De 1959 à 1979 : La maturité

 

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CHAPITRE 7

LES ACTEURS OFFICIELS ET LEURS POLITIQUES

LA DTIA1 ET LE STAE /ES, 1959-1970

 

Outre la diminution des responsabilités de la DTIA et du STAé/ES, il faut noter les éléments suivants (nous insisterons surtout sur leurs conséquences) :

- de 1957 à 1960, le renouvellement du personnel du STAé/ES, avec la mutation d’une équipe au GEB et l’arrivée de jeunes ingénieurs ;

- en 1959, le choix difficile de l’air-air destiné à armer le Mirage III ;

- de 1960 à 1965, la participation aux groupes OTAN air-sol, air-air et infrarouge ;

- en 1961, la fin de la responsabilité de la DTIA pour les antichars ;

- de 1962 à 1967, la coopération franco-allemande pour les air-sol ;

- à partir de 1963, la coopération franco-britannique pour le Martel ;

- à partir de 1967, le lancement des missiles air-air de troisième génération ;

- à la fin des années 1960, les difficultés budgétaires, devenues très sérieuses.

Parallèlement, les méthodes de travail du STAé/ES avec les autres entités des services officiels et avec l’industrie connurent une évolution notable.

 

Méthodes de travail du STAé/ES

La coopération du STAé/ES avec d’autres entités de la DTIA fut plus importante qu’auparavant.

La section Armement du STAé joua un rôle de conseiller, pour les propergols et les explosifs performants, grâce à ses relations étroites avec la Direction des poudres. L’ICA Robert Boucq, chef de la section, consacra beaucoup de son temps et de son énergie à la mise au point du propulseur du Martel devant fonctionner à une température stabilisée de – 45° C, pour le Nimrod. Elle fut longue, avec de nombreux rebondissements. Le propulseur d’accélération chargé d’isolane était qualifié de – 35° C à + 50° C. Pour l’équipement du Nimrod, les Britanniques demandèrent – 45° C.Au premier essai à – 45° C, le propulseur fonctionna, mais ensuite il explosa à – 45° C, à – 40° C et à – 35° C. La Direction des poudres fournit alors les premiers blocs en butalane ; le propulseur fut ainsi qualifié à – 45° C.

La section Avions du STAé avait en charge l’intégration des missiles au Mirage III, au F1 et au Jaguar. Les essais de départ des missiles concernaient plusieurs organismes : le STAé/A, responsable de l’avion, le STAé/ES (ensuite le STET) pour les contrats de fourniture des missiles, l’avionneur, le missilier et le CEV, qui effectuait les tirs – sauf les premiers, sous la responsabilité de l’avionneur.

 

1 DTCA après 1965 et STAé/AM (armements missiles) après 1967.

 

De nombreux essais étaient nécessaires : études et essais en soufflerie de l’ONERA, pour la séparation avion-missile ; vérification du comportement du missile lors d’un largage ; tir de maquettes propulsées et pilotées, pour l’étude de la phase de départ et du comportement du réacteur de l’avion tireur à l’injection des gaz du propulseur. Le coût et la durée de cette phase d’intégration étaient loin d’être négligeables.

Les relations furent étroites avec les différents ingénieurs de marque, qui étaient les leaders de l’intégration, comme l’ICA Goulias pour le Mirage III. Tout en admettant les limites des avions, les missiliers ont néanmoins regretté que l’armement semble pas prioritaire à ces ingénieurs. Par exemple, le STAé/ES aurait souhaité armer le Mirage III avec deux missiles R 530 sous voilure, au lieu d’un seul sous fuselage.

L’expertise du STTA fut, elle, sollicitée pour les choix de nouveaux équipements. Par exemple, l’avis de l’ICA Michel Monpetit pesa sur le choix des principes de l’autodirecteur et de la fusée de proximité (à corrélation) pour le Martel. Les relations étaient étroites avec la Section des radars de bord, pour l’harmonisation du radar avec le missile – tout particulièrement avec l’ICA Bacou pour le Mirage III.

À la fin des années 1960, le SMPA (Service des marchés et de la production aéronautique) devint le SPAé (Service de la production aéronautique). Une section Engins armement y fut créée en 1966 ; l’ICA Félix Gadelle en fut le chef jusqu’en 1974. Il marqua les Britanniques par son style de management dans la production en coopération du Martel.

Le CEV, section Armes et engins, résultait de la fusion des sections Armement et Engins spéciaux, réalisée en 1959. L’importance des essais, pendant cette période, renforça les relations avec le STAé, avec quelques modifications de méthode liées au départ de Colomb-Béchar pour Cazaux.

Les chefs de la section étaient souvent des militaires qui avaient passé, au préalable, deux ou trois ans au BPM (Bureau des programmes de matériels)/Engins de l’EMAA. Ils avaient participé à la rédaction des fichesprogrammes des missiles de cette période : ils étaient très compétents et furent d’excellents conseillers pour l’utilisation opérationnelle. Ce fut le cas du colonel Amédée Mollard et du colonel Jean Fonvielle, respectivement en poste de 1959 à 1963 et de 1965 à 1968.

L’ICA Emile Durand, au CEV/Engins de 1955 à 1965, adjoint puis successeur du colonel Mollard, assuma la responsabilité de toutes les campagnes d’essais exceptionnelles. Il y eut, à Colomb-Béchar, des campagnes de démonstration OTAN de nos missiles, avec des incidents classiques : en 1961, pour l’AS 30, avec 4 tirs réussis sur 6, et en 1962, pour le R 530, avec 5 tirs réussis sur 7. En 1965, à Woomera, eut lieu une campagne comportant des tirs de missiles R 530 du Mirage III 0 sur la cible australienne Jindivik, à 18 000 m d’altitude (tirs effectués par des pilotes d’essais du CEV). Ces essais conditionnaient l’achat des missiles par les Australiens, une clause du contrat ayant prévu la vérification du plafond du missile. Or la France n’avait pas de moyens d’essais en vol, le plafond du CT 20 étant à 12 000 m. Dans le cadre de l’intégration du R 530 au Crusader, acheté par l’Aéronavale, des maquettes furent aussi tirées aux États-Unis, par des pilotes américains, pour vérifier le départ des missiles. Le CEV fut surpris que les règles de sécurité soient différentes : les pilotes firent entièrement confiance au CEV, en ne vérifiant pas les résultats des essais au sol du propulseur (or, à cette époque, le risque d’explosion ne semblait pas totalement maîtrisé).

Entre les officiers des états-majors, en particulier ceux du BPM de l’EMAA, et les ingénieurs du STAé, les relations ont été étroites et constructives, ce qui a représenté un facteur très positif pour la définition et la réussite des programmes. Les motifs des contacts étaient nombreux : rédaction des multiples fichesprogrammes, suivi des programmes – avec recalage éventuel des spécifications, car, pendant cette période, elles s’établissaient parallèlement aux essais –, participation commune à tous les groupes de travail internationaux, particulièrement ceux de l’OTAN, et participation des officiers à la plupart des comités ad hoc créés pour gérer les coopérations, notamment pour le Martel.

Malgré le temps limité passé par les officiers dans leurs postes, le circuit des « trois valises » (BPM, CEAM, CEV) permettait de leur conférer une connaissance approfondie des différents aspects des missiles. Outre les deux officiers qui commandèrent le CEV/AE, nous citerons, parmi une longue liste au BPM/Missiles, le capitaine Élie Cadoux (R 530, AS 30), le colonel Jean Fleury (Martel), le colonel Maalberg (Magic) et les chefs du BPM, les colonels Soula, Roland Glavany et Jean Rajau.

Quant aux relations avec l’Aéronavale, plus limitées, car celle-ci n’était pas le leader des programmes aéroportés (sauf pour l’adaptation de missiles au Crusader et à l’Atlantic), elles ont toujours été bonnes. Il en allait de même avec l’EMAT, bien que ces relations, après 1961 et la perte de responsabilité sur les antichars, ne portent que sur le R 20.

Les relations étaient très étroites entre le STAé/ES et les industriels – missiliers maître d’oeuvre et principaux équipementiers, comme ceux chargés des autodirecteurs, appelés « coopérants ». C’était ensemble que les problèmes étaient découverts et les solutions recherchées, avec un objectif commun : développer des missiles compétitifs face aux missiles américains connus. Dans certains domaines, comme l’infrarouge, c’est le STAé qui « imposa » son choix au missilier. Par exemple, en 1959, la bande spectrale 2 fut choisie, pour le R 530, avec dix années d’avance par rapport à la décision identique prise par les Américains pour leurs air-air, et ce alors que le missilier français aurait plutôt eu tendance à retenir une solution éprouvée. Le STAé bénéficiait en effet d’un avantage : il connaissait les travaux des laboratoires américains et ceux du centre britannique (le RRE, Royal Radar Establishment de Malvern, où étaient mis au point des composants infrarouges), grâce à des contacts au titre d’accords d’échanges.

