De 1945 à 1958 : La création de l’industrie missilière

 

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CHAPITRE 3

LES ACTEURS : L’INDUSTRIE

 

LES MISSILIERS

 

Jusqu’en 1953, il existait un équilibre entre le secteur d’État (l’Arsenal de l’aéronautique), le secteur nationalisé (la SNCASE) et le secteur privé (Matra).

 

L’Arsenal de l’aéronautique1

Il fut créé en 1936 et l’usine de Châtillon lui fut affectée en 1945. En 1953, il fut transformé en une société, la SFECMAS, filiale de la SNCAN (Société nationale de constructions aéronautiques du Nord). Elle fut absorbée le 1er janvier 1955 par sa société mère. Cette dernière changea de nom en 1958, devenant Nord-Aviation.

À l’automne 1946, à la demande du STAé et de la DTIA, l’IGA Vernisse, directeur de l’arsenal, créa un département Engins spéciaux, dit E 5, composé d’une dizaine de personnes. Il nomma à sa direction le jeune IA Émile Stauff. À ce département, le STAé confia les matériels allemands récupérés : quelques missiles air-air X 4, une maquette de soufflerie X 7 et un missile sol-air Enzian, et lui demanda d’étudier les travaux réalisés par les Allemands. Les quelques spécialistes allemands affectés au département ne furent pas intégrés dans les circuits de définition ou de production, mais, comme consultants, leur efficacité a été considérable. Il faut en particulier citer le Dr. Sänger, aux vues sans doute futuristes, mais fécondes (d’après M. Beaussart).

La mission choisie par l’Arsenal en accord avec le STAé fut la suivante2 : réaliser des matériels simples et intensément reproductibles ce qui conduisait à la conception d’engins téléguidés en auto-rotation autour de leur axe longitudinal. L’Arsenal reprenait la philosophie du Dr. Kramer, concepteur de la famille des missiles allemands désignée par « X …» (cf. chapitre 1) : pour aller vite, il fallait partir des solutions connues et faire appel à la collaboration de spécialistes allemands ; de plus, il était apparu nécessaire de résoudre isolément les divers problèmes que posaient les engins tournants, qui n’étaient pas connus en France.

 

1 Pour des compléments sur la société et sur les missiles antichars, cf. Comité pour l'histoire de l'armement terrestre, Armements antichars, par M. Stauff (†), puis par MM. Guillot et Dubernet (tome 10), 2002 et Mémoire d’usine – Châtillon-sous-Bagneux, CEE de l’Aérospatiale, 1985. – Au début des années 1960, deux de ces Allemands eurent une part de responsabilité dans la coopération pour le missile Kormoran. M. Eberst fut, au ministère allemand de la Défense, chargé de l’autodirecteur commandé à CSF. M. Friedrich fut l’intermédiaire entre sa société, Nord-Aviation, le gouvernement allemand et MBB.

 

2 Extraits d’un document de l’Arsenal de 1947 ou de 1948 (fonds de M. Stauff au Comité pour l'histoire de l'armement terrestre, conservé au Département d'histoire de l'armement de la DGA).

 

Les programmes d’étude retenus étaient les suivants :

- programme AA 10 : le missile appelé Ars 5101 était la reproduction du missile allemand air-air subsonique X 4 avec un téléguidage manuel et une liaison filaire. Le but était d’analyser et d’assimiler les techniques de l’autorotation et de la propulsion à ergols liquides.

- programme expérimental ou de synthèse Ars 5201 : il avait été jugé utile, pour déterminer la théorie générale des engins tournants, de réaliser un missile subsonique équipé d’un propulseur à propergol solide et de le limiter au tir du sol ; de plus, son calibre avait été déterminé pour l’emport de l’enregistreur A 20, ce qui avait conduit à une masse de 15 kg.

- programme CT 10 : mise au point d’une cible aérienne télécommandée et récupérable, en partant du V 1 allemand. - ultérieurement, étude d’un engin tournant air-air téléguidé satisfaisant au programme AA 20 et au programme sol-air SA 20, par l’adjonction d’un propulseur d’accélération largable.

Le missile Ars 5101 et le mode de propulsion à liquides furent abandonnés, en 1950, après des difficultés pour le piloter et quelques explosions sous avion. En revanche, les études du CT 10 et du missile de synthèse Ars 5201 ont été un succès. En fait, ce dernier missile, avec une aérodynamique améliorée (version cruciforme) et équipé d’une charge creuse, devint le premier missile antichar opérationnel répondant au programme SS 10 (d’où le nom généralement retenu) et donc, très fortuitement, l’initiateur de la série des antichars de Nord-Aviation (SS 11, Milan, Hot). La mise en série commença en 1952.

Compte tenu de ces études, une nouvelle version de missile air-air, Ars 5103, put être définie en 1951, avec une propulsion à propergol solide le rendant supersonique et une liaison radio ; elle correspondait au programme AA 20 ; le missile dérivé sol-air qui avait été prévu ne fut pas réalisé.

L’Arsenal a donc trouvé, dès 1950, son créneau : le « missile téléguidé », proche de la munition, simple, bon marché et réalisable industriellement à cette période. Ainsi, il n’y a aucune électronique dans le SS 10, mais seulement deux relais télégraphiques pour l’amplification des signaux de la télécommande et un propulseur à propergol solide. Ce créneau fut exploité jusqu’en 1970 environ. L’ICA Émile Stauff avait permis à sa société d’atteindre un niveau industriel international dès 1960.

