De 1945 à 1958 : La création de l’industrie missilière

 

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CHAPITRE 5

 

CONCLUSIONS SUR LA PREMIÈRE PÉRIODE LA SITUATION DES PROGRAMMES APRÈS LA DIRECTIVE DU 4 AOÛT 19581

 

Programmes maintenus ou à lancer

- air-air : fabrication limitée des engins actuels, Nord 5103 et le R 511 ; études maintenues pour les programmes AA 25 et AA 26, destinés au Mirage III ;

- air-sol : développement de l’utilisation air-sol du Nord 5103 ; lancement d’un missile utilisant la même technique, avec une charge plus importante : le programme AS 30 ;

- sol-air longue portée (SALP) : sous la responsabilité de la DEFA, études des principes des projets du SALP de la DTIA et du Masalca de la DCCAN de manière à définir une solution unique pouvant satisfaire les trois armées. Pour des raisons budgétaires, ces études furent stoppées le 26 mai 1959 par décision ministérielle2.

- sol-air moyenne portée terrestre : adoption du Hawk (la DEFA en étant responsable) ;

- sol-sol SE 4500 poursuivi sous conditions. Il fut arrêté en octobre 1959. - programmes de la DCCAN maintenus : le surface-surface Malaface et le lance-torpille Malafon. Le Malaface sera arrêté à la fin de 1958.

- antichars (sol-sol ou air-sol) et cibles aériennes : continuation de la production des SS10, Entac, SS11 et CT20 et du développement du SS12 et du CT41 ; ces programmes n’étaient pas cités, dans la décision N°509 car ils avaient été confirmés par le CTPFA du 13 février 19583

 

Programmes arrêtés ou mis en sursis

- sol-air R 422, ACAM et PARCA (DEFA) : arrêtés ;

- SAMP Masurca, sous la responsabilité de la DCCAN : arrêté, si possible. La décision ministérielle du 26 mai 1959 le confirma finalement.

 

L’EVOLUTION DES BESOINS DES ARMEES

 

Le besoin en missiles antiaériens est resté primordial. Mais l’achat aux États- Unis d’un sol-air de défense du champ de bataille et l’arrêt des études de sol-air de plus grande portée ont conduit à fonder la défense aérienne du territoire sur des intercepteurs. Pour l’armée de l’Air, la politique envisagée au début de 1958 et concrétisée par le mot d’ordre du « virage engins » ne fut pas retenue en août 1958. Au début des années 1950, la mise au point de petits missiles antichars, efficaces grâce à la charge creuse, a en revanche entraîné, pour toutes les armées de Terre, le besoin prioritaire de s’équiper avec de tels missiles. Enfin, le besoin de missiles air-sol est apparu en France en 1957, du fait du choix par l’EMAA du chasseur-bombardier de préférence à l’intercepteur léger.

 

1 Il s’agit là des programmes sous responsabilité de la DTIA, sauf indication contraire. La directive, note n° 509 MA/CAB/ARM du 4 août 1958, est archivée au SHAA, dossier E 6615.

 

2 SHAA, dossier E 6615.

 

3 Document N°122 DN/CAB/ARM du 20 février 1958 – dossier 26R4 du SHAT.

 

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L’ÉVOLUTION DES SOLUTIONS TECHNIQUES

 

La propulsion

La propulsion à propergols liquides, qui avait été un point fort des Allemands en 1945, est totalement abandonnée pour les missiles tactiques, au profit des propergols solides : ces derniers sont plus sûrs, plus facilement utilisables en opérations et leur retard en matière de performances se réduit.

La propulsion par statoréacteur, qui semblait représenter l’avenir dans les années 1950, perd tout intérêt : les missiles supersoniques à grande portée ne sont plus d’actualité et l’adoption du propergol solide permet une utilisation plus opérationnelle. Il faut finalement attendre l’ASMP, mis en service en 1986, pour qu’une armée française utilise un missile aéroporté propulsé par statoréacteur ; entre-temps, de nouveaux concepts ont été imaginés et des progrès dans les moyens de mesure ont été réalisés. En revanche, des missiles sol-air américains et britanniques équipés d’un statoréacteur ont été opérationnels dans les années 1960.

 

Le guidage pour les missiles de longue portée

Tous les systèmes de guidage envisagés par les Allemands pour les missiles antiaériens (guidage par faisceau radar ou téléguidage radar suivi d’un autoguidage terminal), et qui avaient servi de modèle pendant les années 1950, sont abandonnés au profit de l’autoguidage intégral, dont les États-Unis ont été les précurseurs. Il faut attendre la mise au point du guidage inertiel « à faible coût », en 1980, pour que soient réalisés des missiles antiaériens à longue portée avec deux phases de guidage (guidage mi-course inertiel suivi d’un autoguidage final).