Quant à la forme des contrats avec les industriels, la part de ceux qui étaient passés « en dépenses contrôlées » diminua. En général, toutes les fournitures et les études d’équipements faisaient l’objet de contrats forfaitaires (et de souscontrats approuvés par le STAé pour les coopérants). Seul le financement de l’équipe de synthèse et d’essais du missilier était assuré « en dépenses contrôlées », car la responsabilité de la définition des études de synthèse à effectuer et de la durée du développement était partagée. Les premiers contrats forfaitaires pour les développements apparurent pour l’AS 30 et le R 20. Mais il fallait définir le nombre exact de tirs d’essais et les critères de réussite. Cela semblait, à cette époque où les tirs étaient le moyen prioritaire d’essais, tendre à restreindre la connaissance du produit – situation qui se modifia dans les années 1970, à mesure que les simulations prenaient de l’importance.

En 1968, un engagement sur le prix de série fut demandé pour la première fois lors de la négociation du contrat de développement : il s’agissait du Magic 1, dont le prix était, pour l’EMAA, un critère aussi important que les performances. L’objectif était de 100 000 F aux conditions économiques de 1967, puis à celles de 1968, avec une inflation élevée. La définition dut être revue, au grand dam du missilier. Le prix d’engagement fut respecté, sauf pour la fourniture de la Direction des poudres (propergol) ; l’enquête ultérieure de prix montra que la marge de l’industriel avait été nulle.

Les deux missiliers furent parfois mis en concurrence (ainsi pour l’AS 37 et le Magic). Les choix étaient effectués par le STAé, parfois après avis du STTA. Compte tenu de la spécialisation de chaque société, les choix tendaient, au début, à s’imposer. Mais, à la fin des années 1970, la concurrence entre les deux missiliers devint plus âpre : leurs compétences étaient moins différentes et chacun recherchait un plan de charge. La mise en concurrence entre les équipementiers pour les autodirecteurs électromagnétiques (R 530, Martel) fut en tout cas un facteur de dynamisme pour la société gagnante.

 

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Le choix, en 1959, de l’air-air pour l’équipement du Mirage III C

Lors de la commande en série de l’avion, en octobre 1958, le choix n’avait pas été effectué entre le Nord 5104 (AA 25) à téléguidage automatique et le Matra R 530 (AA 26) autoguidé, dont les développements venaient de commencer. La conduite de tir était différente, car le Nord 5104 nécessitait un radar double chaîne2 et un localisateur de prise en charge. Une décision s’imposait en 1959, et elle fit l’objet d’un long débat interne au STAé3.

Pour les « modernes », le choix technique de l’autoguidage s’imposait, car c’était la seule solution qui permette d’obtenir une faible distance de passage pour des tirs à grande portée ou sur une cible se dérobant. En outre, c’était la solution retenue par les Américains et les travaux effectués sur le guidage et l’autodirecteur, depuis 1957, par le STAé et Matra permettaient d’être optimiste. En revanche, le pessimisme régnait quant à la mise au point d’une conduite de tir pour le téléguidage automatique.

Les « conservateurs », eux, soutenaient Nord-Aviation, car cette société avait à son actif le succès industriel de l’antichar SS 11. Ils doutaient qu’une PME comme Matra puisse réaliser industriellement des missiles. De plus, ils n’étaient pas favorables à des solutions choisies par les Américains, car celles qu’ils avaient retenues pour leurs antichars avaient conduit à un échec.

 

2 Un seul lobe d’émission éclairant la cible et le missile et deux récepteurs, l’un poursuivant la cible et l’autre le missile.

 

3 Au STAé, j’étais le leader des « modernes » et l’ICA Bastien-Thiry était celui des « conservateurs ».

 

Le chef de la Section et le directeur du STAé décidèrent de proposer le choix de l’autoguidage. Dans le cas contraire, la France aurait finalement dû acheter des missiles américains, et l’exportation d’avions de combat aurait été compromise4. Le délégué ministériel pour l’Air avalisa cette proposition le 22 septembre 19595.

 

Les groupes mixtes de travail de l’OTAN (opérationnels et ingénieurs)

Dès 1958, des groupes de travail furent créés, et leurs travaux principaux se déroulèrent de 1960 à 1965. Le STAé et les états-majors y participaient. Leur activité dépendait de leur président, qui était souvent un Américain, car la plupart des pays étaient demandeurs d’informations. Les principaux groupes où le STAé/ES assurait la représentation française étaient les suivants :

- groupe air-sol à courte portée AC 169. Son activité a consisté principalement à la promotion des deux programmes concurrents téléguidés : AS 30 français et Bullpup américain. Ils étaient similaires et furent exportés. Ce groupe a permis des échanges entre les officiels français et allemands.

- groupe air-sol futur AC 190, L’objectif était le développement d’un système d’arme air-sol tactique « tous temps » et autonome sur des cibles non spécialisées (sans autoguidage). Le groupe procéda à un examen prospectif des possibilités ; il a rapidement approuvé la position française reconnaissant la nécessité d’une charge atomique. Le général Lavaud, chef d’état-major général des armées, dans une note du 14 octobre 19606, avait indiqué son intérêt pour un tel missile, avec une charge fournie par les Américains. En octobre 1961, la France présenta des projets d’AS 31 et d’AS 33 à charge nucléaire ! Il n’y pas eu de programme commun OTAN ; mais les Français et les Allemands étaient ainsi préparés à une coopération sur un programme expérimental, AS 33 (cf. infra) ;

- groupe antichar AC 172. Il eut une activité de présentation et d’échange entre les états-majors, bénéfique pour la promotion des missiles français (SS 10, ENTAC, SS 11). La spécification du SS 12 y fut établie. Les échanges entre les délégations allemandes et françaises furent un autre point très positif ; ils se concrétisèrent par des spécifications communes pour les missiles de deuxième génération et par un travail en coopération ;

- groupe air-air AC 173. L’objectif des Américains était d’armer de leurs missiles (HM 55, dérivé du Falcon, Sidewinder ou Sparrow) les avions F 104 G choisis par plusieurs pays européens (RFA, Italie, Pays-Bas...). Mais ce fut aussi une bonne occasion pour présenter le missile R 530. Compte tenu de la conduite de tir du F 104 G, seuls le R 530, avec ses versions électromagnétique et infrarouge, le HM 55 et le Sidewinder infrarouge pouvaient y être intégrés. La France fit des efforts importants de promotion en 1962 et 1963 : invitation à une campagne de tirs à Colomb-Béchar ; étude de l’adaptation à l’avion et au radar, par l’envoi d’une mission STAé et Matra chez Lockheed (entreprise qui n’était guère désireuse de coopérer) ; tournée de présentation du missile dans toutes les capitales intéressées, avec un exemplaire en fonctionnement (au sol) – tournée réalisée par le STAé, l’EMAA et l’industrie. Mais l’Allemagne, acheteur principal, décida, sous la pression des Américains, de s’équiper uniquement de missiles Sidewinder. Son armée de l’Air ne réalisa pas de mission de défense aérienne tous temps avant les années 1990.

 

4 Contrairement à ce qu’indique l’ouvrage du GIFAS, L’industrie aéronautique et spatiale française 1907-1982 , 1984, cette décision ne fut pas accompagnée d’une répartition des programmes attribuant les air-sol à Nord-Aviation : Matra fut le maître d’oeuvre du Martel et Nord-Aviation fut celui de l’AS 30 et de l’AS 33.

 

5 Comptes rendus des réunions entre M. Blancard et la DTIA (SHAA, dossier E 7433).

 

6 Note archivée au SHAA, dossier E 2117.

 

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- groupe infrarouge lointain AC 194. Ce fut un groupe d’échange d’informations sur les techniques, les technologies et le rayonnement des avions. Les représentants des services officiels américains, britanniques et français fournirent l’état d’avancement de leurs travaux, sans arrière-pensée commerciale. Son existence se prolongea dans les années 1970.

En outre, des organismes subsidiaires autonomes, pour la production européenne de missiles sous licence américaine, furent créés sous l’égide de l’OTAN : ce fut le cas pour le Sidewinder, la France n’y participant pas, et pour le Hawk, avec une participation de la DEFA.

 

La coopération franco-allemande : l’air-sol AS 33

Cette coopération7 est due à la conjonction heureuse de quatre éléments :

- un excellent climat politique, existant depuis 1957 et confirmé par la signature, le 22 janvier 1963, par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer du « traité de l’amitié et de coopération franco-allemand » ;

- pour les Allemands, le désir de relancer leur industrie d’armement ;

- des objectifs communs pour des missiles air-sol successeurs de l’AS 30 (et pour des antichars de deuxième génération), établis dans le cadre des groupes OTAN, et d’excellentes relations entre les responsables, ingénieurs et officiers ;

- un souhait de franche coopération industrielle entre Nord-Aviation et Bölkow, concrétisé par un accord de principe de coopération signé en septembre 1962. Ce désir, dont les Français étaient les moteurs, concernait principalement les missiles antichars, pour lesquels les Américains n’étaient pas concurrents.