La DTIA suivit le développement des antichars jusqu'en juillet 1961, après la décision de transfert à la DEFA qui fut prise en janvier 1960 (voir chapitre 6), et les finança sur ses crédits d’études générales. En outre, c’est le STAé qui conseilla à l’Arsenal le choix de la STRIM (Société technique de recherches en industries mécaniques) pour l’équipement du SS 10 avec une charge creuse (l’Arsenal, relevant du domaine aéronautique, ne travaillait pas habituellement avec STRIM)3 et celui de la société Turck pour le localisateur infrarouge du SS 11. Ces deux sociétés devinrent les principaux partenaires de l’Arsenal, avec la Direction des poudres pour le propergol : en effet, l’Arsenal réalisa la majorité des équipements du missile, comme le propulseur et le gyroscope à poudre.

Comme nous le verrons, d’autres programmes furent lancés durant cette période : antichar SS 11, cibles CT 20 et CT 41.

Le Centre technique et industriel était implanté à Châtillon, avec une annexe aux Gâtines, dans le bois de Verrières-le-Buisson. L’équipe était formée de quarante personnes à la fin de 1946, d’une centaine en 1949 et d’un millier en 1958. Les principaux ingénieurs qui participèrent à cette aventure sont : Léon Beaussart, adjoint d’Émile Stauff ; l’ICA Roger Chevalier, responsable des études théoriques, puis des cibles, jusqu’en 1959 ; Jean Guillot, responsable de la propulsion, puis directeur technique de la Division (pour les programmes du SS 10 à l’ASMP) ; M. Malaval (diplômé de Supaéro), qui fut le premier « télépilote » d’engins et ingénieur d’essais chargé d’interpréter les réglages pour le pilotage ; M. Stcherbatcheff, le théoricien de la mécanique du vol pour les missiles tournants.

En 1950, la Section avions du STAé chargea l’Arsenal d’étudier un avion supersonique propulsé par un turbostatoréacteur. Un Département statoréacteur fut créé. Il fut associé à la mise au point du stato du missile Matra R 431, à la fin des années 1950, et il développa le stato de la cible CT 41 de Nord-Aviation.

Matra

Cette société fut créée en 1941 par Marcel Chassagny, diplômé d’HEC. Elle avait alors pour objet la mécanique, l’aviation et la traction (une diversification était envisagée vers les tracteurs agricoles), d’où son nom. Matra succédait à la société Capra (Compagnie anonyme de production et de réalisation aéronautique), créée en 1937 par M. Chassagny, liquidateur judiciaire, pour reprendre la société des Avions Bernard, qui n’avait pas été nationalisée. Le responsable technique de Matra, jusqu’en 1965, fut Roger Robert, ancien chef du bureau d’études des Avions Bernard4.

Matra étudia pour le STAé, jusqu’en 1950, plusieurs prototypes d’avions innovants, dont un avion supersonique et monoplan avec changement de configuration en vol, et un projet d’engin postal5. En 1946, suite à une demande de la Section armements du STAé, la Matra s’intéressa aux lance-roquettes et les projets présentés furent retenus. Matra devint la société spécialiste et ses lanceroquettes équipèrent l’Ouragan, le SBM 2, le Vautour et des avions étrangers. Il fut à l’origine du Département armement de Matra, qui réalisa la majorité du chiffre d’affaires et du bénéfice de la société dans les années 1950. En 1947, un Département électromécanique avait été créé. Son activité évolua naturellement vers les équipements de pilotage des missiles.

 

3 Information fournie par l’ICA Esmenjaud, en poste à cette époque au STAé/AR.

 

4 Tous les noms des missiles Matra de l’époque commencent par « R », en référence à Roger Robert.

 

5 Roger MEGRET, Yves HEBEL et al., Il était une fois… Matra , Matra, vers 1990.

 

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La société, marquée par l’esprit d’innovation de son président et de son directeur technique, était prête à se lancer dès 1948, pour le compte du STAé, dans les études de missiles. L’objectif retenu fut le missile antiaérien, autoguidé et supersonique, décliné en deux types : air-air (AA 20 / R 511) et sol-air moyenne portée (SA 20 / R 422 et R 431). Matra devait, pour l’air-air et le sol-air, mettre au point le pilotage d’un vecteur supersonique et les techniques de l’autoguidage, malgré l’absence, en 1955, d’une technologie électronique valable. En outre, pour le sol-air, la société devait d’une part envisager, pour le deuxième étage, la propulsion par propergols liquides et par statoréacteur. En effet, une longue portée était recherchée et à l’époque, les experts étaient pessimistes sur les performances du propergol solide et optimistes sur l’utilisation opérationnelle du statoréacteur ; d’autre part, il fallait concevoir un système complexe de guidage au sol en temps réel, nécessaire pour la première phase téléguidée.

En avril 1958, Matra n’avait pas totalement répondu à ce défi. Mais elle avait franchi des étapes. D’une part, avec le R 511, une première génération d’air-air autoguidé avait été mise au point, même si elle accusait un retard de plusieurs années par rapport aux Américains. D’autre part, les bases de la conception d’une deuxième génération compétitive étaient posées. En revanche, pour le missile solair, seul le véhicule pouvait être considéré comme acquis ; mais c’était, en 1958, le projet français le plus avancé. L’incertitude sur la continuité de l’activité de Matra dura entre avril 1958 et août 1958 ; en effet, en avril, la décision de ne pas mettre en service le R 422 fut prise, et c’est en août que l’utilisation opérationnelle du R 511 et le lancement du développement de la deuxième génération de l’air-air furent décidés. En conclusion, M. Marcel Chassagny avait réussi à placer sa PME dans l’industrie missilière.

