 530, et il fut le directeur compétent, efficace et coopératif de cette activité jusqu’à la fin des années 1980, tout en assurant des responsabilités de direction générale ; il fut aussi l’animateur du projet d’AD pour l’Exocet ;

- Bernard Labey, alors directeur général adjoint d’EMD, fut un bon conseiller et Henri Le Tilly, chargé des réalisations mécaniques, fut l’ingénieur qui conçut d’une part la tête gyroscopique de l’AD 26, d’autre par la télémétrie de l’ADAC ;

- l’ICA Jacques Mijonnet, avec l’expérience des radars de bord acquise au STTA, prit la direction du Département autodirecteurs en 1971, avant d’assumer des responsabilités à la direction générale ; il fut le continuateur et le développeur de la politique de M. Climaud.

- deux ingénieurs ayant contribué au développement doivent enfin être cités : M. Guyot (ADAC) et M. Sorin (Super AD 26 D).

 

CSF, Direction AVS (devenue Thomson-CSF en 1968)

Durant cette deuxième période, elle n’a eu la responsabilité que de deux autodirecteurs, pour des missiles navals ; en revanche, depuis 1958, elle était chargée des radars de bord des avions d’interception.

Pour le Masurca, CSF a été chargée, au début des années 1960, de l’autodirecteur semi-actif à ondes continues doppler ; la connaissance de l’AD du Tartar a facilité sa réalisation. Son fonctionnement a été satisfaisant.

Au début des années 1960, CSF a été chargée par l’Allemagne, pour son programme national de missile air-mer Kormoran, de développer un autodirecteur actif classique à impulsions, monopulse et pesant 46 kg ; le projet de missile avait été établi en coopération avec Nord-Aviation. C’est avec la maquette de cet AD que les premières mesures des échos des navires furent effectuées et furent à l’origine de l’attaque à très basse altitude (sea skimming). Ce missile fut mis en service en 1977.

Mais, après le choix effectué par Nord-Aviation, en 1969, d’un autodirecteur EMD pour l’Exocet, CSF se rapprocha de Matra, avec l’objectif de participer à un développement d’un missile antinavire concurrent. En 1970, Matra s’associa avec Oto Melara pour le lancement de l’Otomat et l’autodirecteur CSF, dérivé du Kormoran, fut adopté sur la version pour l’exportation, sous la responsabilité de Matra ; pour la version nationale italienne de l’Otomat, un autodirecteur fut développé par la société italienne SMA.

Nous l’indiquons pour mémoire : au début des années 1980, une version très améliorée, Kormoran 2, fut lancée en développement avec sous-traitance à TST (Telefunken). La technologie de l’AD est celle des missiles dits « intelligents » (cf. infra) : émetteur à état solide et numérisation pour la lutte contre le brouillage. Il a été mis en service vers 1995.

 

TRT (groupe Philips) : fusées de proximité et radioaltimètres

Les fusées de proximité à fréquence métrique développées dans la première période n’avaient pas un fonctionnement satisfaisant.

À la fin de 1957, dans le cadre du projet du missile R 530, TRT proposa un projet de fusée novateur sur deux points : - émission en bande X utilisant un klystron (émission d’une onde continue et modulée en fréquence, d’où une détection de la fréquence doppler de la cible et de sa discontinuité lors du passage travers) ;

- lobe d’émission et de réception bien défini (cône de révolution autour de l’axe du missile) grâce à des antennes plates directives, à disposer sur le fuselage.

Le STAé/ES et Matra adoptèrent avec plaisir ce type de fusée pour le R 530. Son fonctionnement a été très satisfaisant (pratiquement aucun déclenchement intempestif). L’un des points d’excellence de TRT a été la réalisation des antennes.

Ce type de fusée TRT fut par la suite adopté sur le sol-air Roland (après une compétition franco-allemande) et sur le Magic 2, car il était bien adapté, du point de vue des performances et du prix, à ces missiles.