L’accord de coopération sur l’AS 33 (étude expérimentale d’un guidage inertiel) date de la fin de 1962. Il fait suite à l’achat de missiles AS 20 et AS 30 pour l’armement du F 104 G et à l’autorisation pour le Centre d’essais en vol allemand (E Stelle) de s’implanter à Cazaux pour effectuer les tirs d’adaptation. Compte tenu de son caractère expérimental, l’organisation de la coopération fut simple. Les autorités des deux pays, le STAé et le BWB (Bundesamt für Wehrtechnik und Beschaffung ), se concertaient pour toute décision, et il y avait égalité des droits et obligations. Le financement fut partagé entre les deux pays. Le STAé passa un contrat à Nord-Aviation, qui en sous-traita 50 % à Bölkow : la répartition des tâches devait être égale. Il n’y avait pas de responsabilité solidaire. Les travaux sur l’AS 33 durèrent de 1962 à 1967 ; les résultats furent satisfaisants, le principal acquis étant la possibilité de réaliser, à un coût acceptable, un guidage mi-course inertiel simplifié.

 

7 Qui concerna aussi les antichars Milan et Hot et le sol-air Roland, sous la responsabilité de la DTAT.

 

Il n’y eut en revanche aucune suite du côté des armées de l’Air, l’Allemagne n’envisageant pas de développer de missile air-sol télévision ou antiradar et les deux industriels étant moins motivés par ces programmes que par les antichars. En 1962, les responsables du STAé/ES pensaient que leurs homologues allemands avaient coopéré avec un espoir « secret » : il est probable qu’ils envisageaient de développer ultérieurement un missile tactique avec une charge nucléaire américaine ou française.

En revanche, le guidage mi-course inertiel fut utilisé pour deux programmes antinavires décidés respectivement en 1964 et en 1968 et menés hors de toute coopération officielle :

- le missile allemand Kormoran (spécification franco-allemande AS 34, projet Nord-Aviation), développé sous la maîtrise d’oeuvre contractuelle de Bölkow, avec sous-traitance à Nord-Aviation. La Marine française n’avait pas, en 1965, de besoin de missile air-mer du type AS 34 ou Kormoran : alors que le F 104 G était équipé d’une centrale inertielle, la Marine française attendit les années 1970 pour s’équiper du Super Étendard, avec une conduite de tir capable d’initialiser un tel missile.

- l’Exocet, réalisé par Nord-Aviation. L’absence de coopération, pour l’Exocet, s’explique par le désir de Nord-Aviation de ne pas subir de contraintes à l’exportation liées à la politique allemande, mise en évidence en 1968, et par des relations tièdes entre les deux Marines. La coopération sur les missiles des armées de Terre (Milan, Hot, Roland) se conclut par un succès. La cohésion entre les services officiels et les industriels y étant plus importante, les difficultés techniques et politiques rencontrées à la fin des années 1960 purent être surmontées.

 

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La coopération franco-britannique : l’air-sol Martel

Au début de 1962, les deux chefs d’état-major des armées de l’Air prirent l’initiative d’une coopération pour les avions et les missiles. Le groupe de travail missiles conclut, à la fin de 1962, à des besoins communs en matière de missiles air-sol antiradar et télévision. Quant au besoin en missiles air-air, il était lié au projet d’un avion commun de combat.

Au début de 1963, le service officiel britannique le MOA (Ministry of Aviation), avait entrepris des études préparatoires sur la détection télévision au RAE (Royal Aircraft Establishment, dont la division Guided Weapons était un centre technique important, d’environ 400 techniciens et scientifiques) et à la société Marconi et consultait les sociétés BAC et HSD, qui pourraient devenir leaders techniques du missile, sans être maîtres d’oeuvres. Il s’agissait là du programme AJ 168. D’autre part, les services officiels étaient intéressés par un antiradar, sans disposer du budget nécessaire.

En revanche, en réponse à un besoin exprimé par l’EMAA, le STAé avait lancé deux consultations, l’une à Nord-Aviation et à Matra pour le projet d’un missile antiradar (AR) AS 37 et l’autre pour le projet de son autodirecteur. Le choix du missilier s’était porté sur Matra, car la partie autoguidage de son projet était plus étoffée. Pour le missile télévision, l’EMAA était intéressé, mais ne le retenait pas dans son budget. Le STAé avait fait réaliser un projet, nommé AS 36, par Nord-Aviation (véhicule AS 30 avec un guidage télévision).

Après confrontation des besoins et des projets, le RAE et le STAé arrivèrent à la conclusion qu’un programme commun était envisageable, les portées à basse altitude (30 km) et la masse du missile (500 kg) étant proches. En septembre 1963, la décision fut prise par le MOA et la DTIA de demander à HSD et à Matra d’approfondir ce concept. Ce choix était lié aux relations antérieures d’HSD avec Matra.

Lors d’une réunion en décembre 1963, les deux sociétés présentèrent aux deux délégations des services officiels, dirigées par M. Dickins, directeur général des missiles du MOA, et par l’IGA Lecamus, directeur à la DTIA, un projet jugé très prometteur : un véhicule piloté commun et des équipements spécifiques à chaque version (antiradar ou télévision) constitués par le bloc de guidage et la charge. Les deux directeurs décidèrent de coopérer et de retenir ce projet.

Deux anecdotes peuvent donner une idée de l’atmosphère de cette époque. Au cours du déjeuner, le président d’HSD indiqua que le plus difficile problème était le choix du nom du programme : Janus, le Dieu à deux têtes ? C’était délicat, car le récepteur commun de l’autodirecteur de la version antiradar devait avoir plusieurs têtes spécifiques des radars à attaquer, de la bande J à la bande L. Après cette réunion, le responsable HSD de l’équipe du projet fut remplacé. HSD, n’ayant guère confiance dans ce projet, n’avait pas choisi à l’avance son chef, contrairement à Matra, qui avait désigné un ingénieur capable de mener le programme à son terme.

Dès le premier trimestre de 1964, les bases de la coopération étaient adoptées et le MoU (Memorandum Of Understanding) préparé. Les travaux commencèrent le 1er avril 1964 et le MoU fut signé en octobre 1964. C’étaient les méthodes de l’époque : un directeur technique avait une large marge de décision. Une consultation au sujet du nom fut organisée ultérieurement par l’IGA Munnich, président de la délégation française au Comité directeur : celui de missile antiradar télévision, ou Martel, fut choisi.

Les modalités de cette coopération présentaient quelques originalités. L’organisation des services officiels reposait sur un Comité directeur (Steering Committee ) et un Sous-comité technique (SCT), au niveau du STAé et du MOA, responsable du développement. Ce sous-comité créait des groupes spécialisés, comme le Groupe essais, comprenant les représentants des organismes intéressés (pour la France : STAé, EMAA, EMM, CEV, CEAM et Matra, et les services correspondants pour le Royaume-Uni). Les deux maîtres d’oeuvre industriels se coordonnaient et rendaient compte mensuellement au SCT de l’avancement des travaux. Un Sous-comité production fut créé par la suite.

Chaque version était sous la responsabilité contractuelle et financière d’un pays, qui choisissait le maître d’oeuvre industriel : pour l’antiradar, la France et Matra, pour la télévision, le Royaume-Uni et HSD. Un partage équilibré fut réalisé pour les équipements communs, et le principe du financement par chaque pays responsable fut maintenu.

Pour la production de série, la formule avait été imaginée par l’IGA (M) René Bloch, responsable des relations internationales à la DTIA : dans l’ensemble des commandes des deux pays, chacun bénéficiait d’une part liée à son financement du développement et à sa commande de matériels opérationnels8. La production pour les commandes d’exportation devait être répartie également entre les deux pays.

Le climat de la coopération entre les services officiels et les maîtres d’oeuvre industriels fut excellent durant la phase de développement ; les échanges furent équilibrés et constructif. Une amitié s’était créée entre les responsables, en particulier entre l’IGA Munnich et Bernard Holdin, qui était francophone : des explications franches purent avoir lieu. Les bases du MoU choisi (application par chaque pays de ses procédures administratives, absence de financement commun et désignation claire de l’autorité responsable) ne sont pas pour rien dans ce succès.

Il faut noter que le RAE avait beaucoup plus d’experts techniques que la DTIA ; le principe de certains circuits de l’autodirecteur, pour la discrimination des échos de sol créés par les antennes tournantes des radars de surveillance, fut proposé par le RAE. Le développement s’acheva en 1969 avec succès, malgré de nombreuses difficultés techniques qui résultaient des innovations du programme.

Un « carnet noir » de cette coopération existe toutefois, suite aux difficultés politiques.