Ces premiers succès dans l’activité missiles ont reposé sur une équipe réduite. Pour l’activité air-air, citons les jeunes responsables Roger Pacault (polytechnicien, qui partit ensuite à l’ESRO) et Yves Hébel (Supaéro), le « père » des missiles autoguidés Matra, devenu directeur technique de l’activité missiles en 1963. Ce dernier faisait partie des premières promotions qui avaient suivi une formation sur les automatismes, indispensable pour développer des missiles autoguidés. Au contraire, la plupart des responsables de l’époque avaient suivi, avant 1950, une formation aéronautique limitée à l’enseignement de la structure et du moteur : ils étaient mal préparés au guidage. Pour l’équipe sol-air, citons Pierre Quétard (Sup’élec), arrivé en 1955, qui devint le premier responsable de l’activité spatiale Matra, et Lucien Salmet, chef des essais, qui devint chef du bureau d’études des aéroportés. Citons aussi le Dr. Anton, un Allemand, qui dirigea le Service aérodynamique de 1950 à 1975 ; M. Henault, chef du bureau d’études, et M. Defrêne, chef du Département électromécanique, tous deux venant de la Capra, et M. Petiton, plus jeune, qui devint chef des laboratoires d’essais. Lorsque l’activité sol-air s’arrêta, en 1959, son personnel se divisa entre l’équipe air-air et la nouvelle équipe spatiale.

Matra ne réalisait que les structures et les équipements de pilotage. Ses principaux partenaires étaient : pour la propulsion des sol-air, SEPR (propulsions liquide et solide) et l’Arsenal de l’aéronautique (statoréacteur) ; pour la propulsion solide des air-air, Hotchkiss-Brandt ; pour les autodirecteurs, CFTH (radar) et Turck (infrarouge). La société était installée à Boulogne ; l’usine de production de Salbris fut acquise en 1956. La société Matra employait 800 à 900 personnes en 1958.

 

SNCASE (Société nationale de constructions aéronautiques du Sud-Est)6

Le Groupe technique de Cannes (GTC) de cette société, qui s’était illustré dans le domaine des avions, se reconvertit dans l’activité missiles, reconversion due à deux personnes. Louis Marnay était le responsable des bureaux d’études de Marignane et de l’établissement de Cannes. Très dynamique, il s’intéressa aux missiles dès 1946 et il obtint un contrat du STAé : il s’agissait d’étudier le souffle d’une bombe planante téléguidée sur des avions. Ce fut le début du SE 1500, utilisé ensuite comme cible aérienne. Louis Besson, lui, était le responsable du bureau d’études missiles de la SNCAC. Il avait obtenu, en 1947, des contrats du STAé/ES pour deux missiles : le programme expérimental du sol-air SA 10 (NC 3500, qui devint le SE 4100) et celui du sol-sol SS 40 avec statoréacteur (NC 3510, qui devint le SE 4200). Mais des accidents de prototypes d’avions, en 1948, avaient mis en faillite la SNCAC. Les principaux membres du bureau d’études de Louis Besson furent embauchés par la SNCASE en 1949 et les deux programmes continuèrent en changeant de nom. À cette date, le GTC devint autonome et prit la responsabilité de l’activité missiles de la SNCASE. Louis Marnay fut nommé directeur du Centre, Louis Besson étant le responsable technique des programmes SE 4100, 4200, 4300 et 4400.

Les objectifs retenus avec le STAé/ES pour la SNCASE étaient les suivants :

- programme sol-air à longue portée (SA 20), destiné à l’armée de l’Air, en « concurrence » avec Matra. Trois versions furent étudiées : deux programmes expérimentaux, SE 4100 et SE 4300, et un programme opérationnel, SE 4400 à statoréacteur. Le système de guidage différait de celui choisi par Matra ;

- programme sol-sol destiné à l’armée de Terre, avec une portée initiale de 30 km. Deux types de missiles, différant par la masse de la charge, furent développés : SE 4200 et SE 4500 ; la propulsion comportait un statoréacteur subsonique ;

- un autre missile fut développé : le planeur télécommandé SE 1500, qui servit de cible aérienne en attendant la mise en service du CT 20.

À la fin des années 1950, l’activité en matière de missiles tactiques de la société (devenue Sud-Aviation en 1957) fut abandonnée suite à l’arrêt des programmes sol-air, en août 1958, et des programmes sol-sol, en 1959 ; en outre, le développement de nouveaux programmes de missiles tactiques était alors très limité et le type de guidage choisi par cette société n’avait pas d’avenir.

La mise au point opérationnelle du statoréacteur est à mettre à l’actif de la SNCASE ; mais, en 1960, il ne semblait plus avoir d’intérêt, les missiles à longue portée n’étant plus d’actualité.

Une compensation industrielle lui fut toutefois accordée : le STAé obligea Nord-Aviation à sous-traiter à Sud-Aviation 50 % de la fabrication du SS 12. Dès 1959, Sud-Aviation orienta son Groupe de Cannes vers les missiles stratégiques. La société devint par la suite le centre satellitaire de l’Aérospatiale.

