De 1945 à 1958 : La création de l’industrie missilière

 

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CHAPITRE 4

LES PROGRAMMES

 

LES MISSILES ANTICHARS TELEGUIDES MANUELLEMENT1

 

SS 10 (Ars 5201) – Arsenal de l’aéronautique2.

Ce fut le premier missile antichar opérationnel dans le monde. Nous avons déjà indiqué son origine : il devait servir de moyen d’étude de l’engin tournant. Les principales caractéristiques de la version opérationnelle étaient les suivantes :

- masse de 15 kg ;

- corps fuselé cruciforme en auto-rotation, à faible vitesse de rotation, commandé par spoilers aérodynamiques d’ailes en « tout ou rien » ;

- téléguidage manuel avec liaison filaire (deux fils en acier). Le guidage à la portée maximale était moins satisfaisant, à cause des spoilers aérodynamiques ;

- propulsion à propergol solide (SD, peu performante) ;

- portée utilisable : de 600 m à 1 600 m environ ;

- vitesse de vol : 80 m/s (peu élevée) ;

- charge creuse de 5 kg et de calibre 110 mm (perforation de 400 mm d’acier), étudiée par la STRIM ;

- poste de tir avec manche de télécommande (électronique à tubes).

Les principales difficultés technologiques rencontrées lors de la mise au point ont concerné des équipements qui n’étaient, en 1946, que des « idées » pour l’Arsenal : propulseur, avec la coopération de la Direction des poudres ; gyroscope à poudre ; réglage des relais télégraphiques pour l’amplification des ordres. La première version ne comportait que deux ailes, qui imprimaient un mouvement hélicoïdal de 2 m de diamètre. Le premier tir du sol fut effectué à la fin de 1949 et les premiers tirs d’avion lent (Morane 500), compte tenu des fils, et d’hélicoptère eurent lieu respectivement en 1951 et en 1953. En 1952, l’EMAT avait conclu à l’intérêt opérationnel d’un tel missile antichar pour l’infanterie et l’avait adopté. En effet, les essais avaient montré la valeur de cet armement, du fait d’une probabilité d’impact élevée dans un domaine important pour l’engagement et de l’efficacité terminale de la charge creuse.

Ce missile a été fabriqué à 30 000 exemplaires de 1954 à 1962 et a été exporté (Israël, Suisse, Suède...). Les États-Unis ont acheté, en juin 1952, 500 exemplaires de ce missile pour l’évaluer. Suite à leurs essais sévères en matière d’environnement, ils ont conclu à « un engin brillant, mais pas à une arme ». Nord-Aviation a tiré un grand profit des suggestions américaines.

 

1 Pour des compléments, cf. Comité pour l'histoire de l'armement terrestre, Armements antichars, par M. Stauff (†), puis par MM. Guillot et Dubernet (tome 10), 2002, et Comité d’établissement de l’Aérospatiale de Châtillon, Mémoire d’usine. Châtillon-sous-Bagneux de 1924 à 1985, 1985.

 

2 Jusqu’au Martel, les missiles développés sous la responsabilité du STAé ont deux noms : celui du programme et celui donné par l’industriel. Le nom entre parenthèses est celui qui n’a pas prévalu.

 

ENTAC

Il doit être évoqué ici car, bien que développé par la DEFA, il a été produit en série par Nord-Aviation. Ses caractéristiques sont proches de celles du SS 10, avec les différences suivantes : une conception plus « munition » ; une masse plus faible (12 kg) ; une accélération au départ plus importante et une portée légèrement supérieure (1800 m) ; un gyroscope à lancement par câble. Ce fut un excellent missile, supérieur au SS 10, mais inférieur au SS 11. Son handicap principal, par rapport au SS 10, a été le retard de la DEFA pour la mise en série et la commercialisation. Il a tout de même remplacé le SS 10, avec une production de 120 000 exemplaires de 1958 à 1974, et il a été exporté aux États-Unis.

SS 11 (Nord 5210) – Arsenal de l’aéronautique

Compte tenu de l’utilisation du SS 10, l’EMAT a pu définir, en 1953, les bases d’un projet plus ambitieux. Les améliorations portaient sur les performances (portée de 3 500 m, définie par une étude des sites européens, vitesse, efficacité de la charge) et sur la tenue dans des environnements difficiles. Le ministre donna son accord et le développement commença au début de 1954. Les principales caractéristiques du SS 11 différant de celles du SS 10 sont :

- masse de 30 kg (calibre de 164 mm), avec une charge creuse de 8 kg de calibre 140 mm, capable de perforer 600 mm d’acier ;

- remplacement des spoilers d’ailes par des intercepteurs de jet du propulseur (mis au point pour l’air-air) et des relais par des transistors (à partir de 1965) ;

- propergol plus performant (épictète) ;

- portée utilisable de 500 à 3 000 m, grâce aux intercepteurs de jet ;

- vitesse en fin de croisière de 190 m/s.

Nous parlerons ci-après des travaux des années 1960 sur le SS 11 : adaptation aux hélicoptères et téléguidage semi-automatique. Des études ont été effectuées sur ce dernier point parce que le téléguidage manuel exigeait un entraînement comportant des tirs de missile ; de plus, la probabilité d’atteinte moyenne, 70 %, n’était obtenue que pour une distance de tir comprise entre 1 000 et 2 000 m.

Ce missile a connu très vite un très grand succès auprès des utilisateurs ; au niveau mondial, c’est l’un des missiles réussis de l’époque. Il fut produit en France à 180 000 exemplaires, de 1956 à 1985, et a été adopté par 37 pays, dont l’Angleterre, l’Italie, le Canada, les États-Unis, qui ont acquis la licence, et les deux pays, l’Allemagne et l’Inde, qui l’ont produit sous licence. Il a été engagé au combat notamment en Algérie, dès avril 1956, à partir d’avions légers (MD 311) et avec une charge d’usage général contre des petits groupes adverses embusqués dans des grottes de parois rocheuses, ainsi qu’au Vietnam.

 

Les programmes américains et britanniques3

Ces deux pays, si brillants dans les autres programmes, avaient raté leurs missiles antichars. Contrairement à la France, ils avaient mal évalué les progrès des charges creuses de 1945 à 1955 et, de ce fait, ils avaient réalisé de gros missiles finalement inadaptés à un emploi opérationnel. Les Américains avaient développé le Dart (masse de 45 kg, dont 14 kg de charge, envergure d’un mètre) depuis 1952 ; il fut arrêté au début de 1958. Le Malkara australien (masse de 93 kg, dont une charge, dite « molle », de 26 kg) fut développé en association avec les Britanniques, mais fut peu déployé.

Finalement, les Américains ont évalué, en 1953, le SS 10 et ils ont participé au financement du développement du SS 11 au titre d’un contrat d’aide MWDP, dit « Larkin », signé en mai 1956. Après évaluation, ils ont acquis, dans les années 1960, environ 18 000 missiles SS 11 et 12 000 ENTAC.