Le STAé commanda à Matra, en 1965, des missiles air-sol de prélèvement de poussières nucléaires, tirés lors d’essais aériens. Il s’agissait du 637, fondé sur le véhicule du Martel et qui comprenait des équipements de pilotage produits par HSD. Le MOA, mis au courant, accepta la commande de Matra à HSD sous le nom de Special Rounds ; mais ces matériels furent bloqués à la douane... et livrés une semaine avant les tirs. Le gouvernement du Royaume-Uni ne voulait pas soutenir officiellement les essais nucléaires français ! Matra dut donc développer et produire rapidement ces équipements.

En 1969, lors du lancement de la production, la France décida de ne pas commander le Martel télévision. Le prétexte était que le guidage de cette version exigeait un avion biplace, alors que le Jaguar était monoplace. L’argument était discutable. En plus des contraintes budgétaires réelles, il y avait un esprit antibritannique latent à l’EMAA. L’équilibre créé par le MoU pour la production était rompu, et ce d’autant plus que des clients très intéressés en 1966 et 1967 renoncèrent : pour les États-Unis, il fallait une livraison au plus tard sous un an, l’intervention au Vietnam devant s’achever. Pour l’Allemagne, le budget n’était pas compatible avec le stock prévu. La franche coopération était morte.

En 1977, enfin, le Royaume-Uni était hostile à une exportation du Martel antiradar vers l’Irak. Or c’était la condition posée par ce pays pour l’achat du Mirage F1. Matra dut donc produire une version dérivée : Armat (antiradar Matra). La coopération était terminée. Dans les années 1980, le Royaume-Uni développa son propre missile antiradar, Alarm.

 

8 La part de la production pour chaque pays était : 0,5xFDP/FDG + 0,5xCPP/CPG. FDP : financement du développement par le pays ; FDG : financement global du développement ; CPP : commandes de production série par le pays ; CPG : commandes de production série globales.

 

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Le lancement des missiles air-air de la troisième génération

L’utilisation du missile R 530 montra que des améliorations des caractéristiques étaient nécessaires. La troisième génération put être lancée à la fin des années 1960. Le Magic 1 eut la faveur de l’EMAA, tandis que le Super 530 fut moins favorisé du point de vue budgétaire, ce qui entraîna des conséquences imprévues, indiquées ci-après.

 

Les difficultés budgétaires

Avant 1968, la première conséquence de ces difficultés fut la réduction régulière des commandes de série par rapport à la quantité prévue lors du lancement de la production. Les contrats prévoyaient des tranches optionnelles annuelles, dont la dernière était supprimée : ce fut le cas pour le R 530 et l’AS 30. D’autre part, les difficultés budgétaires motivèrent le non-lancement d’un programme (air-sol télévision), et le montant du budget des études générales resta faible.

À la fin des années 1960, les difficultés devinrent plus sérieuses pour deux programmes, le Martel et le Super 530.

Pour le Martel, l’EMAA avait envisagé une commande de 500 à 1 000 missiles. En 1969, lors de la préparation du contrat de production, la commande française fut ramenée à 150 missiles antiradar, dont 100 pour l’armée de l’Air et 50 pour la Marine (Atlantic), et aucun missile télévision. Les Britanniques, devant aussi faire face à des réductions de crédit, modifièrent leur plan, qui était de 1 000 missiles : ils commandèrent 200 missiles télévision et, comme la France, seulement 150 missiles antiradar. Ce fut la fin du rêve des industriels de fabriquer 6 000 missiles, aucune vente de Martel à l’exportation n’ayant eu lieu. Les Britanniques exigeant un respect rigoureux de la règle du MoU, l’industrie française dut transférer 15 % environ de sa production à des industriels britanniques, qui ne furent pas toujours de bonne foi sur leurs prix.

Quant au Super 530, le programme avait été lancé en 1969, car l’armement du Mirage F1 et l’évolution des menaces nécessitaient un successeur du R 530. Mais, dans le cadre de la préparation de la loi de programme 1971-1975, l’EMAA décida de supprimer son financement, pour offrir le maximum de crédits aux moteurs, et de financer les missiles dans la loi suivante. La DTCA protesta et le délégué ministériel pour l’armement, Jean Blancard, en référa à son ministre de la Défense, Michel Debré, qui n’accepta pas que le F1 soit développé sans armement air-air adapté. Bien entendu, l’EMAA rétablit seulement une partie des crédits, ce qui entraîna la suppression de la version infrarouge et un étalement du développement. Cette décision fut prise lors d’une réunion en juillet 1970 chez le ministre, qui avait convoqué le délégué ministériel pour l’armement, les chefs des états-majors Air, Marine et Terre, les quatre directeurs techniques et la DPAI pour examiner la situation des programmes de missiles tactiques et pour régler le cas du Super 530. Cette réunion servit de catalyseur à la décision de réorganiser la DMA, du point de vue des responsabilités pour les missiles tactiques.

 

Les conséquences de la création de la DTEN en 1965

De 1965 à 1970, l’activité de coordination des missiles tactiques concernait surtout la supervision du Crotale, développé pour l’exportation par Thomson. Mais le rendez-vous annuel, pour les missiles tactiques, consistait en une réunion d’examen du catalogue des programmes, présidée par le directeur de la DPAI, l’IGA (GM) Ravaud, à laquelle participaient les représentants des directions techniques et des états-majors. Pour qu’un programme ne fasse pas l’objet de critiques véhémentes de la part de la DPAI, il fallait que les résultats de l’année soient acceptables et qu’une bonne harmonie existe entre les ingénieurs et les officiers responsables ; ce fut le cas, en général, pour l’Air.

En 1969, lors de la nomination de l’IGA (M) Maurice Brunet comme Directeur technique des engins, la DTEN demanda le regroupement des missiles tactiques, arguant de la cohérence nécessaire en matière d’études et d’actions industrielles et soulignant que la situation existante ne favorisait pas les programmes interarmées. La DTCA n’était pas favorable à ce regroupement ; elle insistait sur les liens du missile avec les conduites de tir des avions. C’était l’époque où le rôle d’un systémier était reconnu comme indispensable. En outre, la DTCA et la DTAT jugeaient qu’elles n’avaient pas démérité et qu’il n’existait ni conflits, ni duplications entre les trois directions.

Au cours de la réunion de juillet 1970 évoquée plus haut, le ministre de la Défense demanda au délégué ministériel pour l’armement quelles étaient les raisons du retard pris sur la réduction du nombre de missiliers9, qui avait été envisagée l’année précédente. Le délégué indiqua qu’il fallait commencer par réorganiser la DMA ; en conséquence, il proposa de confier la responsabilité de l’ensemble des missiles à la DTEN, qui n’avait pas la charge d’arsenaux. Michel Debré, dont le désir était de réformer l’administration, adopta cette proposition ; la décision fut notifiée en octobre 1970 et appliquée au début de 1971.

Ce sont les modalités du transfert qui peuvent surprendre : seuls les programmes qui en étaient au stade du début du développement et les futurs programmes (sauf les antichars) étaient transférés à la DTEN. Il s’agissait du Magic et du Super 530 de la DTCA, du MM 38 de la DTCN et de l’ACRA de la DTAT. Les autres programmes, dont ceux menés en coopération, n’étaient pas affectés par cette décision : AS 12, AS 30, Martel, R 530, CT 20, R 20, etc. pour la DTCA, Masurca et Malafon pour la DTCN, Milan, Hot, SS 11, Roland, Hawk pour la DTAT.

La DTCA proposa que l’ensemble de ses programmes et de son personnel directement affecté à eux soit transféré. Les arguments avancés étaient les suivants : il semblait souhaitable que ce nouveau service connaisse les problèmes rencontrés par les missiles en service, et il était difficile pour la DTCA de conserver du personnel motivé par les missiles. La DTAT, elle, était plutôt satisfaite, car, « ne voulant pas se laisser dépouiller », elle avait négocié avec la DTEN et avec le délégué entre juillet et octobre 1970. La DTCN était neutre, l’IGA Brunet et l’IGA Labrunie, futur directeur du STET, étant issus de ses rangs.

 

9 Il existait alors quatre entités : deux sociétés, Matra et Nord-Aviation, et deux arsenaux, l’APX et l’ECAN de Ruelle. Notons que, comme responsable des missiles au STAé, j’avais accompagné le directeur de la DTCA à cette réunion.

 

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La Section missiles du STAé dut adapter son organisation à cette décision : il fallut proposer aux jeunes ingénieurs de l’armement motivés par l’avenir des missiles de se faire affecter au STET pour s’occuper de missiles dont ils n’étaient pas obligatoirement chargés au STAé, et conserver quelques ingénieurs expérimentés pour gérer les « anciens missiles » – des ingénieurs qui acceptaient de faire la suite de leur carrière hors du domaine des missiles. Ce fut le cas de l’ICETA Jean-Louis Vrolyk. Il faut remarquer qu’un dernier programme proche d’un missile fut développé par le STAé : la bombe guidée laser, à la fin des années 1970 (il n’y avait pas de propulsion et la charge était constituée par le corps d’une bombe).