Du même principe, TRT dériva une famille de radioaltimètres qui eut un grand succès pour l’équipement d’avions et de missiles, comme l’Exocet.

M. Cossé, directeur de ce département, doit être cité, car il est à l’origine de ces équipements, qui ont permis à ces missiles d’être valables.

 

CFTH (devenue Thomson-CSF en 1968) ) : fusées de proximité

En 1959, l’échec lors de la consultation pour l’AD du R 530 fut une épreuve pour le département concerné. Pour le Martel (AR), CFTH fut consultée par le STAé/ES, en 1963 pour l’AD et en 1964 pour la fusée de proximité. Pour l’AD, son projet était techniquement satisfaisant, mais EMD fut préférée par le STAé et Matra.

Pour la fusée, CFTH présenta une solution novatrice par rapport au meilleur concurrent, TRT, qui proposait une solution dérivée de sa fusée du R 530. C’était un radar doppler à corrélation de phase avec une émission de faible puissance d’impulsions codées suivant un code pseudo-aléatoire. C’était la solution ayant le coût le plus élevé ; mais ses performances en discrimination d’un faible écho (antenne du radar) parmi les échos de sol ou de mer étaient supérieures. Le STTA, consulté en tant qu’expert, se déclara en faveur de la solution CFTH, l’estimant très intéressante sur le plan théorique. Le STAé, avec l’avis favorable de Matra, choisit cette solution.

La mise au point fut laborieuse, la théorie devant être approfondie ; les antennes durent être sous-traitées à TRT. Finalement, une fusée très performante et un peu chère fut mise au point. Elle équipa le Martel (AR) et fut choisie pour équiper le Masurca (DTCN), les Super 530 F et D, la version EDIR du Crotale et la version Shahine, ainsi que le missile moderne Mica. Les progrès de la technologie permirent des réductions de coût.

Roger Pagazani, responsable du département à cette époque, doit être cité, car il a permis aux missiles français d’être équipés d’une excellente fusée ; il fut ensuite, à partir de 1974, directeur de programme du Crotale (cf. supra).

 

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LES EQUIPEMENTS « ELECTROMECANIQUES » : PILOTAGE ET GUIDAGE

 

Le pilotage

La politique des deux missiliers, Nord-Aviation et Matra, resta identique à celle de la première période : réaliser, si possible, leurs propres équipements. Il faut noter que, dans le cadre de la coopération, c’est MBB qui fabriqua les gyroscopes à poudre (de dimensions plus réduites que celui du SS 11) des missiles Milan et Hot, soit 400 000 exemplaires, et que Nord-Aviation adopta, pour la famille Exocet, des servomoteurs électriques Jeager.

 

Les équipements de stabilisation de l’antenne de l’autodirecteur

Trois solutions ont été utilisées :

- la tête gyroscopique : pour le Matra R 530, elle fut réalisée par SAGEM, en sous-traitance de la SAT, pour l’AD infrarouge et par AOIP, en sous-traitance d’EMD, pour l’AD électromagnétique ;

- le gyroscope séparé de l’antenne de l’AD : c’est la solution des Magic et des Super 530 ; les gyroscopes ont été réalisés par Matra ;

- deux gyromètres montés sur l’antenne de l’AD : c’est la solution du Martel (AR), de l’Exocet et de l’Otomat ; les gyromètre furent fournis par la SAGEM.

 

Les équipements du guidage mi-course

Deux solutions pouvaient être envisagées : la navigation sur cap et la navigation inertielle.

Pour l’Otomat, Matra utilisa une centrale gyroscopique dérivée de celle développée par la SFIM pour le Mirage III ; le calculateur fut réalisé par Matra. C’était la solution la plus simple.

Dans le cadre de la coopération franco-allemande pour l’air-sol, Nord-Aviation et Bölkow avaient envisagé une solution du type Otomat : le projet AS 31 ; mais elle ne fut pas choisie en 1962.