 

LES MISSILES AIR-AIR

 

En 1950, la mission d’un air-air était de détruire les gros bombardiers (de type B 29), qui n’étaient pas vulnérables à la DCA, compte tenu de leur altitude de croisière (8 000 m). De plus, ils étaient très bien défendus par leurs tourelles canon contre les chasseurs les attaquant en secteur arrière. La spécification en résultait : destruction d’une cible de grandes dimensions, subsonique, volant à une altitude de 6 000 à 12 000 m, évoluant peu, à une distance de 3 à 4 km. Cela correspond, pour les air-air, à la première génération. Deux types de missiles ont été développés en France.

 

Nord 5103 (AA 20) téléguidé manuellement

Cette version opérationnelle a succédé à la version antérieure, Ars 5101 abandonnée en 1950 suite à des incidents4 ; elle a été définie en 1951, après les premiers essais du SS 10 et avant le lancement du SS 11. Ses essais en vol ont commencé à la fin de 1952. Du SS 10, ce missile a conservé :

- le téléguidage manuel, donc le guidage suivant une trajectoire d’alignement (cf. annexe technique n° 3) ;

- le type de configuration : corps fuselé en auto-rotation à faible vitesse ;

- le même gyroscope à poudre ;

- le propergol solide, adopté pour des raisons de sécurité et de simplicité ; il évolua vers la modernité à la fin des années 1950 (version M 2 RT : accélérateur en plastolite et croisière en épictète).

Les différences concernent :

- les dimensions et les performances : 135 kg ; supersonique, accroissement de vitesse de 220 m/s et temps de vol maximum de 21 s ; distance de tir maximum en attaque arrière de 4 km ;

- l’adoption d’intercepteurs de jet du propulseur de croisière. Ils furent développés pour ce missile et adoptés pour tous les missiles, jusqu’en 1967, à commencer par le SS 11. La mise au point fut difficile, pour la détermination de la forme du couteau et pour le choix du matériau, le molybdène. Ils ont été brevetés par M. Stauff en 1948 ;

- la liaison de télécommande par radio VHF, réalisée par Derveaux ;

- la fusée de proximité métrique CSF et la charge à fragmentation STRIM de 23 kg.

 

3 Informations tirées de la presse de l’époque.

 

4 Voir chapitre 3, Arsenal.

 

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 La mise au point en vol du 5103 s’est achevée en 1959, surtout en effectuant des tirs (par exemple 50 tirs en novembre-décembre 1959). L’EMAA l’a retenu, en 1958, pour l’armement du SMB 2 équipé d’un viseur. Ce dernier est donc le premier avion français équipé d’un missile air-air. 4 000 missiles furent produits.

Si les performances du missile en guidage ont été satisfaisantes sur la cible prévue (attaque arrière et pas de manoeuvre), les autres résultats étaient moins bons : la liaison était souvent brouillée par les radios ; la fusée de proximité avait eu tendance à se déclencher intempestivement avant qu’une solution ne soit trouvée ; le guidage exigeait un entraînement suivi des pilotes. En outre, le missile n’était utilisable que de jour. Il a surtout été expérimenté par le CEV et le CEAM ; il apparut (cf. chapitre 9) que l’utilisation de ce missile était plus satisfaisante en mission air-sol, d’où la mise au point de la version nommée AS 20. L’utilisation opérationnelle en air-air fut arrêtée par l’EMAA, le 1er février 1961, suite à l’adoption du Sidewinder américain sur le SMB 2.

 

R 511 (AA 20) autoguidé – Matra

Les études ont commencé en 1949. Le R 511 est la version retenue, qui fait suite à deux programmes expérimentaux qui différaient par la configuration aérodynamique : R 051, monovoilure, et R 052, de configuration classique cruciforme5. Les caractéristiques du R 511 étaient les suivantes :

- autoguidage, avec détection de la cible dans une bande spectrale choisie parmi les trois envisageables : visible, infrarouge et électromagnétique ;

- loi d’autoguidage en « poursuite », avec un autodirecteur à champ fixe, qui convenait pour la mission en attaque arrière et qui semblait la seule solution réalisable. Mais cela entraîna le choix d’un champ de mesure de l’ordre de ± 10 °, pour suivre la cible (cf. annexe technique n° 3) ;

- configuration canard/monovoilure pour le tangage, avec une gouverne verticale pour la stabilisation en lacet et l’orientation en roulis. À l’époque, cette configuration semblait intéressante, pour le passage du transsonique, pour une meilleure finesse et pour sa facilité d’implantation sous avion ;

- diamètre de 263 mm ; masse de 172 kg ;

- propulsion solide bi-étage Brandt (propergol en SD) ; Mach 1,8 ;

- servomoteurs électriques Matra ;

- stabilisation roulis/lacet par gyromètre ;

- fusée de proximité ; charge à fragmentation Brandt (billes) de 25 kg.

 

5 Pour plus de détails, cf. Roger MEGRET, Yves HEBEL et al., Il était une fois… Matra, Matra, vers 1990.

 

Après des difficultés de mise au point du pilotage de la configuration canard, le vecteur était au point en 1953. La mise au point du missile dépendait alors de celle de l’autodirecteur.

Comme nous l’avons déjà indiqué, le premier tir avec autodirecteur optique Drivomatic eut lieu en septembre 1953, sur une cible naturelle (le soleil levant). Après la mise au point, une présérie de 100 exemplaires de cette version, appelée R 510, fut commandée par le STAé, en 1956, pour expérimentation. L’emploi opérationnel apparut difficile, car les conditions de tir devaient être telles que la ligne d’horizon, ou encore un nuage brillant, n’apparaissent pas dans le champ optique large de l’autodirecteur. Cette version fut abandonnée après les essais au CEV.

Les tirs de la version infrarouge en bande 1 eurent lieu en 1956 et 1957, avec des autodirecteurs Drivomatic et Turck : comme nous l’avons signalé, ce dernier avait été retenu, le nombre d’impacts sur la cible étant impressionnant. Mais, avec un tel champ de mesure, le contraste entre le rayonnement d’un avion et celui du bruit ambiant de jour était tel que cette version, appelée R 511 IR, n’était opérationnelle que de nuit. De plus, la fusée de proximité CSF avait une probabilité de déclenchement intempestif non négligeable. Malgré ses bons résultats de guidage, cette version ne fut pas retenue par l’EMAA pour le Vautour, compte tenu de son utilisation limitée à la nuit : la différence entre chasseur de jour et de nuit s’estompait alors.