Jusqu’en 1957, les méthodes de travail de la SNCASE étaient proches de celles des avionneurs de l’époque. Elle réalisait de nombreuses versions et la mise au point était assurée grâce à des tirs de prototypes : pour les sol-air, 272 tirs eurent lieu, plus 23 tirs d’expérimentation tactique, et pour les sol-sol 349 tirs, plus 280 tirs d’expérimentation tactique (27 versions de SE 4200). D’autre part, contrairement aux deux autres sociétés missilières, plus impliquées dans le pilotage, la SNCASE assurait la direction du projet et la réalisation de la structure et du statoréacteur, mais travaillait pour le reste en coopération, en particulier avec des sociétés spécialistes du pilotage comme SFENA (Société française d'équipements pour la navigation aérienne) et ECA. Il est sans doute à regretter que la fonction guidage des missiles tactiques n’ait pas été mieux prise en compte par le bureau d’études. Après la création de Sud-Aviation, en 1957, M. Béteille, nommé directeur technique de Cannes7, envisageait de rénover ces méthodes.

Parmi le personnel qui a marqué la période, citons aussi Marcellin Laurent, adjoint de Louis Marnay dès le début des études de missiles et responsable du SE 4500, Lucien Trousse, responsable des statoréacteurs, et M. Escursan, chargé des calculs.

 

6 Pour plus de détails, on peut se référer aux interventions de Philippe Jung lors des congrès de l’International Astronautical Federation : IAA 1988 (SE 4400), 1989 (SE 4100), 1990 (SE 4300), 1992 (SE 1500), 1993 (SE 4200), 1995 (SE 4500).

 

7 En 1958, le personnel du GTC était de 410 personnes environ.

 

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LE « ROMAN » DES AUTODIRECTEURS OPTIQUES (SPECTRE VISIBLE)

 

En France, c’est un ingénieur du génie maritime, affecté à un laboratoire d’optique, qui s’intéressa à ce type de matériel juste avant la guerre (on ignore pour quelle utilisation)8. Il se replia à Toulon et continua son activité en réalisant une maquette avec l’aide d’un technicien civil, M. Ingber. Ce dernier, peu scrupuleux, disparut dans le maquis, en 1943, avec la maquette et les plans et notre inventeur, jusqu’à sa mort au début des années 1960, ne réussit pas à avoir des nouvelles de son « voleur ». Compte tenu de l’importance stratégique de ces recherches, M. Ingber reçut de l’argent liquide de Londres et, en 1946, le STAé fut mis au courant de l’existence de ce matériel par le cabinet du ministre de l’Armement, M. Charles Tillon.

Un contrat d’études et de fourniture de maquettes fut passé à la société SIRT, fondée par M. Ingber. Mais celui-ci fut incapable de réaliser un matériel adapté aux spécifications d’un missile antiaérien (établies par Matra). Pendant quelques années, le STAé attendit la fourniture. Lorsqu’une maquette fut livrée au CEV, l’expérimentation fut décevante : elle équipa un missile sol-air SE 4300, sans succès lors du tir. À la fin de 1955, l’lGA Gérardin, directeur du STAé, résilia le contrat et l’affaire Ingber fut close. Mais ce dernier avait embauché un technicien électronicien très compétent dans la technologie des tubes, M. Hardy. Devant la tournure prise par les événements, ce dernier contacta le PDG de Matra. Marcel Chassagny, avec son dynamisme et son esprit d’innovateur, accepta, avec l’aval du STAé, de créer une petite société, Drivomatic, dirigée par M. Hardy, pour réaliser des autodirecteurs optiques.

Le premier tir d’un missile air-air français, le R 510, équipé d’un autodirecteur Drivomatic, eut lieu en septembre 1953, à Colomb-Béchar. La cible était le soleil levant et le missile suivit une trajectoire sensiblement rectiligne, dont la direction coïncidait bien avec celle du soleil. D’autres tirs d’autodirecteurs optiques furent effectués. Mais, l’utilisation opérationnelle de ce type d’autodirecteur paraissant peu prometteuse, le programme évolua vers un autodirecteur infrarouge qui, lui, était réalisable à cette date. Drivomatic fut mis en concurrence avec les Établissements Turck, spécialistes de l’infrarouge, et des autodirecteurs des deux sociétés furent tirés en 1956-1957. Le STAé, avec l’accord de Matra, choisit les Éts Turck, plus compétents pour les futures générations d’autodirecteurs infrarouges. Drivomatic arrêta toute activité en 1958.

 

8 Information fournie par un contrôleur financier qui défendait les intérêts de la famille de cet homme et qui nous interviewa, dans les années 1960, comme expert en infrarouge au STAé ; à cette date, l’ingénieur était décédé.

 

LES EQUIPEMENTS INFRAROUGES

 

En 1939 et jusqu’en avril 1940, Jean Turck était un jeune ingénieur qui concevait des télécommandes radio à modulation de fréquence (procédé innovant pour l’époque) pour Maurice Hurel, directeur technique de la SNCAN. Ce dernier avait imaginé, pour le bombardement, un avion télécommandé et bourré d’explosifs. Tous deux rejoignirent l’Algérie, le 16 août 1943, lors du fameux raid du SO 90, piloté par Maurice Hurel, qui décolla de Cannes à la barbe des Italiens. À Londres, Jean Turck fut chargé par les Forces navales de la France libre du brouillage de la télécommande du Hs 293 allemand : cette bombe fut neutralisée.

En 1946, Jean Turck, libéré par la Marine nationale, fonda sa société – ce à quoi il avait été incité par les services techniques. Sa première activité fut la télécommande pour les engins planants utilisés comme cibles aériennes (ECA S 20 et SE 1524), puis pour les Mistral télépilotés du CEV. De la télécommande, sa société passa à la télémesure.