 

Les ingénieurs qui ont joué un rôle majeur

À la DTIA, devenue DTCA après 1965, trois directeurs ont été impliqués directement dans les décisions suivantes :

- l’IGA Bonte, de 1958 à 1960 : choix de l’air-air, la décision étant prise au niveau de Jean Blancard, délégué ministériel pour l’Air ; lancement d’une compétition pour les autodirecteurs électromagnétiques des air-air ;

- l’IGA Lecamus, de 1962 à 1964, en tant que directeur adjoint : lancement de la coopération Martel ;

- l’IGA Soissons, de 1970 à 1971 : gestion des conséquences de la décision (proposée par le délégué ministériel pour l’armement, Jean Blancard, au ministre) relative à la réorganisation des responsabilités des directions techniques pour les missiles.

À la direction du STAé, durant cette période, deux directeurs se sont impliqués dans toutes les affaires relatives aux missiles, dans l’esprit d’une large délégation aux responsables de la Section : l’IGA Gérardin, de 1954 à 1960, et l’IGA Vialatte, de 1962 à 1970. L’IGA Munnich, sous-directeur du STAé de 1960 à 1969, s’est, lui, investi dans la coopération franco-britannique Martel, comme président de la délégation française au Comité directeur.

Au STAé/ES, devenu après 1967 STAé/Armement missiles (après le regroupement des sections Armement et Missiles), le personnel fut réduit, après le départ des ingénieurs de la sous-section sol-air et sol-sol balistiques et de l’ICA Chamouton. Les principaux ingénieurs qui y exercèrent une responsabilité, cités par ordre d’arrivée à la section, sont :

- l’ICA Maurice Pély, chef de la section depuis 1954, et qui le resta jusqu’en 1962 ;

- l’ICA Jean-Marie Bastien-Thiry, de 1955 à 1962, responsable des antichars, des cibles et du R 20 et défenseur inconditionnel des missiles air-air téléguidés ;

- l’ICA René Carpentier, de la fin de 1956 à 1971, responsable des études générales (infrarouge) et des missiles aéroportés autoguidés (R 530, Martel…), puis de l’ensemble des missiles à partir de 1967 ;

- l’ICETA Jean-Louis Vrolyk, à partir de 1959, adjoint du précédent. C’était un excellent technicien ; il devint l’expert en optronique de la DTCA jusqu’en 1985 ;

- l’ICA Jean Germain, de 1959 à 1966, expert en aérodynamique, qui fut responsable des missiles air-sol (AS 33) et chef de la section de 1962 à 1966 ;

- l’ICA Jean-Pierre Lepreux, de 1960 à 1970, responsable des cibles, puis du Martel après 1967, et qui fut muté, en 1971, à la DTEN, comme responsable des missiles aéroportés.

 

LA DTEN ET LE STET, 1970-1979

 

L’organisation et les méthodes de travail

Le Service technique des engins tactiques (STET) fut ainsi créé, à la fin de 1970, à partir des équipes mutées des autres directions techniques et des budgets affectés aux programmes. Trois groupes techniques principaux furent créés : les missiles aéroportés (Magic et Super 530), l’antinavire MM 38 et les études générales pour préparer les missiles futurs ; il faut y ajouter les activités liées à l’antichar ACRA, arrêté en 1971, et au Crotale, déjà géré par la DTEN. Trois nouveaux groupes furent ensuite créés : les systèmes sol-air et les systèmes sol-sol (cible, drone), pour gérer les nouveaux programmes, et les missiles en service, pour gérer la production du Magic et de l’Exocet et leur suivi.

L’ensemble des missiles sol-air, sauf le Masurca, furent gérés par le STET à partir de 1977. Une décision affecta à la DTEN les programmes internationaux solair gérés par la DTAT : Hawk en 1971, Roland en 1977. Dans les deux cas, la responsabilité s’exerçait au niveau du Comité directeur (en particulier sur le budget de la part française) et des entités internationales assuraient la gestion : le BPFA (Bureau de programmes franco-allemands) pour le Roland et l’agence OTAN pour le Hawk.

Pour les programmes antichars futurs (lancés dans les années 1980), la direction du programme resta sous la responsabilité de la DTAT, le STET étant l’expert pour le guidage et la propulsion.

Pour les cibles et les drones, deux décisions prises en 1977 par la DGA affectèrent ces nouveaux programmes à la DTEN.

Le LRBA n’avait plus que des fonctions étatiques après 1971. Il devint le centre technique de la DTEN pour les missiles tactiques, en plus de sa mission de centre pilote de la DMA dans le domaine inertiel. La méthode de travail évolua dans les années 1970 : un directeur de programme, au STET, travaillait avec des experts techniques du LRBA – méthode souvent utilisée à l’étranger.

Pour l’intégration des sous-systèmes missiles aux systèmes d’armes, la question majeure était la détermination des responsabilités. Pour les différents types de missiles, des protocoles furent négociés entre la direction responsable de la plate-forme (avion, navire, véhicule) et celle qui était responsable du missile. Les relations entre les divers responsables furent plus lointaines et, en cas de difficulté grave (de planning, par exemple), une discussion au niveau des directeurs techniques était nécessaire. Toutefois, tous les missiles furent intégrés sans difficulté majeure.

 

L’activité de préparation de l’avenir fut le point fort du STET. En effet, durant ses premières années d’existence, la DTEN augmenta sensiblement le budget d’études générales (ou « amont ») prévu pour les missiles tactiques, par un transfert à partir de celui qui était prévu pour les missiles stratégiques. C’était en effet le point faible de la situation antérieure, les directions ayant d’autres priorités que les missiles tactiques. En outre, cette période coïncida avec la politique des « développements exploratoires » (DE) de la DGA : des crédits relativement importants purent être débloqués pour des opérations qu’un état-major pouvait accepter tout en ne voulant pas rédiger de fiche-programme (parce que le besoin était mal cerné, ou pour diminuer les risques de développement).

Dans ce domaine, on peut citer quelques exemples caractéristiques :

- des études fondamentales sur l’aérodynamique à grande incidence (de 30 à 45°) ;

- les études et les essais de nouveaux concepts pour l’utilisation du statoréacteur, effectués à l’ONERA10, à partir de 1972, par l’équipe de l’IGA (FA) Roger Marguet. Les résultats permirent de lancer le développement de l’ASMP en 1978, avec un stato kérosène (cf. figure 68). L’utilisation du « stato » pour un missile antinavire était alors envisagée ; - le DE autodirecteur laser (cf. infra) ;

- le DE Scorpion, de 1979 à 1986, correspondant au « développement » d’un drone porteur d’un illuminateur laser, pour le tir d’armements autoguidés lasers. Le besoin était discuté par les états-majors : malgré les essais satisfaisants de ce DE, ce projet n’eut pas de suite ;

- les études de préparation du Mica, commencées en 1978. Il s’agissait d’une maquette d’autodirecteur actif, d’une centrale inertielle à éléments liés et d’un vecteur probatoire, pour la mise au point d’une déviation de jet du propulseur d’accélération par des volets liés mécaniquement aux gouvernes (avec une rotation du missile de 100° en une seconde environ) ;

- les études de préparation d’un SAMP, en coopération entre Thomson et Matra ;

- les études de restitution de missiles étrangers, en particulier soviétiques, poursuivies par le STET à la demande de l’EMAA – elles étaient auparavant effectuées par le STAé/ES. Réalisées par les industriels (principalement Matra), elles ont permis de mieux apprécier l’avancement de ces pays.

Cette politique d’études générales fut une réussite pour les futurs programmes de missiles ; elle est à porter au crédit de la création du STET. Le STAé l’avait  amorcée, mais les moyens budgétaires et les objectifs avaient été limités, puisque le STAé n’était responsable que des missiles aéroportés.

 

10 Nouveaux concepts mis au point (cf. Revue scientifique et technique de la Défense, numéro spécial de 1998 consacré à la recherche aéronautique) : entrées d’air latérales, peu sensibles à l’incidence ; chambre de combustion tourbillonnaire, permettant la suppression des « accroche flammes » ; adoption de l’accélérateur intégré (concept apparu en 1973 sur le SA 6 soviétique) ; phase de transition entre les deux phases d’accélération et de croisière, durant 0,2 s environ. Ajoutons que le succès obtenu sur l’ASMP est aussi dû aux progrès importants réalisés depuis 1960 sur les moyens de mesure des différents paramètres (pression, débit), en précision et en temps de réponse, et aux progrès des calculateurs.

 

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Du côté des relations avec les industriels, l’ensemble de la DGA agissait de plus en plus comme un « acheteur » face à une industrie devenue majeure. La consultation, si elle était possible, les contrats de développement à prix forfaitaire, les engagements sur un prix objectif de série lors du lancement du programme, et même la généralisation d’une participation financière de l’industriel au développement, à partir des années 1980 (justifiée par des perspectives d’exportation), furent les bases de ces nouvelles relations.