Les premiers tirs de la version électromagnétique, R 511 EM, fondée sur un autodirecteur CFTH semi-actif en bande X (tributaire des techniques de l’époque : à impulsions, avec scanning mécanique – cf. annexe technique n° 3) ont été effectués en 1956. Cette version avait un fonctionnement satisfaisant, avec des bémols, du point de vue de la fiabilité, résultant de la technologie « tube », et du point de vue de l’imprécision (15 m) de la mise à feu de la charge, qui était commandée par l’autodirecteur (une télémétrie fine, près de la cible, était utilisée pour éviter l’utilisation de la fusée de proximité CSF). La première cible CT 20 fut abattue en 1959.

En août 1958, l’EMAA décida de l’armement du Vautour : il choisit uniquement la version électromagnétique du R 511, couplée avec le radar de bord CSF Drac 32, ce dernier devant en particulier fournir à l’autodirecteur la distance de la cible avant le tir et illuminer la cible durant le vol du missile. Une série de 900 exemplaires fut produite de 1961 à 1965 et le R 511 resta opérationnel, avec le Vautour, jusqu’en 1973. Ce missile équipa aussi le Mirage III C jusqu’en 1964, dans l’attente du R 530, ainsi que l’Aquilon de la Marine.

Ainsi, le R 511 fut le premier missile air-air autoguidé de l’armée de l’Air et de l’Aéronavale. Si son efficacité était limitée, ce fut néanmoins l’occasion, pour les armées, le STAé et Matra, d’aborder tous les problèmes de maintenance et de mise en oeuvre. En outre, les connaissances acquises sur l’autoguidage permettaient d’aborder la conception d’une deuxième génération, sans erreur de concept.

 

La situation des programmes américains en 1958

Comme nous l’avons déjà signalé, en 1958, les États-Unis révélèrent leurs résultats classifiés, lors de deux missions dirigées par le général Crépin et l’IGA Fournier. Pour les responsables officiels et les industriels, ce fut une surprise, car un décalage important existait sur le concept de la loi d’autoguidage ; en revanche, le retard était faible en matière de technologie.

Si les Américains avaient commencé par développer un missile en alignement (Sparrow I), ils avaient choisi, dès 1947, l’autoguidage suivant une loi en navigation proportionnelle (cf. annexe technique n° 3), seule à permettre une faible distance de passage sur une cible attaquée dans une direction hors de son secteur arrière et pouvant manoeuvrer. De ce fait, ils avaient conçu des autodirecteurs avec une antenne stabilisée (« tête gyroscopique », consistant en une antenne montée sur la toupie d’un gyroscope, ce qui nécessite, par exemple, une rotule hyperfréquence). En outre, l’optimisation du guidage nécessitait la connaissance des résultats de la résolution, par le calcul, de l’équation différentielle très complexe de la navigation proportionnelle, faute de moyens suffisants de simulation. Les Américains de Hughes Aircraft avaient réussi cette résolution en 1952, mais ces résultats ne furent connus du STAé qu’en 19596.

Trois familles de missiles étaient, en 1958, soit en production, soit en fin de développement : Falcon, Sidewinder et Sparrow. Nous décrivons ces missiles car ils ont été des concurrents pour les Français durant 25 ans et ont servi d’exemples, bons ou mauvais. Pour l’US Air Force, Hughes Aircraft produisait le Falcon depuis 1954. C’était le premier missile air-air opérationnel moderne, du point de vue du guidage. Ses principales caractéristiques étaient les suivantes :

- deux versions, chacune ayant un autodirecteur à tête gyroscopique dont l’axe de la toupie pouvait se débattre dans un cône de 60° au sommet : une version électromagnétique (bande X, semi-actif, scanning mécanique) et une version infrarouge, en bande 1, qui fonctionnait de nuit et de jour, grâce au champ optique faible (3° environ) ;

- électronique à tubes ;

- missile à configuration canard et propulsion solide ;

- portée de 4 à 5 km ;

- concept de missile à impact direct : pas de fusée de proximité, charge très réduite, donc missile de faible masse (50 à 60 kg).

Ce missile était très optimisé en guidage, avec des réglages (altitude et autres) sous avion, avant le tir. Mais les ingénieurs avaient été trop optimistes, compte tenu de leur science. Avec cette technologie, le scanning en particulier, la probabilité d’impact, pour la version électromagnétique, n’était que de 20 %. Ce missile a été abandonné dans les années 1960, malgré des améliorations. Il a outefois équipé de nombreux chasseurs de l’Air Force, qui tiraient le missile après une poursuite sur la cible : il était alors présenté comme une merveille.

 

6 Après qu’une communication à l’OTAN ait cité en référence ce document classé « secret confidentiel », les autorités américaines le remirent sur ma demande en tant qu’ingénieur du STAé.

 

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Pour l’exportation, Hughes développa la version HM 55, composée de la partie avant du Falcon et d’une partie arrière gonflée, avec une charge de 20 kg et une fusée de proximité. Ce missile eut un succès limité à la Suède et à la Suisse (armement du Mirage III pour cette dernière). Le Sidewinder infrarouge AIM 9 B fut, lui, développé, à partir de 1949, par la Navy, dans son arsenal de China Lake. L’autodirecteur fut étudié à partir de 1951 par la société Philco, qui développait des cellules infrarouges. C’était un missile très astucieux, avec des solutions originales et peu copiées ensuite (pilotage en couple, rollerons7…). La première version, 9 A, avait un défaut en roulis. La deuxième, 9 B, adoptée par l’Air Force, fut opérationnelle à partir de 1958. La première utilisation d’un air-air eut lieu en octobre 1958, avec ce missile, tiré par un F 86 taïwanais contre un Mig 17 chinois (14 avions furent détruits en une journée). Cette version eut un grand succès, avec un prix de vente toujours inférieur à celui de la concurrence : fabrication de 80 000 exemplaires et adoption par de nombreux pays, dont la France8. Ses principales caractéristiques étaient les suivantes :

- masse de 70 kg ;

- configuration canard, avec une partie arrière sans électricité (charge et propulsion) ;

- propergol solide ;

- portée de 3 km ;

- guidage en navigation proportionnelle, mais avec un pilotage en couple ;

- autodirecteur infrarouge en bande 1 à tête gyroscopique (champ optique de ± 1,6°, débattement de la toupie de ± 20°) ;

- électronique à tubes ;

- fusée de proximité infrarouge passive et charge à fragmentation de 4,5 kg ;

- des rollerons furent montés en bout d’ailes à partir de la deuxième version.

Ce missile pouvait équiper tout avion avec facilité, car il n’y avait aucune liaison avec la conduite de tir. Pour le tir, le pilote pointait son avion sur la cible avec son viseur. En cas d’accrochage de l’autodirecteur sur la cible, un signal audio était envoyé au pilote et la tête gyroscopique était débloquée. L’idée du signal audio a été copiée ensuite. Ses seuls et importants défauts – sa tendance à accrocher sur un nuage brillant ou sur une cible au sol et l’attaque limitée à l’attaque arrière et dans une zone hors d’un cône de ± 20° centré dans la direction du soleil – résultaient de l’utilisation de la bande 1, d’où l’intérêt d’une version ultérieure en bande 29.