Estimant que l’utilisation de l’enregistreur papier était d’un intérêt limité pour les missiles (en particulier parce qu’elle ne permettait pas de travailler en temps réel), le STAé finança les études de télémesure. En 1953, le CEV choisit la télémesure Turck pour les missiles Air (pour les avions, il préféra un autre type de télémesure, proposé par l’ONERA et la SFIM ; le LRBA développait, lui, pour son missile, sa propre télémesure). En 1964, le CEV retint une télémesure, dite Ajax, moderne et commune à tous les utilisateurs. Les Éts Turck, devenus SAT, en conservaient la maîtrise d’oeuvre9.

En 1949, l’ICA Michel Decker, chef du STAé/ES, suggéra à Jean Turck d’orienter les recherches vers des télécommandes imbrouillables en faisant appel à l’infrarouge : ce fut, grâce au caractère entreprenant de son directeur, le début de la deuxième activité de la société.

À cette date, les connaissances nécessaires pour une utilisation de l’infrarouge (transmission de l’atmosphère, rayonnement de cibles, cellule détectrice à faible constante de temps) étaient limitées. Les Allemands avaient lancé quelques travaux et les recherches universitaires se limitaient à la spectroscopie pour l’analyse des corps. L’un des quelques spécialistes à Paris était Pierre Barchewitz, professeur de chimie physique à la Sorbonne, qui venait de créer un laboratoire d’infrarouge10. C’était un homme dynamique, entreprenant et très « pratique » : à cette période, il fallait, pour son laboratoire, créer des appareils de mesure, pour lesquels des cellules détectrices étaient indispensables. Il devint le conseil scientifique des Éts Turck. Il renseigna bénévolement le STAé et réalisa par exemple, en 1953, des études théoriques sur l’atmosphère, avec des analyses quantitatives pour choisir les bandes spectrales11. Il aida l’équipe de Jean Turck à mettre au point les « pièces détachées infrarouges » de tout détecteur, qui devaient résister à l’environnement des missiles : optique, filtre interférentiel constitué de couches de matériaux déposées par évaporation et cellules à sels de plomb réalisées par évaporation (sulfure de plomb et tellurure de plomb). Le STAé finançait ces études générales.

En 1953, les Éts Turck étaient capables de proposer les premiers équipements infrarouges en bande 1 (cf. annexe technique n° 3) : d’une part, à l’Arsenal, un goniomètre pour le téléguidage d’un antichar, d’autre part, à Matra, un autodirecteur pour le missile R 511. Ce dernier fut tiré avec succès à partir de 1956.

En 1957, le développement nécessitant un fort potentiel de recherche et son financement, les Éts Turck furent absorbés par la SAT (Société anonyme des télécommunications, groupe SAGEM), qui cherchait à se diversifier dans l’électronique – leurs dirigeants restant en place. Dans ce domaine, la France était compétitive, en 1958, face aux États-Unis. Ce succès tient aux qualités des acteurs et au choix, effectué en commun par le STAé et par Jean Turck, de créer une société réalisant à la fois les équipements infrarouges et les « pièces détachées » adéquates, compte tenu de la taille limitée du marché français.

 

9 Le Centre d’essais en vol 1944-1994 , Association amicale des essais en vol, Union de publicité et d’édition, 1994.

 

10 Le professeur Lallement était un autre spécialiste. Il travaillait à l’Observatoire de Paris et réalisait des cellules au sulfure de plomb. Il eut le soutien du STCAN jusqu'à la fin de 1958. Mais il était peu coopératif avec le STAé et avec l’industrie.

 

11 Pierre BARCHEWITZ, M. AMAT, Mme ROSSETTI, « Contribution à l’étude de la transmission infrarouge de la basse atmosphère », Bulletin des services techniques du ministère de

l’Air, n° 116, 1954 ; des études américaines furent réalisées à la même époque (cf. René CARPENTIER, Le rayonnement infrarouge, cours de l’ENSAE, 1984). Les débuts de l’optronique à la DTIA sont retracés dans les exposés de Jean Turck et de René Carpentier, in Comité pour l’histoire de l’armement, L’optronique militaire en France, 1945-1985 (actes du colloque de mai 2002), sous presse.

 

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LES ÉQUIPEMENTS ELECTROMAGNETIQUES

 

Le STAé/ES a passé des études aux différentes sociétés de l’époque intéressées par l’électronique des missiles (les deux grandes sociétés créées avant la guerre, CSF et CFTH, et les PME créées après 1945), sans soutenir particulièrement l’un de ces industriels.

Les résultats obtenus sur les équipements des missiles ont été décevants, sauf pour l’autodirecteur du R 511. Cela s’explique partiellement par la technologie de l’époque (tubes) et par l’insuffisance des études effectuées par le missilier et par l’électronicien pour la plupart des projets. En revanche, le fonctionnement des équipements sol a été satisfaisant, en particulier le radar Cotal (conduite de tir d'artillerie lourde), développé par la SEFT et utilisé pour les conduites de tir des missiles sol-air.

À la fin des années 1950, la CFTH était le seul industriel à pouvoir présenter un bilan honorable. Il était nécessaire d’intéresser d’autres électroniciens compétents à l’électronique des missiles.