En outre, les problèmes budgétaires et la faible disponibilité des champs de tir, liée à la charge prioritaire des missiles stratégiques durant les années 1970, contribuèrent à étaler les programmes. Tout cela ne pouvait améliorer les liens entre les services officiels et l’industrie.

 

La politique industrielle

La politique industrielle est caractérisée par plusieurs grands choix.

C’est tout d’abord, à la fin de 1971, le choix de l’antichar longue portée et l’arrêt de l’ACRA. Celui-ci, tiré du canon d’un char, était assez futuriste pour l’époque. Mais le choix se porta sur le Hot. En effet, l’EMAT n’avait pas prévu, en 1969, l’ACRA pour armer l’AMX 30, compte tenu des progrès des obus-flèches. La DPAI, elle, avait conclu que l’ACRA ne pouvait être qu’un armement très coûteux. Au contraire, le Hot commençait à bien fonctionner, pouvait être tiré d’hélicoptère et était développé en coopération. En conséquence, jusqu’en 1994, le STET n’eut plus jamais la responsabilité d’un programme antichar, en dehors des études amont.

En 1974 eut lieu le choix du missilier pour les missiles antinavires pour tir d’avion, suivi en 1978 par le choix concernant cette fois le tir depuis les sousmarins11. Il y eut deux compétitions entre les solutions AM 39 et SM 39 de l’Aérospatiale, qui étaient dérivées du MM 38, et celles de Matra, dérivées du véhicule Martel et des équipements de guidage de l’Otomat. La version Matra pour le tir à partir de sous-marins aurait été développée en coopération avec l’ECAN de Ruelle, ce dernier ayant la responsabilité du « véhicule sous-marin ». Dans les deux cas, le choix fut fait en faveur de l’Aérospatiale. Les principales raisons étaient l’attachement de l’EMM à l’autodirecteur du MM 38 (antibrouillage) et l’expérience de l’Aérospatiale dans le domaine antinavire. Finalement, la famille Exocet fut créée : ce fut la fin de Ruelle comme missilier.

Le lancement du missile air-sol laser a marqué l’année 1975.

Les Américains avaient utilisé, au début des années 1970, au Vietnam, des bombes guidées laser avec un illuminateur équipant un autre avion. En France, la DRME (Direction des recherches et moyens d’essais) investissait à la CGE   (laboratoires de Marcoussis) dans la mise au point des lasers solides, pouvant équiper un illuminateur. En 1968, le STAé était très intéressé par ce type de guidage pour missile air-sol.

 

11 À la demande de la Royal Navy, des études de faisabilité d’un missile anti-sous-marin eurent lieu, à partir de la fin de 1969, entre les Français et les Britanniques ; mais, en 1977, la Royal Navy ne donna pas suite.

 

Il proposa aux industriels un contrat finançant partiellement la réalisation d’un autodirecteur, pour faire des mesures d’albédo12 ; seul Matra accepta d’investir dans ce nouveau domaine.

En 1973 et 1974, Matra proposa à l’EMAA et aux directions compétentes (le STAé pour le pod avion, la DRME pour le laser et le STET pour le missile) différents systèmes d’armes. Ces projets étaient établis avec Thomson-CSF, pour le pod de désignation, avec Cilas (filiale spécialisée de la CGE) et avec Martin- Marietta. Cette dernière société avait développé les équipements de base et acceptait de vendre une licence pour un prix acceptable. Elle concernait un autodirecteur très simple et un système de poursuite TV des cibles par leur contour pour l’équipement du pod. La solution Thomson (Tanagra, étudié au titre de contrats DRME), elle, était jugée plus complexe.

Le premier système était fondé sur un illuminateur sol (confié à l’armée de Terre) et sur des petits missiles air-sol autoguidés (utilisant le corps de la roquette de 100 mm de Brandt pour réduire le prix). Cette solution fut rejetée par l’EMAA, qui jugeait peu opérationnelle la communication air-sol.

Un deuxième système fut fondé sur les mêmes missiles et sur un pod illuminateur équipant l’avion tireur. Le principe fut approuvé, mais l’EMAA choisit comme véhicule celui de l’AS 30, mieux adapté aux objectifs durs que les petits missiles.

L’EMAA était intéressé, mais n’avait pas de budget pour financer un tel programme. En 1975 furent lancés simultanément un développement exploratoire pour l’autodirecteur, par le STET, et la réalisation pour évaluation d’un pod Atlis (autopointeur télévision et laser d’illumination au sol), par le STAé. Après consultation pour l’autodirecteur, le STET choisit Thomson-CSF, qui avait proposé le prix le moins élevé (autodirecteur Ariel). Le STAé confia la maîtrise d’oeuvre du pod à Thomson-CSF, avec sous-traitance à Cilas pour le laser ; Thomson et Martin-Marietta coopérèrent sur le pod, pour l’électronique de poursuite de cible. En outre, des études systèmes concernant l’équipement du Jaguar furent lancées.

En définitive, après qu’une pré-évaluation opérationnelle eut montré la validité du concept d’utilisation du pod sur avion monoplace à basse altitude, un programme, nommé AGL (armement guidé laser), prit la suite en 1977. La DTCA fut nommée direction menante du système d’arme et la DTEN direction coopérante pour le missile. Le système comportait l’AS 30 laser, sous la maîtrise d’oeuvre de l’Aérospatiale, et le pod de désignation Atlis. Ce programme fut un succès.

Matra, qui avait assuré la promotion, n’eut droit qu’à un programme laser secondaire : le développement de la bombe (de 1 000 kg) guidée laser, avec un autodirecteur adapté développé par Thomson-CSF, au titre d’un contrat du STAé.

 

Les États-Unis, eux, adoptèrent en 1979 un pod avion valable de jour et de nuit et développé par Martin-Marietta (Lantirn), et ce fut la fin de la coopération entre Thomson-CSF et Martin-Marietta (à cette époque, Atlis n’était valable que de jour).

 

12 Coefficient de réflexion diffuse des corps (de la cible ou de l’environnement).

 

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En 1977, le missilier pour la cible C 22 fut choisi. Une consultation eut lieu sur le successeur du CT 20, en particulier pour accroître sa manoeuvrabilité. Le STET choisit Matra. Mais l’Aérospatiale, mécontente de ne pas être retenue, intervint auprès du délégué général pour l’armement et du ministre de la Défense. Matra accepta de perdre ce programme, moyennant une compensation à l’exportation.

L’année suivante, en 1978, eut lieu le choix du missilier pour l’ASMP. Les projets de l’Aérospatiale et de Matra étaient proches, avec le même stato et la même centrale inertielle. Le choix se porta sur l’Aérospatiale, les deux raisons connues étant les suivantes :

- le coût de développement proposé par l’Aérospatiale était inférieur, compte tenu d’un autofinancement. Matra avait peu exporté à l’époque et ne désirait pas investir dans les programmes nucléaires (donc non exportables), tandis que l’Aérospatiale voulait investir dans le statoréacteur pour pouvoir en équiper de futurs missiles tactiques ;

- l’EMA préférait le projet de l’Aérospatiale, car les portées proposées par Matra étaient supérieures à celles spécifiées par cet état-major pour l’ASMP (domaine comparatif entre l’ASMP et le futur Hadès).

D’autres programmes furent lancés sans compétition. Ce fut le cas, à la fin des années 1970, de trois programmes de missiles améliorés compte tenu des progrès technologiques : Magic 2 (« tous secteurs ») et Super 530 D (version doppler pour Mirage 2000) chez Matra, MM 40 (un MM 38 à la portée améliorée) à l’Aérospatiale.

Ainsi, à la fin des années 1970, il n’y a plus que deux missiliers, avec un gel des domaines de compétence de chacun. Celui de l’Aérospatiale est l’antichar (Milan, Hot, troisième génération) et l’antinavire (famille Exocet). Celui de Matra est l’air-air autoguidé (Magic et Super 530, le projet Mica) et l’antiradar. En revanche, il n’y a pas de domaine réservé pour les futurs drones, et une compétition s’ouvre, en 1979, pour le futur sol-air très courte portée (SATCP) autoguidé et de faible coût.

Thomson-CSF prétendait être le futur systémier des systèmes sol-air et leur maître d’oeuvre. En effet, après avoir été le leader de la production du Hawk, elle était le maître d’oeuvre du système d’armes Crotale (en coopération avec Matra pour le missile) et le seul radariste sol. Au contraire, les deux missiliers voulaient participer à la maîtrise d’oeuvre et considéraient cette société comme un radariste et un partenaire pour le système.