Le Sparrow III AIM 7 électromagnétique doppler fut conçu par un arsenal. La Navy confia son développement à la Division missiles de Raytheon en 1956 : celle-ci développait le sol-air Hawk (cf. infra). Ce missile fut produit en série à partir de 1960. En 1957, les Américains ne révélèrent que quelques-unes de ses caractéristiques. Il sera plus longuement évoqué plus loin, car il peut être classé dans la deuxième génération, du fait de sa mise en service au début des années 1960.

 

7 Amortisseur en roulis. Le pilotage en couple, valable pour le domaine de vol de ce missile, évite les équipements de stabilisation du pilotage.

 

8 Voir chapitre 9.

 

9 Voir chapitre 9.

 

Au total, l’avance des Américains résidait principalement dans le concept d’autoguidage, incluant la connaissance de la loi de guidage moderne et la réalisation d’autodirecteurs à tête gyroscopique. Leurs propergols, leurs fusées de proximité et leur technique des équipements électromagnétiques étaient en avance. En revanche, leur technologie infrarouge, en bande 1, était identique à celle des Français.

Malgré le retard de la France, la DTIA et l’EMAA continuèrent leur politique visant, pour l’industrie française, à l’acquisition de la maturité dans le domaine airair. Mais la connaissance de ce retard joua le rôle d’un accélérateur pour le développement du Matra R 530, lancé en 1958. En 1965, les missiles français étaient compétitifs face à ceux de l’industrie américaine.

Notons qu’un missile air-sol, Bullpup, télépiloté manuellement (masse de 380 kg, avec une charge de 125 kg), avait également été présenté par les Américains. Il était en développement depuis 1954 et entra en production en 1958. Ce missile poussa l’EMAA à lancer des programmes similaires, AS 20 et AS 30.

 

La situation des programmes britanniques en 1958

Les échanges franco-britanniques n’ont commencé qu’en 1959.

Bien entendu, les Britanniques connaissaient les travaux des Américains sur l’autoguidage. Après le développement inachevé d’un missile guidé sur faisceau, le Fireflash, par Fairey, le ministère avait choisi, en 1950, la solution de l’autoguidage et lancé les études du Firestreak chez De Havilland Propellers (devenu HSD, Hawker Siddeley Dynamics, puis BAe Dynamics). Les caractéristiques du Firestreak étaient les suivantes :

- autoguidage en navigation proportionnelle ;

- autodirecteur infrarouge en bande 1, avec un débattement de ± 45° (nettement supérieur à celui du Sidewinder) et un irdôme10 pyramidal, pour réduire la traînée (originalité reprise par le Mistral) ;

- masse de 180 kg (deux fois celle du Sidewinder, pour les mêmes performances), avec une charge de 30 kg et une fusée de proximité infrarouge passive ;

- propergol solide ; portée de 7 à 8 km.

Ce fut le premier missile britannique opérationnel, produit à partir de 1960. Il arma tous les chasseurs britanniques pendant les années 1960. 3 000 à 4 000 exemplaires ont été fabriqués. De Havilland, développant l’autodirecteur infrarouge, milita auprès des services officiels pour ne pas développer une version électromagnétique avec un autodirecteur Marconi (du fait d’une antipathie entre ces deux sociétés), refus renouvelé pour la version suivante, le Red Top.

 

10 « Nez » (dôme) d’un missile à autodirecteur infrarouge (mot formé sur l’exemple du « radôme »).

 

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LES MISSILES SOL-AIR

 

En 1950, la mission de ces missiles était de protéger les concentrations urbaines et les bases aériennes contre les raids de bombardiers stratégiques. Ces derniers étaient subsoniques et volaient à une altitude de l’ordre de 8 000 à 10 000 m, qui les mettait à l’abri des canons de la DCA. Un système de défense à base de missile sol-air était donc attrayant pour l’EMAA et l’EMAT : cela explique le nombre important de projets développés, en France comme aux États-Unis. Les principales performances de ces missiles devaient correspondre à une portée de l’ordre de 30 à 40 km et à une altitude variant de 8 000 m à 15 000 m (pour une future cible supersonique) ; ils sont aujourd’hui classés parmi les SAMP.

Pour la DTIA, deux constructeurs français ont travaillé sur le programme SA 20 : les sociétés Matra et SNCASE ont développé chacune leur propre famille. Il faut y ajouter le PARCA étudié par le LRBA (cf. supra). À cette époque, ni les sociétés françaises ni les services officiels n’avaient la compétence nécessaire pour traiter ce programme au niveau du système. Ce système devait comprendre :

- un radar d’acquisition et de poursuite de la cible. Le radar Cotal fut développé par la CFTH sous la responsabilité de la SEFT, au début des années 1950. Son fonctionnement étant très satisfaisant, il fut retenu dans tous les projets ;

- une conduite de tir au sol, qui dépendait du type de guidage retenu pour le missile ;

- le missile, comportant le véhicule (propulsion et pilotage), l’autodirecteur et l’ensemble fusée de proximité et charge ;

- les matériels annexes, comme les bancs de maintenance.

La solution adoptée pour le guidage provenait des systèmes allemands : la SNCASE avait retenu le guidage par faisceau électromagnétique, le plus utilisé par les Allemands ; il fallait pour cela un calculateur puissant et travaillant en temps réel, pour déterminer l’orientation du faisceau, compte tenu de la localisation cible par un radar séparé. Matra avait, elle, retenu une phase de téléguidage radar ; un radar déterminait la position du missile et un calculateur, travaillant en temps réel, déterminait l’ordre de guidage (écart entre les informations du radar cible et du radar missile), qui était transmis par télécommande au missile. Ces systèmes étaient très complexes, en particulier le calculateur, et ils ne permettaient pas d’obtenir, pour les portées envisagées, une distance de passage acceptable (10 m maximum).

Un autoguidage final devait être prévu. Or la phase d’autoguidage avait été peu étudiée, par manque de connaissances techniques.

Aucun missile ne prévoyait l’autoguidage intégral, car outre les difficultés technologiques pour réaliser l’autodirecteur, la portée souhaitée pour les missiles était supérieure à celle qui était envisageable pour un autodirecteur.

Jusqu’en 1957, face à l’ampleur de la tâche, les constructeurs se sont finalement occupés surtout du véhicule. C’est à cette date qu’il faut faire le point.