 

CSF (Compagnie générale de télégraphie sans fil)

Le département dirigé par Henri Gutton, brillant inventeur dans les années 1930, a développé de nombreux équipements :

- les matériels sol de guidage destinés aux missiles de la SNCASE (plan directeur pour les sol-sol SE 4200 et SE 4500, radar Pénélope, émettant un faisceau modulé, pour les missiles sol-air SE 4300 et SE 4400) et le récepteur missile Pénélope ont fonctionné, mais ces programmes n’eurent pas de suite à la fin des années 1950 ;

- les fusées de proximité métriques équipaient les obus. Elles furent retenues pour les air-air N 5103 et Matra R 510, mais leur fonctionnement ne fut pas satisfaisant, car elles devenaient microphoniques avec les vibrations des missiles.

- une maquette d’autodirecteur à ondes métriques pour sol-air (LB1).

Après 1960, aucune étude ne fut plus confiée à ce département, qui fut transféré à Sud-Aviation (Établissement de Suresnes) au milieu des années 1950.

Le Laboratoire de Corbeville, dirigé par M. Simon, a, lui, étudié un projet d’autodirecteur actif pour les missiles sol-air (quatre antennes à ondes progressives plaquées sur la structure du missile) ; cet équipement s’est révélé trop futuriste.

 

CFTH (Compagnie française Thomson-Houston)

L’autodirecteur semi-actif (types FC et FD) de l’air-air Matra R 511 fut confié au département de M. Goublin. Cet équipement a correctement fonctionné, mais la fiabilité, du fait de la technologie « tube », était moyenne. Le premier tir réussi du missile eut lieu en 1957 et une série de 1 000 exemplaires fut lancée en 1958. En revanche, les prototypes de l’autodirecteur de type FS, pour les sol-air Matra et SNCASE, n’ont été disponibles qu’à la fin de 1958, c’est-à-dire après l’arrêt des sol-air, et l’étude d’un autodirecteur (type FI), à ondes millimétriques, a été arrêtée en 1959.

 

Les autres sociétés

Leurs résultats furent globalement peu satisfaisants.

Aux Laboratoires René Derveaux, des équipements importants furent confiés : système sol de préguidage Super Ulysse du missile sol-air Matra, autodirecteur, télécommande pour le Nord 5103 et le CT 10. Cette société avait de bons ingénieurs et de bonnes idées, mais elle manquait de compétences dans le domaine électromagnétique et elle ne sut pas gérer sa croissance. Sa faillite, en 1958, fut en particulier causée par l’étude du viseur de bombardement du Vautour. Nord-Aviation dut reprendre la fabrication des télécommandes.

La SFENA (Société française d’équipements pour la navigation aérienne) avait été créée en 1947, à l’instigation des services officiels (particulièrement le STAé/EQ), autour d’un noyau de spécialistes de gyroscopes formés par M. Alkan et d’un groupe d’Allemands spécialistes de guidage et de navigation, venant de Siemens et d’Askania (ils étaient sept en 1948). Dans le domaine des pilotes automatiques et des équipements de pilotage, elle remporta de nombreux succès. En revanche, dans le domaine électromagnétique (probablement l’activité d’origine de quelques Allemands), son bilan est mitigé : un échec partiel pour l’autodirecteur semi-actif en poursuite à antennes fixes destiné au sol-air Matra R 422 (un seul tir autoguidé en 1958, avec un résultat médiocre) et au sol-air SNCASE SE 4400 (sans accrochage lors de tirs) ; un succès honorable pour ses télécommandes (sol-air Matra R 422 et cible CT 20). L’activité électromagnétique fut arrêtée, sauf pour la télécommande du CT 20.

Le CNET (Centre national d’étude des télécommunications) consacra la majeure partie de l’activité de son Département télécommande et contre-mesures aux missiles. Très compétent dans le domaine des servomécanismes, il servit de conseil à la SNCASE et conçut le système de guidage Pénélope de ses sol-air, dont il assura la maîtrise d’oeuvre. Il réalisa, en compétition avec la CSF, le récepteur missile Pénélope, avec un fonctionnement correct. Son activité missile s’arrêta avec celle des sol-air.

Enfin, la Société pour les applications de la lumière électronique (SPALE) se révéla incompétente pour réaliser des autodirecteurs en ondes VHF pour le SE 4200.

 

 

LES CALCULATEURS SOL DE GUIDAGE12

 

La phase de téléguidage des missiles sol-air nécessitait des calculateurs puissants, travaillant en temps réel : c’était un véritable défi. La STAé soutint la jeune Société d’électronique et d’automatisme (SEA), créée par M. Raymond avec deux orientations : le traitement analogique et le traitement digital. Après la livraison de simulateurs analogiques à Matra et à la SNCASE, pour le calcul scientifique, la SEA réalisa des calculateurs pour le guidage. Pour le Matra R 422, elle réalisa d’une part une machine analogique qui servit à la réalisation des tirs à Colomb-Béchar en 1957 et en 1958 (7 armoires de 1,5 mx0,62 mx0,7 m) et une machine numérique, la CAB 3018 (calculatrice arithmétique binaire), réalisée avec des tubes et des mémoires à tores de ferrite ; cette dernière machine ne fut pas retenue pour les essais. Une machine opérationnelle nommée Caramel, moins encombrante et plus robuste, avec une technologie à état solide, était commandée ; mais elle ne fut pas terminée, du fait de l’arrêt des sol-air. Les deux prototypes de la CAB 3018 furent confiés par le STAé à Nord-Aviation comme calculateurs d’études scientifiques.

La SNCASE, elle, avait choisi la SACM (Société alsacienne de construction mécanique) pour le calculateur analogique de guidage par faisceau de ses sol-air, associé au radar Pénélope. Pour le Maruca, l’ECAN de Ruelle avait retenu, en 1952, un calculateur analogique qu’il réalisait avec des éléments de la SEA.