 

Les conséquences de l’exportation

Le STET participait à la supervision des programmes faisant l’objet de contrats d’État à État, avec garantie de la France, et comportant des développements de missiles. Ce fut le cas de deux contrats avec l’Arabie saoudite :

- le contrat Shahine, passé à Thomson-CSF en 1974, qui nécessita le développement d’un missile différant du Crotale par ses performances en portée ;

- le contrat naval Sawari, à la fin des années 1970, comportant la commande de navires réalisés partiellement par la DTCN et équipés d’une part de missiles mer-mer Otomat, développés par Matra, et Otomélara, d’autre part d’une défense contre les missiles antinavires volant à très basse altitude (version modifiée du Crotale naval, nommée EDIR : écartométrie différentielle infrarouge).

Le STET, dans les deux cas, dut mettre en place une équipe de direction de programme et « rendre compte » au client.

D’autres programmes, développés par l’industrie pour l’exportation, furent finalement adoptés par les armées françaises. Ce fut le cas du Crotale, dont la décision de choix, après compétition avec le Roland, fut prise par l’armée de l’Air en 1970 et par la Marine en 1973 pour une version navalisée. En outre, la Marine adopta, à la fin des années 1970, la version Crotale EDIR pour sa défense antimissile, en attendant une version « tous temps et multicible » qui devrait être opérationnelle dans les années 2000 (SAAM Aster).

Une certaine compétition à l’exportation existait entre missiles français. Ce fut le cas entre les programmes financés par la France (le Roland pour l’utilisation terrestre et le mer-mer Exocet) et ceux développés par l’industrie pour l’exportation (le Crotale et l’Otomat, ce dernier étant aussi vendu par l’Italie). Certaines différences de performances existaient et pouvaient être un critère de choix pour le client.

 

Les personnes qui ont marqué cette période

À la DTEN, nous avons déjà cité l’IGA (M) Maurice Brunet, qui en était le directeur lors de la création du STET. Son successeur de 1974 à 1983, l’IGA (T) Antonin Collet-Billon, était un excellent technicien des missiles, qui fit toute sa carrière dans les missiles tactiques et stratégiques. Il avait débuté au LRBA à l’époque du PARCA. Il avait poussé au choix du statoréacteur pour l’ASMP et avoua qu’il avait compris, lors de son développement, que les difficultés avaient été sous-évaluées13.

Au STET, la première équipe était formée de responsables transférés des différentes directions. Le directeur fut l’IGA (M) Henri Labrunie et les chefs de groupe furent l’ICA Jean-Pierre Lepreux, pour les aéroportés, l’ICA (M) François Simon, pour l’Exocet, et l’ICA (T) Bernard Laurent, qui n’était pas missilier, pour les études générales. L’ICA Gilbert Bonn arriva de la DTEN, avec le transfert du programme Crotale ; il devint, à partir de 1975, le responsable du groupe « aéroportés », puis fut directeur adjoint.

Les successeurs de ce premier groupe furent l’IGA (T) Daniel Coulmy, directeur de 1979 à 1984 ; l’IGA (T) Didier Bienvenu, qui arriva de la DTAT, en 1977, avec la responsabilité du Roland ; l’ICA (T) Michel Dunaud (sol-air), qui introduisit la démarche qualité ; l’ICA (T) Jean-Benoît Ramé (sol-air), qui eut à superviser la mise au point du Shahine (qui comportait un propulseur à la limite des possibilités) et eut ensuite à établir la proposition de choix pour le SATCP, après une étude technique comparative très fouillée ; l’ICA Maximin Lisbonis (aéroportés) ; l’ICA (T) Philippe Collignon (pour le Super 530) ; l’ICA Robert Dubarry-Barbe, qui créa le groupe des missiles en service et dut résoudre tous les problèmes de rechanges et de documentation, inconnus auparavant au STET ; enfin l’ingénieur civil Charles Écary, ancien directeur technique d’ECA, qui joua, dans la période de démarrage du STET, un rôle technique important pour la définition des études générales (guidage, pilotage, propulsion).

 

 

13 Cf. son interview dans DEN Actualités, numéro spécial du 29 novembre 1990.

 

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L’ACTIVITE RESUMEE DES DEUX AUTRES DIRECTIONS TECHNIQUES

 

La DEFA (devenue DTAT après 1965)14

Après l’arrêt du PARCA au LRBA, un seul arsenal de la DEFA, l’APX (Atelier de Puteaux), conservait une activité de développement de missiles, qui s’acheva en 1971 avec l’arrêt de l’ACRA. En revanche, la DEFA était devenue responsable de programmes confiés à l’industrie : les antichars (SS 10 et SS 11, transférés de la DTIA en 1961, ainsi que Milan, Hot et leurs successeurs) et les sol-air Hawk et Roland, jusqu’à leur transfert à la DTEN.

Le missile antichar ACRA avait été lancé en 1961. Il était conçu pour être tiré du canon d’un char. Avec un accélérateur allumé après avoir quitté le tube, sa vitesse atteignait 500 m/s et son temps de vol, à 3 300 m de portée, était de 7 s. Il était guidé par faisceau laser modulé. Ce programme comportait des difficultés techniques, car c’était la première application du laser. Les sous-traitants de l’APX étaient la CGE pour l’émetteur à 1,06 micron et TRT pour le récepteur. Le prototype fonctionnait en 1971, mais le programme fut arrêté à cette date. C’était la fin de l’APX comme bureau d’études de missiles antichars.

La fabrication sous licence de Hawk, dans le cadre de l’OTAN (pays participants : France, Allemagne, Belgique, Italie et Pays-Bas), fut décidée en 1959. Un office OTAN fut créé pour assurer la gestion ; il était situé à Rueil, près de l’APX. Une société européenne, la SETEL (Société européenne de téléguidage, nom surprenant pour un système autoguidé !), SARL de droit français avec cinq sociétés actionnaires15 et un gérant français (CFTH), fut créée pour assurer le rôle de premier contractant européen. Cette société était assistée pour les tâches de coordination par une société mandatée, la CFTH, dont la direction spécifique compta jusqu’à 525 personnes – dont très peu d’étrangers détachés.

La production eut lieu de 1960 à 1977. Trois régiments de l’armée de Terre (douze batteries de tir) en furent équipés entre 1963 et 1966. De nombreuses améliorations furent effectuées, en particulier en 1974 (HELIP : missiles améliorés en performances et en fiabilité et prêts au tir sans préparation). Ce système doit être retiré du service dans les années 2000 et remplacé par le SAMP/T (Aster).

 

14 Pour plus de détails, voir les publications du Comité pour l'histoire de l'armement terrestre, Armements antichars, par M. Stauff (†), puis par MM. Guillot et Dubernet (tome 10), 2002, et Systèmes de missiles sol-air, par l’ingénieur général Collet-Billon (†) puis l’ingénieur général Bienvenu (tome 11), 2002.

 

15 Ses actionnaires étaient les ACEC (Ateliers de constructions électriques de Charleroi) pour la Belgique, CFTH, Finmeccanica pour l’Italie, Philips pour les Pays-Bas et Telefunken pour l’Allemagne.

 

En France, ce sont l’industrie électronique, la CFTH et la CSF, la Direction des Poudres (avec la fabrication du propergol isolane sous licence et une production importante, permettant une amélioration de la qualité) et SAGEM qui furent les bénéficiaires des contrats. Jusqu’en 1974, les missiliers ne bénéficièrent en revanche d’aucune compensation industrielle ni d’aucune « étude générale » dans le domaine SAMP.

Enfin, la DEFA s’occupait des programmes en coopération franco–allemande Milan, Hot et Roland. Comme nous l’avons déjà indiqué, tous les ingrédients étaient réunis, en 1963, pour une coopération sur ces trois missiles à téléguidage semi-automatique pour les armées de Terre : coopération politique entre les deux pays, accord de coopération industrielle entre Nord-Aviation et Bölkow, difficultés budgétaires pour les deux pays, besoins opérationnels proches pour la deuxième génération d’antichars et pour un sol-air de courte portée (6 à 8 km)16, et enfin mise au point du principe de ce téléguidage semi-automatique sur le SS 11, par contrat DTIA.

Les accords gouvernementaux pour ces trois programmes furent signés en 1963-1964. Les modalités étaient les suivantes :

- direction conjointe par les deux gouvernements ;

- partage du financement et des tâches, d’où une coopération pour les principaux sous-traitants (SAT et STRIM) ;

- surveillance de l’industriel uniquement par son gouvernement ;

- contrat, en dépenses contrôlées, passé par la DEFA à Nord-Aviation, mais avec une sous-traitance de 50 % à Bölkow.

En 1969, les programmes étaient dans l’impasse : les budgets étaient dépensés, les retards étaient patents et la mise au point n’était pas acquise. Il n’y avait pas de relation de confiance : le BWB estimait ne pas être informé des travaux réalisés en France. La gestion des contrats par la DTAT était presque impossible, le BWB et la DTAT donnant directement des ordres à leur industriel, sans concertation. Enfin, les besoins militaires étaient déphasés, la RFA désirant un Roland tous temps et la France voulant se limiter au temps clair.