 

SE 4100 (SA 10), SE 4300 (SA 11) et SE 4400 (SA 20) – SNCASE11

Dans cette famille, seul le dernier missile était prévu pour une utilisation opérationnelle. Le SE 4100 fut conçu, dès 1946, par la SNCAC (remplacée par la SNCASE en 1949) comme un missile expérimental. Il utilisait le radar allemand Würzburg, de 50 cm de longueur d’onde, avec un faisceau illuminateur modulé. Ses principales caractéristiques étaient les suivantes :

- tir vertical ;

- propulsion à propergols liquides pour la croisière (SEPR) et accélérateurs (propergols liquides, remplacés par le propergol solide après 1950) ;

- configuration cruciforme ;

- masse de 1000 kg, plus l’accélérateur de 500 kg ;

- pilote avec des équipements SFENA et un gyroscospe de roulis ECA ;

- performances limitées : subsonique et altitude maximale de 11 000 m.

De 1949 à 1956, 78 missiles furent tirés, dont 60 de 1951 à 1953. Les 40 derniers étaient équipés d’un récepteur du faisceau et étaient guidés. Ce fut pour la SNCASE un banc d’essai pour la propulsion et pour la mise au point du pilotage.

Le SE 4300 fut encore un missile expérimental, destiné à servir de vecteur pour la mise au point du système de guidage et pour l’entraînement du CEAM à l’utilisation de missiles sol-air à propulsion à liquides. Son étude commença en 1953. Ses principales caractéristiques étaient les suivantes :

- vecteur subsonique utilisant le propulseur de croisière à propergols liquides du missile de la Marine, le Maruca, réalisé par Ruelle. Il était plus performant que celui du SE 4100 ;

- accélérateur à propergol solide (SEPR ou STRIM, suivant la version) ;

- équipements de pilotage du SE 4100 ou améliorés ;

- masse de 600 kg, plus 400 kg d’accélérateur (cela représentait un progrès par rapport au SE 4100) ;

- performances : Mach 0,85, altitude maximale de 23 000 m, portée de 35 km à 8 000 m d’altitude ;

- système de guidage : radar Pénélope (CSF), avec émission d’un faisceau modulé pour le guidage ; longueur d’onde de 10 cm ; récepteur du missile Pénélope (CSF ou CNET), avec répondeur pour mesure au sol de la distance radar-missile (accrochage autodirecteur) ; calculateur sol SACM, pour la détermination de l’orientation du faisceau compte tenu de la cible (radar Cotal) ; autodirecteur prévu pour la phase finale.

125 missiles furent tirés de 1954 à juin 1957 (au moins 175 furent produits), dont 23 pour expérimentation tactique. Le système de guidage fut expérimenté à la fin de 1955 (75 tirs), sur cible simulée et sur quelques cibles SE 1524, et le résultat fut satisfaisant. 5 tirs de missile avec autodirecteur furent effectués sur cible (3 SE 1524 C et 2 CT 20), sans succès pour l’interception.

 

11 Pour plus de détails, on peut se référer aux interventions de Philippe Jung lors des congrès de l’International Astronautical Federation : IAA 89 (SE 4100), 90 (SE 4300) et 88 (SE 4400).

 

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Le SE 4400 fut la version opérationnelle, lancée en étude en 1953. Ses principales caractéristiques étaient les suivantes : - propulsion par un statoréacteur mis au point par la SNCASE, avec un accélérateur solide SEPR ou STRIM, suivant la version ;

- équipements et système sol mis au point pour le SE 4300 ;

- masse de 355 kg, plus 870 kg d’accélérateur ;

- performances : vitesse de croisière de Mach 2,3 ; vitesse maximale du vecteur : Mach 3,7 à 7 000 m d’altitude (record en 195812).

 

77 tirs eurent lieu d’avril 1954 à juin 1957 (plus 15 ensuite pour des essais de performances, dont l’altitude de 67 000 m). En juillet 1957, l’équipe de la SNCASE avait mis au point le véhicule. Le statoréacteur fonctionnait tout en présentant des difficultés, non résolues, pour son pilotage en incidence13. La mise au point du guidage n’était pas achevée, sans parler de l’autoguidage terminal. Il restait aussi celle de la fusée de proximité.

En juillet 1957, la DTIA décida d’arrêter les travaux sur ce programme SE 4400 et de restreindre les tirs de 12 à 16, pour des essais de performances du véhicule. Devant les restrictions budgétaires et les critiques relatives à la multitude d’études de missiles (cf. supra), la DTIA avait retenu le programme Matra R 422, qui était le plus évolué, avec un vecteur ayant un bon fonctionnement14 et un système de téléguidage utilisant deux radars pour la première phase de guidage.

 

R 431 (SA 20) et R 422 (SA 20) – Matra15

Les études commencèrent en 1948 par des programmes expérimentaux, M 04 et R 04. Le M 04 était un missile cruciforme équipé d’un propulseur à ergols liquides et largué d’avion Halifax ; le R 04 était tiré du sol, avec une propulsion à ergols liquides. Cette phase expérimentale avait pour objet la mise au point d’un vecteur piloté en supersonique (l’aérodynamique, surtout en transsonique, était mal connue) et de la propulsion à liquides. Elle s’acheva en 1954 avec l’abandon de ce type de propulsion ; en revanche, le pilotage du missile en phase supersonique avait été mis au point dès le milieu de l’année 1952.

Cette phase fut poursuivie par la mise au point de deux programmes de missiles tirés verticalement.

Le R 431 était la version statoréacteur supersonique avec accélérateur à poudre, monté en tandem et largable. Le stato fut étudié par Matra, de 1950 à 1955, sous la direction du professeur allemand Schrenck (surtout pour l’aérodynamique). La chambre de combustion et le système d’injection furent rapidement confiés à l’Arsenal. La régulation était hydromécanique – choix classique à l’époque.

 

12 Revue scientifique et technique de la Défense, numéro spécial de 1998 consacré à la recherche aéronautique.

 

13 Note du STAé/ES du 24 mai 1957, SHAA, dossier E 6615. 14 Ibid. 15 Roger MEGRET, Yves HEBEL et al., Il était une fois… Matra, Matra, vers 1990.

 

14 Ibid.


15 Roger MEGRET, Yves HEBEL et al., Il était une fois… Matra, Matra, vers 1990.

 

Ce missile pesait 525 kg, et 1 500 kg avec son composite. Il était capable d’une portée de 150 km à 20 000 m d’altitude, entre Mach 2,3 et 2,7.

40 tirs de véhicules eurent lieu de 1954 au début de 1958, le premier tir du missile piloté datant de 1956. Les résultats obtenus furent excellents (bon fonctionnement à fortes incidences, notamment). C’était le moment de définir la version opérationnelle ; mais le R 422 fut choisi, car il était en avance et plus « opérationnel », avec sa propulsion à propergol solide.