L’arrêt, en 1958, du sol-air R 422 et le choix, en 1960, par Ruelle d’un calculateur digital IBM pour le Masurca, qui avait succédé au Maruca, ont conduit la SEA à abandonner ses activités liées aux missiles.

 

12 Pour plus de détails, cf. Centre d’études d’histoire de la Défense, La IV e République face aux problèmes d’armement, ADDIM, 1998.

 

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LES EQUIPEMENTS DE PILOTAGE

 

Nord-Aviation et Matra

Nous avons déjà indiqué que ces deux missiliers avaient produit eux-mêmes la majorité de leurs équipements : pour le premier, il s’agissait d’intercepteurs de jet et de gyroscopes de roulis à poudre et, pour le second, de gyroscopes de roulis, de gyromètres et de servomoteurs électriques (le choix de ce type de servomoteurs, au lieu d’équipements hydrauliques, est l’une des clés de la réussite des missiles Matra). Cette attitude était en partie liée à la spécificité des équipements des missiles : pour le gyroscope à poudre, un temps de vol très réduit permettant de ne pas alimenter les toupies après le tir, etc. Une autre raison était le plan de charge de fabrication des missiliers français, qui aurait été insuffisant s’ils s’étaient limités aux seules structures. Il est intéressant de noter que ces sociétés ont été les principaux constructeurs de gyroscopes : par exemple, Nord-Aviation produisit 300 000 gyroscopes à poudre.

Leurs quelques commandes extérieures s’adressèrent à ECA, à la SFENA et à la SFIM (les deux dernières fournissant des équipements pour les cibles CT 10 et CT 20).

 

La SNCASE

Cette société, elle, ne réalisa aucun équipement pour ses missiles ; elle coopéra avec la SFENA et avec ECA pour ses pilotes automatiques. La concurrence fut maintenue durant toute cette première période. Mais l’activité missilière de la SNCASE fut interrompue en 1959.

 

ECA (Études et constructions aéronautique)

Cette PME créée en 1936 par M. Gianoli, ancien ingénieur de l’industrie aéronautique, fut une société équipementière très compétente en matière de gyroscopes.

Elle réalisa, dès 1946, des véhicules aériens tirés d’avions pour mettre au point ses pilotes automatiques. Ces planeurs télécommandés furent utilisés comme cibles aériennes et commandés par la DCCAN. En outre, cette société développa des autodirecteurs optiques, dont plusieurs prototypes furent essayés sur le sol-air SE 4300, sans succès.

En 1965, cette société recentra ses activités dans le domaine de la Marine, pour la DCCAN (automation et robotique sous-marine). En 1995, elle existait toujours.

 

 

LA PROPULSION ET LES CHARGES

 

De 1946 à 1952, la propulsion à liquides, issue des études allemandes, avait la faveur des missiliers pour les « gros missiles ». Ses performances potentielles étaient supérieures à celles du propergol solide disponible, dit SD13. De plus, le diamètre maximum des blocs de ce propergol était limité à 200 mm par son procédé de fabrication (extrusion).

En revanche, au milieu des années 1950, le propulseur à propergol solide devint compétitif. En effet, la Direction des poudres (DP) avait mis au point de nouveaux propergols moulés, sans limitation de diamètre : l’épictète, disponible à partir de 1954, et surtout la plastolite et la plastolane, très performantes et disponibles en 195614. La propulsion à liquides fut alors abandonnée au profit du propergol solide par les trois missiliers, avec l’aval du STAé. Tous considéraient que seul ce type de moteur permettrait une utilisation opérationnelle. En effet, le problème du stockage des ergols liquides n’étant pas résolu, le missile à propergol solide était plus simple et offrait une sécurité supérieure.

Pour la propulsion à propergol solide, les motoristes ont été :

- l’Arsenal pour ses missiles, avec la coopération de la Direction des poudres pour la mise au point du premier propulseur ;

- Brandt, motoriste exclusif, à partir de 1953, pour les air-air Matra (propulseur à deux niveaux de poussée) ;

- SEPR et STRIM (Société technique des recherches industrielles et mécaniques) pour les sol-air Matra et SNCASE.

Les moteurs à propergols liquides avaient été développés par la SEPR15 pour les missiles Matra et SNCASE, par l’ECAN de Ruelle pour le missile SE 4300 de la SNCASE et pour son Maruca, et par l’Arsenal.

Quatre équipes ont mis au point, avec succès, des statoréacteurs pour missiles. À la demande du STAé, la SNCASE et l’Arsenal ont commencé les études, dès 1950. La première a mis au point le stato subsonique du sol-sol SE 4200 (premier vol en 1950) et celui du sol-air SE 4400 (Mach 3). Le domaine initial d’application de l’Arsenal était l’avion et il réalisa Griffon. Il a ensuite étudié un statoréacteur pour l’engin cible, CT 41, à Mach 2,5.

Matra développa, à partir de 1953, le statoréacteur du sol-air R 431 (Mach 2,5) avec la coopération de l’Arsenal pour la combustion.

L’ONERA créa une équipe de recherche dès 1946 et coopéra, dès 1951, avec le LRBA pour l’étude de statoréacteurs pour missiles expérimentaux, les ingénieurs du LRBA rejoignant l’ONERA en 1957-1958. Cette équipe mixte fut dirigée par l’IPA (FA) Roger Marguet, qui venait du LRBA ; elle a mis au point des missiles expérimentaux (NA 250, ONERA 2120, Statex à Mach 2,5...) ; elle fut à l’origine de la renaissance du stato à la fin des années 197016. Mais aucun missile propulsé par statoréacteur n’a été mis en service en France avant 1986.