De nouveaux accords furent signés en 1970 pour les antichars et en 1972 pour le Roland. Les deux gouvernements créaient un organisme commun responsable de la gestion : le Bureau de programmes franco-allemand (BPFA), installé en France (à Rueil) et placé sous la direction d’un Français et d’un adjoint allemand, était chargé des Milan, Hot et Roland I (temps clair) ; le bureau installé en RFA, sous la direction d’un Allemand et d’un adjoint français, était, lui, chargé du programme Roland II (tous temps). Parallèlement, les deux sociétés, devenues la SNIAS et MBB, s’associèrent de manière solidaire en créant, en 1972, le GIE Euromissile, qui devenait le seul contractant pour les activités relatives à ces trois systèmes et qui avait la responsabilité de la commercialisation. Les trois missiles furent mis en service entre 1973 et 1978 et connurent alors le succès.

 

16 La spécification avait été rédigée avec les Britanniques, mais ces derniers développèrent un programme national : Rapier.

 

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La DCCAN (devenue DTCN après 1965)

Comme nous l’avons déjà indiqué, cette direction réorienta en 1959 le développement de son missile Masurca, effectué sous l’autorité de l’ECAN de Ruelle. La DTCN eut la responsabilité, en 1969, de démarrer le programme MM 38, qui fut transféré à la DTEN en 1970. Nous ferons ici quelques commentaires sur le Masurca, et nous décrirons plus loin le lancement du MM 3817.

L’originalité du programme Masurca est son évolution durant son développement, qui commença en 1955. En 1959, compte tenu de la connaissance du Terrier américain (à la suite d’une offre américaine de cession), le véhicule fut modifié pour diminuer les risques et pour gagner en rapidité. C’est la version MK2 :

- configuration du Terrier, avec sa voilure à ailes longues et avec des dimensions majorées pour tenir compte de l’écart des niveaux techniques ;

- accélérateur largable ; propulsion solide, avec le propergol récemment mis au point, plastolite ;

- performances : Mach 3, 23 000 m d’altitude, portée de 40 km.

Le téléguidage automatique, fondé sur la détection de la cible et du missile par deux radars, était conservé, mais une innovation était apportée avec l’adoption d’un calculateur numérique, en temps réel, commandé à la société IBM-France, qui venait d’être créée. Ce fut le calculateur français le plus puissant de l’époque. Cette version MK2 mod 2, malgré des performances limitées, fut mise en service en 1966 – et retirée en 1975.

En 1959, grâce à la connaissance détaillée du Tartar (cf. figure 20), missile autoguidé américain commandé pour l’armement de quatre escorteurs, la DCCAN lança la version MK2 mod 3, fondée sur un autoguidage intégral semi-actif électromagnétique doppler (comme pour le Hawk et le Tartar). Le missile pouvait attaquer une cible à basse altitude. Bien entendu, pour un navire comportant deux radars de poursuite équipés chacun d’un illuminateur, seulement deux cibles pouvaient être attaquées de manière simultanée. Les radars de veille furent réalisés par CFTH et les illuminateurs et les autodirecteurs par CSF.

Si Ruelle était compétent pour les études, une certaine rigueur lui manquait pour achever la mise au point du missile. Aussi, la DMA demanda à Matra d’assurer la co-maîtrise d’oeuvre du missile avec l’ECAN entre 1966 et 1972 (harmonisation des spécifications et qualification des équipements, assistance aux tirs…). C’est Émile Durand, ancien du CEV, qui exerça cette mission avec tact et efficacité.

Le système fut mis en service en 1970, sur trois navires ; en 1995, les frégates Suffren et Duquesne sont toujours opérationnelles – avec des missiles améliorés au début des années 1980. Du point de vue de la réalisation, il s’agit d’un ensemble mécanique complexe : il n’est que de voir le système de chargement automatique, sous le pont, alimentant une rampe double de missiles Masurca de 8,6 m de longueur et pesant 2 tonnes, pour un chargement effectué en moins de 10 s ; il a été conçu par Ruelle.

 

17 Voir chapitre 8, Nord-Aviation.

 

Suite à la coopération réussie sur le Masurca, la DTCN et Matra souhaitaient qu’elle soit poursuivie sur d’autres programmes navals. En 1966, Matra fut nommé maître d’oeuvre du projet de surface-air antimissile à courte portée Mandragore, très coûteux car voulu très ambitieux par le STCAN. Mais le projet fut arrêté en octobre 1968, au profit de l’antinavire Exocet. Le ministre Pierre Messmer déclara alors, dans une conférence de presse retentissante : « Les gens raffinés trouvent qu’il est très élégant, quand vous avez quelqu’un qui vous menace d’un pistolet, d’attendre qu’il ait tiré pour dévier sa balle avec un projectile ; c’est exactement le projet Mandragore. Les gens plus simples trouvent que le bon sens, c’est de couler le navire qui tire sur vous ou de descendre l’avion qui vous envoie un projectile, ce qui vous donne de meilleures chances de vous sortir d’affaire. En d’autres termes, le programme Mandragore, du point de vue militaire, est un mauvais programme et je l’ai exécuté le coeur léger…»

Parmi les responsables de la DCCAN pendant cette période, il faut citer l’IGA (M) Maurice Brunet, chef du Groupe engins au STCAN à partir de 1958 et chargé de mission à l’IGPFA ; il fut ensuite directeur du STCAN de 1966 à 1969, avant d’être nommé directeur de la DTEN en 1969. Ses successeurs comme chef du groupe furent l’IGA (M) Malandain et l’IGA (M) Henri Labrunie ; ce dernier devint le premier directeur du STET en 1970.

 

 

LES CENTRES DE TIRS DES MISSILES

 

Le CIEES de Colomb-Béchar

Nous avons déjà indiqué le rôle que ce centre a joué dans le développement des missiles. Mais sa localisation géographique a limité son existence : son utilisation s’est achevée le 30 juin 1967, compte tenu de l’application des Accords d’Évian. Les derniers tirs de missiles tactiques eurent lieu en mars.

La plupart des tirs furent transférés au CEL dès 1964. Mais, pour certains programmes où un champ de tir terrestre était primordial, le 30 mars 1967 devint l’objectif à respecter. Ce fut le cas du Martel (AR), dont le développement avait commencé en 1964 et dont l’objectif était de réussir le tir avec charge sur une antenne d’un radar sol.

 

Le Centre d’essais des Landes (CEL)

Le CEL a été créé le 4 juillet 1962, là où il n’y avait qu’une forêt. C’est un champ de tir maritime prioritairement destiné à tirer des missiles balistiques de grande portée. En outre, sa situation, près de la base de Cazaux et de son annexe, le CEV, avait été bien choisie pour les missiles aéroportés. Il est devenu le premier champ de tir européen. L’installation fut rapide pour les missiles tactiques et, dès mars 1964, la première cible CT 20 et le premier missile, l’AS 30, purent être tirés.

La principale difficulté, entre 1975 et 1985, fut la faible disponibilité du champ de tir pour les missiles tactiques, la priorité étant le missile balistique.

Il fallut mettre au point, pour les missiles, des cases d’équipements, interchangeables avec la charge et comportant en particulier la télémesure (émetteur, antenne...), la télécommande d’autodestruction, des capteurs de distance de passage… Pour des missiles tactiques, c’était un équipement coûteux.

Nous avons déjà signalé les conséquences du passage au CEL sur la mise au point en vol des missiles : augmentation de la durée et du coût, due à la nécessité de la télémesure et à la faible disponibilité du champ de tir, et réduction des contacts entre les responsables. Mais des avantages apparurent également : le champ de tir était en métropole, d’où une meilleure communication ; l’utilisation de télémesures, à l’époque des simulations, permettait une exploitation plus rapide et plus complète : le « blues » des anciens de Colomb-Béchar disparut.

Pour les missiles tactiques, les deux directeurs qui ont marqué le Centre de leur empreinte furent « le créateur du CEL », qui le rendit opérationnel, l’IGA Jean Soissons (1962-1969) et celui qui améliora le « service », l’IGA (M) Michel Deforges (1983-1990)18.

 

Le Centre d’essais de la Méditerranée (CEM)

Ce champ de tir maritime a succédé, en 1968, au CERES, qui fonctionnait depuis 195219. Il est adapté aux missiles tirés de navires ou aux missiles de courte portée. De nombreux tirs de tels missiles y ont été effectués : Masurca, Exocet, Crotale Naval et Mistral, dans les années 1980. Il a été utilisé pour les essais de récupération marine des cibles et pour l’évaluation des missiles air-air de l’Aéronavale : R 511 sous Aquilon et R 530 sous Crusader.

 

18 Le CEL n’ayant pas subi de modification importante après 1980, nous n’en parlerons pas dans la troisième période, malgré son importance pour la mise au point des missiles.

 

19 Voir chapitre 2, DCCAN.

 

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