Le R 422 était la version à propergol solide. Ses principales caractéristiques étaient les suivantes :

- la configuration était un canard, mais avec une originalité : la partie avant (équipements) était stabilisée en roulis et la partie arrière était en autorotation ; - tir vertical d’une rampe inclinée à 80° ;

- propulseurs SEPR à propergol solide ;

- diamètre de 340 mm ; masse de 650 kg, 1 600 kg avec l’accélérateur ; masse de 100 kg pour la charge prévue ;

- performances : maximum Mach 2,8 et portée (distance de retour à Mach 1,5) variant de 28 km à 48 km suivant l’altitude (de 8 000 m à 18 000 m) ;

- équipements de pilotage Matra ;

- système de guidage : après le tir, le missile basculait pour atteindre l’altitude de la cible ; il suivait une trajectoire en navigation proportionnelle dans le plan de la cible, en téléguidage puis en autoguidage. Pendant la phase de téléguidage, la cible était localisée par un radar Super Cotal (de portée augmentée à 110 km) ; pour la localisation du missile, deux solutions furent étudiées : Matra commanda en 1955 à Derveaux un système tristatique à impulsions, Super Ulysse, qui utilisait un calculateur numérique SEA, CAB 3018, et ce système fut expérimenté en 1956. La solution retenue en 1957 utilisait un radar Cotal avec un calculateur analogique SEA ; le calculateur déterminait l’ordre de guidage, qui était transmis au missile par une télécommande SFENA. Enfin, l’autoguidage final électromagnétique semi-actif était dû à SFENA ou CFTH. Il était à antenne fixe, d’où l’impossibilité d’obtenir une faible distance de passage.

Après la phase des tirs de mise au point du vecteur piloté, qui eurent lieu en 1956 et 1957, les premiers tirs du missile guidé (phase de téléguidage) suivirent ; au printemps 1958 eurent lieu avec succès des tirs d’abord sur parachutes, puis contre avions télécommandés Mistral. Ils furent suivis par 4 tirs avec autoguidage final. Le dernier résultat, lors d’un tir sur CT 20 avec l’autodirecteur SFENA, fut une distance de passage de 45 m, obtenue après pompage. 70 tirs avaient eu lieu en 1958 et dans les premiers mois de 1959.

Les résultats étaient encourageants ; il restait à améliorer l’autoguidage (sa technique et sa technologie), développer la partie armement, fusée de proximité et charge, industrialiser le missile et surtout le système sol (dont le calculateur) et concevoir la maintenance. A la demande de l’armée de l’Air, en 1958, un projet de missile amélioré de 80 km de portée fut envisagé sous le nom de Phénix. Après la décision d’arrêt du programme, du 4 août 1958, faisant suite à celle du 15 avril 195816 de ne pas le mettre en service, le STAé accepta que la fin des travaux soit reportée en mars 1959.

 

16 Décision ministérielle N° 246 DN/CAB/ARM du 15/04/1958 – dossier 26R4 du SHAT 17 Pour plus de détails, cf. Comité pour l’histoire de l’armement terrestre, Armements sol-air, par l’ingénieur général Collet-Billon (†) puis l’ingénieur général Bienvenu (tome 11), 2002.

 

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La situation des systèmes sol-air américains et britanniques

Dès la fin de la guerre, les Américains lancèrent des systèmes dits à longue portée ou à moyenne portée, à charge militaire classique ou nucléaire, dérivés des concepts amenés par les ingénieurs allemands (guidage par faisceau électromagnétique) : Nike Ajax (40 km de portée) et Nike Hercules (140 km de portée), qui équipèrent les forces américaines en Europe jusqu’aux années 1980, Bomarc (400 km de portée) et deux autres tirés de navires, Talos (120 km de portée) et Terrier (35 km de portée, soit une moyenne portée). Ces trois derniers missiles furent ultérieurement équipés d’un autodirecteur en phase terminale.

Dès le début des années 1950, les Américains étaient conscients que la solution de l’autoguidage, au moins terminal, serait préférable, sinon nécessaire avec une charge classique. En outre, ils avaient acquis un tel niveau de connaissance sur le guidage (loi de navigation proportionnelle, technique et technologie de l’autodirecteur électromagnétique) que des systèmes fondés sur l’autoguidage intégral pouvaient être lancés. Ces derniers systèmes ont des qualités opérationnelles supérieures en termes d’efficacité et d’emploi (mobilité). En effet, ils ne nécessitent qu’une conduite de tir simplifiée (radar de poursuite de la cible avec illuminateur émettant sur la même antenne) et sont supérieurs en termes de probabilité de destruction, grâce à la distance de passage réduite. Les deux premiers programmes modernes de ce point de vue sont pour l’Army le Hawk, lancé en 1953 et mis en service en 1959, et pour la Navy le Tartar, dont la mise en service n’eut lieu qu’en 1961.

Le Hawk est un système mobile développé par Raytheon (missilier et radariste), fondé sur l’autoguidage semi-actif en électromagnétique17 :

- système avec radars d’acquisition à impulsions pour la moyenne altitude et doppler pour la basse altitude ;

- conduite de tir avec illuminateur ;

- missile : longueur de 5 m et diamètre de 360 mm ; masse de 580 kg ;

- charge de 70 kg (élevée, mais correspondant à une conception de 1953) ;

- propulsion à propergol solide ;

- portée de 25 km (liée à celle de l’autodirecteur) ; plafond de 12 000 m ;

- guidage en navigation proportionnelle ;

- autodirecteur à antenne stabilisée par gyromètres montés sur l’antenne (scanning et technologie tube). C’est le premier autodirecteur du type doppler (avec illuminateur sol à ondes continues), capable de poursuivre des cibles à basse altitude.

La première amélioration concernant le système (radar d’acquisition) et surtout le missile (version B : masse de 630 kg, portée de 45 km et plafond de 18 000 m) fut effectuée pour une mise en service en 1972.

 

17 Pour plus de détails, cf. Comité pour l’histoire de l’armement terrestre, Armements sol-air, par l’ingénieur général Collet-Billon (†) puis l’ingénieur général Bienvenu (tome 11), 2002.

 

Les armées américaines commandèrent 17 000 missiles (des deux versions) de 1956 à 1991. Avec la production européenne (11 000 missiles) et l’exportation, environ 37 000 missiles au total furent réalisés. Le Hawk a été opérationnel dans 23 pays et, en 1995, il était toujours en service, après plusieurs améliorations.

Comme pour les air-air, les présentations et les démonstrations des missiles américains aux missions françaises de 1957 et 1958 furent une découverte. Entre le Hawk et les divers programmes français, l’écart en matière d’avancement et de performances attendues justifiait techniquement la directive prise, le 4 août 1958, par le ministre, en vue d’arrêter l’ensemble des programmes terrestres et d’adopter le Hawk18.

En Grande-Bretagne, l’étude d’un système fondé sur le guidage par faisceau électromagnétique avec un autoguidage final fut lancée en 1950, et ce système fut mis en service en 1961 : c’était le Sea Slug 1, dans la Marine. Deux systèmes plus modernes, à autoguidage intégral semi-actif, pour une utilisation terrestre, les Thunderbird et Bloodhound, furent aussi lancés et mis en service dans les années 1960. Leurs performances étaient inférieures à celles du Hawk.