La solution retenue, le programme AS 33, était un système inertiel simplifié comportant deux gyroscopes classiques, l’un pour la verticale et l’autre axial ; le premier gyroscope porte les trois accéléromètres. Par rapport à l’AS 31, cette solution supprime l’erreur due à la dérive du vent.

En 1968, Nord-Aviation choisit pour l’Exocet le système AS 33, qui était développé. Une concurrence pour l’ensemble de l’AS 33 avait été établie entre la SAGEM et la SFENA ; les équipements des deux concurrents étaient satisfaisants et interchangeables. Pour la famille Exocet, Nord-Aviation conserva cette double source.

 

Conclusion sur la politique des missiliers

Ils ont essayé de continuer à réaliser leurs propres équipements. Pour les équipements plus sophistiqués, comme les centrales inertielles, ils ont coopéré avec les équipementiers, car les missiliers ne possédaient ni la technologie ni le financement nécessaires, les services officiels ne les aidant pas.

Il faut noter que, dès la fin des années 1960, les missiliers ont adopté l’objectif de réduire les coûts et d’accroître la fiabilité ; ils ont retenu les matériels les plus simples compatibles avec les besoins.

 

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LA PROPULSION ET LES CHARGES

 

Cette période est caractérisée par l’amélioration des propergols solides et l’apparition des premiers missiles équipés d’un turboréacteur. Pour mémoire, il faut citer, en 1978, le lancement du premier missile opérationnel français avec un statoréacteur, l’ASMP ; mais c’est un missile préstratégique.

 

Le propergol solide

Après la mise au point, à la fin des années 1950, de la plastolane, le maximum de performances était proche. Dés le début des années 1960, la Direction des poudres (DP) mit au point la famille des isorgorls (isolite et isolane), qui ont l’intérêt de pouvoir être moulés-collés directement dans le propulseur : le remplissage est meilleur, d’où un gain de performances, et la paroi est mieux protégée. Dès 1965, la DP mit au point, grâce aux études menées pour les missiles stratégiques, la butalane, qui est « le top » des propergols, du point de vue des performances. Son seul défaut est le manque de discrétion, avec son panache de fumées : la recherche de la discrétion fut l’un des objectifs des missiles dits « intelligents ». La production sous licence du propergol du Hawk (isolane) permit d’améliorer les procédures de qualité.

Tous les missiles lancés dans cette deuxième période utilisent ces propergols performants, sauf les missiles téléguidés, pour lesquels la visibilité entre le poste de tir et le missile est nécessaire, et les missiles de croisière, équipés d’un propulseur brûlant en cigarette (épictète, durée de 100 à 150 s), développé par Nord-Aviation pour l’Exocet, le Martel TV et le Kormoran.

Les motoristes furent ceux de la première période : Aérospatiale pour ses missiles ; Brandt pour les missiles Matra, sauf pour le Super 530D ; SEP (Société européenne de propulsion, ex SEPR) pour ce dernier propulseur, lancé en développement en 1978. En effet, SEP désirait revenir dans le domaine des missiles tactiques et avait proposé une technologie pour la structure, qui était utilisée pour les missiles stratégiques : le bobinage en kevlar. Il permettait un gain de poids par rapport à la technologie de Brandt de l’époque, la tôle d’acier roulée et soudée. La mise au point fut laborieuse et le gain de poids fut réduit, mais existant (du fait de l’adjonction de carbone pour le raidissement).

 

Le turboréacteur

Pour un missile de croisière, l’utilisation d’un turboréacteur pour la croisière est la solution la mieux adaptée (en masse et longueur) pour une portée supérieure à 40 km environ ; mais il faut que le moteur ait été développé, le financement prévu pour un missile ne permettant en général qu’une adaptation d’un moteur existant.

Ce fut le choix effectué, en 1970, par Matra et Oto Melara pour le mer–mer Otomat, spécifié pour une portée de 160 km ; le moteur choisi a été l’Arbizon, développé par Turboméca à partir d’éléments de ses turbos pour les hélicoptères. Les Américains firent le même choix de propulsion pour le Harpoon, lancé en 1974.