 

ÉVALUATION DES DEPENSES DE CETTE PÉRIODE

 

Nous n’avons pas pu consulter de documents financiers détaillés. La présente estimation repose sur deux documents globaux, détaillés en annexe 1. Il en résulte que l’ordre de grandeur des dépenses effectuées pour les études et prototypes d’engins spéciaux des trois armées, de la Libération à 1957, est de 40 milliards de francs courants. Le budget prévu pour 1959 par chaque direction, pour l’ensemble de leurs projets (y compris les projets d’un SALP et d’un sol-sol

de 300 km pour la DTIA), était de 8 milliards de francs pour la DTIA, 7 milliards pour la DEFA et 4 milliards pour la DCCAN.

À partir de ces données, nous avons établi l’ordre de grandeur des dépenses d’études des missiles, en francs de 1995. Il s’établit : pour la période de 1945 à 1957, à 7 milliards de francs pour les trois Directions [1,17 milliard d’euros de 2002], dont 3 milliards pour la DTIA [500 millions d’euros de 2002] ; pour l’année 1957, à 1,3 milliards de francs pour les trois Directions [220 millions d’euros de 2002], dont 550 millions pour la DTIA [93 millions d’euros de 2002].

En 1957, la part du budget français consacrée aux missiles tactiques correspondrait ainsi à 2,2 % environ des dépenses militaires d’équipement (soit environ 60 milliards de francs de 1995, ou encore 9 milliards d’euros de 2002)4.

 

BILAN EN 1958, POUR LES ACTIVITES DIRIGEES PAR LA DTIA

 

Les aspects positifs

L’équipement de nos armées avec des missiles français commençait. L’armée de Terre possédait des missiles antichars SS 10, ENTAC et SS 11, les meilleurs du monde à l’époque, et les utilisait. L’armée de l’Air avait armé, en air-air, le SMB 2 avec le Nord 5103 et le Vautour avec le Matra R 511 tous temps. L’Aéronavale avait retenu le R 511 pour l’Aquilon. L’efficacité de ces missiles était limitée, tout en étant largement supérieure à celle du canon.

Un tissu industriel était créé, composé essentiellement de PME. Deux missiliers, avec des expériences différentes, abordaient les années 19605 : Nord-Aviation, spécialisé dans le téléguidage, et Matra, spécialisé dans l’autoguidage. Nord-Aviation commençait à avoir une réputation mondiale pour ses antichars et à les exporter. Matra, avec ses missiles aéroportés plus complexes, avait le potentiel pour devenir compétitif dans les années 1960.

Des équipementiers compétitifs avaient fait leur percée : la Direction des poudres pour les propergols et les explosifs, Brandt pour les charges et les propulseurs à poudre des missiles tactiques6, STRIM pour les charges et Turck pour l’infrarouge.

Soulignons enfin que la disponibilité d’un champ de tir terrestre comme Colomb-Béchar avait été un facteur déterminant pour le niveau d’avancement obtenu en 1958 par les missiles français.

 

Les aspects négatifs

La décision d’arrêt des sol-air avait eu deux conséquences : la responsabilité de la DTIA en ressortait très amoindrie et surtout deux missiliers voyaient leur activité future très réduite. La SNCASE, qui n’avait pas démérité, dut abandonner totalement son activité de missilier tactique en 1959, car son programme sol-sol était également arrêté. Matra devait se contenter des programmes air-air.

La France avait, par rapport aux États-Unis, un retard technique de l’ordre de quatre années dans les domaines des concepts de guidage et de l’architecture des systèmes complexes, comme ceux des sol-air. Il lui manquait une connaissance fine de la loi de navigation proportionnelle et de la réalisation d’autodirecteurs adaptés. Le retard portait aussi sur la technologie des autodirecteurs électromagnétiques : de ce fait, des types de guidage dépassés étaient employés, faute d’autoguidage intégral. Mais, les visites aux États-Unis de 1957 ayant mis en évidence ces retards, ceux-ci furent vite comblés.

 

Conclusion

 

Le missile SS 11 antichar est reconnu comme l’un des trois meilleurs missiles du monde développés dans cette période. Les deux autres sont américains : il s’agit de l’air-air Sidewinder et du sol-air Hawk. Ces missiles ont été utilisés par la plupart des pays occidentaux et ont eu une durée de vie de trente à quarante années (avec des versions améliorées).

Les principaux responsables de l’existence d’une industrie missilière française, qui commençait à rencontrer des succès, confirmés par la suite, sont :

- du côté des services officiels, de nombreux ingénieurs militaires de l’Air (ICA et IGA) et des officiers, déjà cités ;

- du côté de l’industrie, cinq personnalités : Pierre Barchewitz, Marcel Chassagny, Yves Hébel, Émile Stauff et Jean Turck. Leur rôle a été soit de fonder une société gagnante, soit d’avoir été le « père d’une famille de missiles », soit, en tant qu’universitaire, d’orienter les recherches techniques.

 

 4 Centre d’études d’histoire de la Défense, La IVe République face aux problèmes d’armement, ADDIM, 1998.

 

5 Il faut y ajouter les missiliers travaillant, dans les années 1960, pour les autres directions : l’APX pour la DEFA (ACRA et Hawk), ainsi que l’ECAN de Ruelle (Masurca) et Latécoère (Malafon) pour la DCCAN.

 

6 Pour les missiles balistiques, il faut y ajouter la SEPR.

 

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