 

LES MISSILES SOL-SOL D’ARTILLERIE19

Deux projets furent développés par la SNCASE, dont le premier a fait l’objet d’une expérimentation tactique prolongée par l’armée de Terre, commencée avant même la fin de sa mise au point.

 

SE 4200 (SS 40)

Il a été conçu dès 1946 par la SNCAC pour répondre à la spécification du STAé : 30 km de portée, subsonique, altitude maximale de 2 000 m, 100 kg de charge. L’objectif de l’industriel était de réaliser un missile d’un coût très faible : inférieur à celui de la Traction avant Citroën ! Cela explique le choix d’ailes en bois et celui du statoréacteur, malgré son manque de connaissances en la matière. Les caractéristiques étaient les suivantes :

- la portée souhaitée a augmenté : en 1952, 50 km (suite aux résultats) ; en 1954, 100 km (suivant la demande de l’EMAT) ;

- tir d’une rampe inclinée de 20° et de faible longueur, à l’aide d’un chariot largable, avec deux propulseurs d’accélération STRIM à propergol solide ;

- configuration : aile volante ;

- masse du missile de 935 kg (en version définitive) avec le chariot accélérateur ;

- charge SNCASE de 135 kg, installée en position pendulaire sous le fuselage ;

- propulsion de croisière par statoréacteur, d’un diamètre de 500 mm, mis au point par la SNCASE ;

- performances : Mach 0,8 ; vol à altitude constante d’environ 400 m, contrôlée par un altimètre barométrique SFENA ;

- guidage en direction fondé sur le maintien dans un plan directeur radar vertical passant par la rampe de lancement et par l’objectif : deux antennes, dont l’une pour la phase de départ, avec un lobe de 12°, et l’autre pour la croisière, avec un lobe de 2° (3,6 GHz) ; un détecteur radar, à bord du missile, déterminait l’écart par rapport au plan directeur ; une télémesure radar au sol avec un répondeur (1 GHz) mesurait la distance parcourue par le missile et transmettait l’ordre de télécommande pour la descente ; l’antibrouillage devait être amélioré ; le plan directeur et la télémesure étaient développés par la CSF ;

- pilote automatique SFENA avec gyromètre roulis/lacet ;

- précision obtenue au cours de l’expérimentation sur 30 missiles : 80 % d’impacts étaient compris dans un carré de 25 m de côté ; la précision était plus correcte en direction qu’en distance ;

- une unité mobile permettant le tir simultané de quatre missiles sur la même cible (15 s entre le tir de deux missiles), pour l’utilisation opérationnelle, avait été réalisée.

 

18 Voir chapitre 7, DEFA.

 

19 Cf. Philippe Jung lors des congrès de l’International Astronautical Federation : IAA 93 (SE 4200) et 95 (SE 4500).

 

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La société ne disposant de la soufflerie de Modane qu’en décembre 1952, la mise au point du statoréacteur (injecteurs) fut effectuée à l’aide de tirs, et elle fut longue ; de même pour la mise au point du plan directeur. Le premier tir avec le stato eut lieu en octobre 1950, celui avec le guidage en avril 1954. 287 tirs ont été effectués de 1950 à 1958 pour la mise au point, dont les 18 premiers sur la plage de Pampelonne.

À partir de juin 1954, l’EMAT désirait expérimenter le tir des missiles : 100 missiles formant trois lots de versions évolutives (par exemple 60 SE 4263 sans guidage) et une présérie de 180, en deux versions, SE 4246 et 4280, furent tirés respectivement de 1955 à 1958 et de 1960 à mars 1963 par les 701e et 702e GAG. Pour la présérie, les campagnes de tir duraient 15 jours et 20 à 30 missiles étaient tirés, dont certains en salve de deux ou quatre missiles.

En avril 1958, l’EMAT décida de ne pas mettre en service ce programme à charge conventionnelle, tout en achevant jusqu’en 1963 ses expérimentations tactiques20 : des tirs après deux années de vieillissement, quelques tirs, sans succès, avec un autodirecteur passif (ondes VHF) et un tir avec un brouilleur Tatou de Thomson.

 

SE 4500 (SS 40)

Il a été lancé à la fin de 1955. C’était un SE 4200 agrandi à l’échelle 4/3 et capable de porter une charge de 700 kg ; la masse du missile, avec accélérateur, passait de 935 kg à 1400 kg. La portée de 100 km était maintenue. Tous les équipements de guidage et de pilotage, dans la dernière définition du SE 4200, étaient utilisés.

62 tirs de missiles, de 1956 à la mise en veilleuse des travaux à la fin de 1958, avaient permis la mise au point.

 

20 Décision ministérielle N° 246 DN/CAB/ARM du 15/04/1958 – dossier 26R4 du SHAT

 

Ce programme reçut une aide financière des Américains, égale à 40 % des dépenses de développement HT durant deux années (du 11 juin 1956 au 30 juin 1958), au titre d’un contrat MWDP (Mutual Weapon Development Projects, dits « Larkin »). Des discussions avec la Suède, pour une utilisation des SE 4200 et SE 4500 en batterie côtière, eurent d’autre part lieu en 1958.

Ce missile avait été lancé pour un équipement éventuel avec une charge nucléaire. Mais, en 1955, il n’y avait pas de programme nucléaire défini ; le projet de SSBT (Casseur, de 100 à 300 km de portée) démarra en 1956. La directive ministérielle du 4 août 1958 décida de lancer, en plus du SSBS, un programme de missile balistique tactique et d’arrêter les tirs de SE 4500, sans annuler, pour le moment, le programme. La décision définitive sur la poursuite de ce programme était subordonnée à la certitude d’obtenir une charge nucléaire adéquate, française ou américaine, en temps utile pour qu’il soit mis en service suffisamment longtemps avant l’aboutissement du SSBT. À la fin de 1958, les Américains indiquèrent que ce missile était incapable de recevoir une telle charge. En août 1959, il fut décidé que les efforts devaient être consacrés uniquement au SSBS : en octobre 1959, le projet du Casseur et le SE 4500 furent arrêtés.

 

LES CIBLES AERIENNES

Le besoin de cibles aériennes se fit sentir dès 1946 pour l’entraînement aux tirs canons et dès 1953 pour la mise au point des premiers missiles antiaériens. Des solutions provisoires furent utilisées de 1951 à 1957 : d’une part, des engins planants téléguidés de la famille SE 1500, largués des avions Léo 45, Lancaster et Canberra (les versions cibles sont le SE 1502 pour la Marine et le SE 1524 pour l’Air, avec 31 vols à Colomb-Béchar21) ; mais ces engins étaient trop lents. D’autre part, on utilisait des conteneurs cibles, dotés de trois parachutes et éventuellement de flammes, pour la mise au point des missiles à autodirecteur22. Trois programmes de cible aérienne téléguidée furent lancés par le STAé/ES à l’Arsenal (puis à Nord-Aviation).