Après l’arrêt des sol-air en 1958, la France a conservé, pour les missiles tactiques, deux motoristes compétents pour la propulsion à propergol solide, travaillant en association très étroite avec la Direction des poudres : Nord-Aviation, pour ses missiles, et Hotchkiss-Brandt, pour les missiles Matra. SEPR devint le motoriste des missiles balistiques.

Du côté des cibles aériennes du type avion, le petit turboréacteur Marboré, développé par Turboméca pour les avions d’entraînement, s’est imposé pour le CT 20. Le pulsoréacteur (dérivé du V 1) du CT 10 n’a pas eu de suite.

Pour les charges militaires (cf. annexe technique n° 3 pour les définitions), l’évolution la plus marquante dans la première période est celle de la charge creuse. Son origine est controversée. En France, les premiers essais d’un projectile à charge creuse, grenade à fusil capable de percer un blindage de 40 mm, eurent lieu en juin 1940. Cette charge avait été mise au point par Edgar Brandt17, qui avait relancé, en 1938, des activités d’armement avec l’assistance d’un jeune ingénieur, Michel Précoul, et suivant les idées de Berthold Mauhaupt, inventeur suisse qui avait déposé un brevet. Les premières charges creuses opérationnelles sont apparues sur des roquettes, en 1942, aux États-Unis (Bazooka) et en Allemagne (Panzerfaust). Mais c’est dans les années 1950 que la théorie fut établie, en particulier par l’ISL (Institut franco-allemand de recherches de Saint- Louis, avec le missile ENTAC), et que des gains substantiels en performances furent obtenus, avec la perforation d’un calibre en 1945 et de quatre calibres en 195518.

En 1958, la France avait deux sociétés compétentes pour les charges des missiles de la DTIA : la STRIM, fournisseur des charges des missiles de Nord-Aviation (charges creuses pour les antichars et charges perforantes), et Hotchkiss-Brandt, pour les missiles Matra (charges à fragmentation).

Roger Crépin, embauché par Hotchkiss-Brandt en 1948 et nommé en 1952 directeur des études, succédant à Michel Précoul, et ce dernier, devenu directeur technique de la STRIM en 1951, ont réussi à rendre leurs sociétés compétitives pour les missiles tactiques sur le plan international (et aussi pour l’armement terrestre et aérien).

 

13 Le sigle SD désigne un propergol fabriqué sans dissolvant : c’est un propergol homogène composé de nitrocellulose et de nitroglycérine. Seuls les missiles SS 10, ENTAC et R 511 ont été équipés d’un propulseur en SD.

 

14 La mise au point de ces nouveaux propergols résulte des travaux de la DP et d’informations recueillies lors de la visite d’ateliers aux États-Unis. L’épictète diffère du propergol SD par le procédé de fabrication. Les plastolites et plastolanes sont des propergols composites comportant du perchlorate d’ammoniaque comme charge comburante, du polychlorure de vinyle comme combustible et des additifs, comme l’aluminium pour la plastolane. L’augmentation des performances énergétiques entre la SD et la plastolane est de 28 %. Cf. IGA Lucien TOCHE, Une histoire des poudres entre 1945 et 1975 , SNPE, 1995 (tome 3 : Propergols solides) et IGA Guy PONTVIANNE, « Les propergols solides », in Centre d’études d’histoire de la Défense, La IV e République face aux problèmes d’armement, ADDIM, 1998. – Le nom Épictète (d’après l’esclave et philosophe stoïcien du Ier siècle de notre ère) a été donné par l’ingénieur des Poudres Georges Maire, lequel dirigea de 1946 à 1954 l’équipe qui a mis au point ces propergols au Centre d’études du Bouchet.

 

15 Société d’études de la propulsion par réaction, principal motoriste pour les fusées des missiles et celles pouvant assister au décollage des avions ; cette société avait été créée en 1944 et elle a utilisé des travaux allemands.

 

16 cf. chapitre 7 et Revue scientifique et technique de la Défense, 1998 (numéro spécial consacré à la recherche aéronautique).

 

17 Les Établissements Edgar Brandt étaient, depuis 1915, le spécialiste des mortiers. Depuis 1928, ceux-ci étaient fabriqués à Châtillon (usine affectée à l’Arsenal de l’aéronautique en 1945) et essayés à Vernon (où s’installa ensuite le LRBA). Ces établissements furent nationalisés en 1936. Cf. TDA, l’épopée industrielle, TDA Armements SAS, 2000.

 

18 IGA Lucien TOCHE, Une histoire des poudres entre 1945et 1975, SNPE, 1995.

 

 

L’ALIMENTATION ÉLECTRIQUE

 

Cet équipement a présenté de grandes difficultés de développement, compte tenu des besoins : stockage à l’état inerte de très longue durée (15 ans) et activation dans un délai bref (de l’ordre de 0,3 s) après la mise à feu. En dehors des piles sèches, valables pour des antichars (demandant peu d’énergie), mais avec un stockage limité et un fonctionnement à basse température défectueux, la solution française a consisté à utiliser des piles amorçables (l’électrolyte est injecté sur les éléments lors de la mise à feu). C’est la société Andyar (nommée en référence au brevet d’André Yardney) qui a produit ce type de batterie utilisant un couple zinc-oxyde d’argent, avec la potasse comme électrolyte. Elle fut ensuite reprise par la SAFT.  

 

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