Au début des années 1970, le STAé/Moteurs, sur demande du STET, lança le développement d’un petit moteur adapté aux cibles aériennes et aux missiles de croisière (petite dimension, « consommable » et coût réduit). C’est la famille TRI 60, développée par Microturbo. Ce type de moteur équipe la cible C 22, développée dans la deuxième période comme successeur du CT 20, et les missiles de croisière développés durant la troisième période, Apache et SCALP-EG (système de croisière à longue portée-emploi général).

 

Les charges

Le choix du type de charges est lié à la nature de la cible. On distingue ainsi la charge creuse, pour missile antichar, la charge perforante, pour missile antisurface (objectif dur), et la charge à fragmentation, pour missile anti-aérien.

Nous avons indiqué plus haut que la charge creuse avait été mise au point au cours de la première période ; dans les années 1970, elle a été très améliorée (pénétration dans l’acier de blindage égale à 8 calibres, au lieu de 4 au début des années 1960). Dans le cadre de la coopération franco-allemande pour la deuxième génération des antichars, l’équipementier de Nord-Aviation, la STRIM, s’est associé avec MBB Schröbenhausen. Ces deux sociétés, expertes dans ce type de charge, ont réussi à introduire les principes de la charge creuse dans les autres types de charges : charge à fragmentation du sol-air Roland, comportant de multiples petites charges creuses (idée de STRIM), et charge perforante de l’antinavire Kormoran, avec des charges creuses sur les parois.

Les charges perforantes STRIM ou SERAT équipent les missiles développés par Nord-Aviation : AS 12, AS 30 et Exocet.

Enfin, les charges à fragmentation des missiles Matra ont été développées par Brandt. Les performances, comme le contrôle du lobe d’expulsion des éclats, se sont beaucoup améliorées à la fin des années 1960 ; la meilleure connaissance de la détonique, résultant des études nucléaires, en est l’une des raisons.

Signalons aussi l’influence de la « mode » : au début des années 1960, tous les missiles antiaériens (américains, français…) ont été équipés d’une charge à barreau continu, qui a exigé de nombreux essais. C’était « le fil à couper le beurre », qui devait découper les voilures ou les fuselages ; mais ce fut un leurre, sa probabilité globale de destruction étant inférieure à celle des charges à fragmentation (il fallait toucher la cible, ce qui n’était pas toujours assuré en attaque latérale). Une charge à barreau continu, réalisée par la Pyrotechnie de Toulon, équipa le Masurca, suivant les recommandations des autorités américaines.

 

 

L’ALIMENTATION ELECTRIQUE

 

La source d’alimentation des missiles de la première époque était généralement une pile amorçable, mise au point par la SAFT12. La solution de la pile sèche, retenue pour les missiles antichars, était peu opérationnelle.

En 1957, les visites aux États-Unis ont montré l’existence de piles thermiques équipant les Sidewinder ; ces piles avaient été mises au point en 1949 par la société MSA. Nord-Aviation essaya, en 1964, de négocier un accord de coopération avec MSA, mais le gouvernement américain s’y opposa.

Nord-Aviation fut donc contraint de devenir chimiste et de développer un tel type de pile ; ce fut une réussite. À partir de 1965, les piles sèches furent abandonnées (le premier missile concerné fut le SS 11). La pile thermique, de par son principe, est très satisfaisante opérationnellement quand la consommation n’est pas importante. En effet, l’activation de l’élément pyrotechnique, faisant fondre l’électrolyte, solide aux températures ordinaires, entraîne un délai d’activation très bref, une durée de vie au stockage pratiquement illimitée et un fonctionnement assuré, quelle que soit la température ambiante.

À la fin des années 1970, Matra commença à choisir ce type de pile, pour la BGL laser, en les achetant à l’Aérospatiale. Ensuite, Matra l’adopta et la SAFT se mit à en développer, parallèlement à la pile amorçable.

 

12 Voir chapitre 3.

 

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