 

CT 10 (Ars 5501) – Arsenal de l’aéronautique

Les études ont commencé dès 1946, le besoin de base ayant été défini par le STAé ; le premier vol date de décembre 1949, au CIEES. Durant cette campagne d’essais, un fonctionnement intempestif des fusées (induction électromagnétique) provoqua la mort du responsable du CT 10, l’ingénieur de l’Arsenal, M. Léger23.

 

21 Cf. Philippe JUNG, op. cit.

 

22 Cf. Roger MEGRET, Yves HEBEL et al., Il était une fois… Matra, Matra, vers 1990 et Le Centre d’essais en vol 1944-1994, Association amicale des essais en vol, Union de publicité et d’édition, 1994.

 

23 C’est toujours, au 31 décembre 2002, l’unique décès déploré lors d’essais de missiles tactiques français.

 

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Ses principales caractéristiques étaient les suivantes :

- véhicule inspiré du V 1, avec sa propulsion de croisière par un pulsoréacteur. Sa mise au point, avec l’assistance d’Allemands, fut assez rapide, malgré les difficultés en matière de régulation ;

- accélérateur à propergol solide ;

- commande par une gouverne de profondeur et des spoilers aérodynamiques sur les ailes, pour le contrôle du roulis (« gyro » d’assiette) ;

- masse en vol de 600 kg ;

- téléguidé en boucle ouverte ; localisation par un interrogateur-répondeur IFF (Identification Friend and Foe), servant de télémesure, réalisé par Derveaux ;

- tir d’une rampe courte (à Colomb-Béchar, c’était un socle de béton avec des rails de chemins de fer) et récupération par parachute. Là se situaient les différences fondamentales avec le V 1 : pour ce dernier, la rampe avait une longueur de 45 m ;

- performances : vitesse de 420 km/h et plafond de 4 000 m : elles étaient trop limitées pour les essais de missiles ; en outre, la maniabilité était incertaine.

Le CT 10 fut opérationnel en 1952 ; il fut néanmoins produit à 413 exemplaires et utilisé dès cette année par les Britanniques (75 exemplaires).

 

CT 20 (Ars 5510) – Arsenal de l’aéronautique

Les études du CT 20 commencèrent en 1953. Ses principales caractéristiques étaient les suivantes : - il a été conçu autour du Marboré II, petit turboréacteur (poussée de 400 kgp), développé par Turboméca pour les avions légers d’entraînement ;

- masse en vol de 660 kg ;

- configuration avion, équipé des spoilers d’ailes ; empennage en V ;

- pilotage 3 axes : gyroscope SFENA et directionnel SFIM;

- tir d’une rampe inclinée, avec un chariot accélérateur à propergol solide ;

- récupération terrestre et maritime par parachute, avec peu de dégâts sur un champ de tir terrestre ;

- localisation par radar Cotal (avec répondeur) ; télécommande SFENA ;

- performances valables pour l’époque : Mach 0,8 et altitude de 13 000 m ; vol de croisière de 50 minutes ; portée sûre de 40 km.

Le premier vol date de janvier 1955 et la cible fut opérationnelle à partir de 1958. Ce fut la cible de mise au point et d’entraînement pour le R 511 et pour tous les missiles antiaériens de la deuxième période. Elle a été utilisée jusqu’à la fin des années 1980. Elle fut produite à 1 569 exemplaires et exportée dans cinq pays. Elle fut utilisée pour les campagnes de tir d’entraînement OTAN (Hawk) réalisées sur le champ de tir de Crète à partir de 1968 : ce fut un succès pour Nord-Aviation et pour le STAé. Deux dérivés furent développés : le M 20, sol-mer suédois et le R 20, missile de reconnaissance.

Mais il fallait que le CT 20 soit « valable », c’est-à-dire comparable à un avion, du point de vue des essais. Cette cible dut donc être équipée de flammes infrarouges et de lentilles pour simuler la SER (cf. annexe technique n° 3). On augmenta son plafond, avec le Marboré VI, et on réalisa une version basse altitude.

 

Mais elle n’avait pas les dimensions d’un avion, pour les essais de missile à charge : cela explique la mise au point par le CEV du Mistral télépiloté et son utilisation de 1958 à 1965. On voulut aussi simuler les avions supersoniques : on lança le développement d’une cible supersonique.

 

CT 41 (Narval) – Nord-Aviation

Les études commencèrent en 1956 ; c’était l’époque des projets d’engin robot. Après des hésitations, au stade de l’avant-projet, entre le lancement d’un CT 30 propulsé à Mach 1,7 par turboréacteur avec postcombustion et celui d’un CT 41, avec une propulsion par statoréacteur, c’est ce dernier projet qui fut choisi : le stato était à la mode et l’optimisme régnait.

Le CT 41 était inspiré de l’avion Nord-Aviation Griffon, avec ses deux statos Nord Sirius de 625 mm de diamètre en bout d’aile. C’était un très bel « oiseau ». Sa vitesse de croisière était de Mach 2,5 et le plafond de 25 000 m ! Mais l’autonomie était très faible (14 mn). Sa masse en vol était de 1 250 kg ; avec le chariot de lancement, elle passait à 2 500 kg.

Les tirs de mise au point commencèrent en janvier 1959 et ils furent catastrophiques, avec un temps de vol limité à quelques minutes, voire quelques secondes. Des phénomènes d’aéroélasticité se produisaient. Le projet fut alors réétudié, en particulier avec les experts du STAé/EG ; les vols devinrent très satisfaisants vers 1962.

À la fin de 1962, la Marine américaine, très intéressée, acheta 6 CT 41 pour évaluation ; sur 3 tirs effectués en juillet 1963, 2 vols furent corrects : elle ne le retint pas.

Plusieurs expérimentations de tir de missile air-air R 530 furent tentées, en 1964 et 1965, au CEL (Centre d’essais des Landes). Les interceptions ne purent avoir lieu, le tir devant être effectué dans une zone très petite, compte tenu de la portée des cinéthéodolites, nécessaires pour la détermination de la distance de passage, et des limites de la zone de récupération. Cela conduisait à un chronométrage à la seconde près.

En 1965, après 29 essais en vol, le programme fut abandonné : cela arrêta toute étude expérimentale sur le statoréacteur jusqu’en 1972.

Il y avait eu, à la base même du programme, deux erreurs d’appréciation : d’une part, une cible supersonique et lancée du sol ne pouvait pas avoir un temps de vol suffisant pour être utilisable, avec les missiles de l’époque, sans être très grosse ; d’autre part, si l’on voulait éviter de lui faire survoler des régions habitées, le champ de tir devait être très étendu (en 1957, le champ de tir envisagé était Colomb-Béchar, et non le CEL).

 

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