Épilogue (situation en 2000)
VERS L’EUROPÉANISATION DES MISSILES
En 1995, les prémices d’une évolution étaient perceptibles en Europe et de nouvelles réductions des budgets des pays européens et de ceux de la plupart des pays importateurs d’armement étaient prévisibles. Aux États-Unis, la réorganisation industrielle était en cours ; elle aboutit en 1997, après l’absorption de Hughes par Raytheon, à la création d’une société leader dans le domaine des missiles, ayant un chiffre d’affaires supérieur à l’ensemble de l’industrie occidentale. Aussi la création d’un marché européen et la concentration de l’industrie devenaient-elles une nécessité. En France, les décisions prises en 1996 par le président Chirac de professionnaliser les armées, de réduire les coûts des armements et de restructurer l’industrie française furent le point de départ d’une période de profonds changements réalisés en quelques années.
LES SERVICES OFFICIELS RESPONSABLES DES PROGRAMMES
En 1996, la DGA se réorganise avec l’objectif de mettre l’accent sur la performance économique (selon le délégué Jean-Yves Helmer) ; l’objectif concret est la réduction de 30 % des coûts des programmes d’armements et de son propre coût d’intervention. La DME disparaît ; pour les missiles tactiques, le nouveau service, le SPMT (Service des programmes de missiles tactiques), garde les attributions du service antérieur, le STSMT ; mais il est rattaché à une nouvelle direction, la Direction des systèmes d’armes. Un pas important pour l’européanisation des armements a été la décision prise en 1996 par les quatre principaux pays européens – France, Allemagne, Grande- Bretagne et Italie – de créer un organisme indépendant, l’OCCAR (Organisation commune de coopération de l’armement), qui aura la personnalité juridique et la responsabilité de la conduite des programmes en coopération.
L’INDUSTRIE
En 1996, Matra et BAe décident de mettre en commun leurs activités missiles au sein d’une société intégrée, MBD (Matra Bae Dynamics), détenue à parité par les deux sociétés et dirigée par un responsable de Matra. C’est le premier pas vers l’européanisation de l’industrie des missiles. Puis les grandes manoeuvres industrielles s’accélèrent. Elles aboutissent, en 1999, à la création de la société Aérospatiale-Matra, résultant de la fusion des deux sociétés. Cette opération, capitale pour les missiles français, n’était pas envisageable en 1995. Ensuite, cette nouvelle société fusionne avec Dasa et Casa pour former, à la fin de 1999, la société aéronautique européenne EADS 1 ; les missiles sont moins directement concernés par cette dernière fusion. Alenia et Marconi fusionnent alors leurs activités missiles et désirent participer au regroupement européen des missiles.
Ce mécano aboutit à la création, prévue au début du nouveau millénaire, d’une société européenne pour les missiles tactiques, qui sera nommée MBDA ; elle intégrera les activités de MBD, celles relatives aux missiles de l’ex-Aérospatiale et celles d’Alenia Marconi Systems. Il est intéressant de noter que le capital de MBDA sera réparti de manière paritaire entre EADS et BAe Systems (nom né de l’achat de Marconi par BAe), chaque société ayant une part de 37,5 % ; la part du troisième actionnaire, Finmeccanica, la maison mère d’Alenia, sera de 25 %. Le président de l’exécutif est français. Cette répartition du capital montre que la politique menée par les Britanniques et les Italiens depuis la fin des années 1980 et visant à jouer un rôle majeur dans l’européanisation des missiles a abouti. En revanche, la décroissance de la position allemande est confirmée ; compte tenu de sa mauvaise situation, l’intégration de l’activité de la Division missiles de Dasa, dépendante d’EADS, n’est pas décidée.
En dehors de MBDA, il ne restera que des missiliers européens de moindre importance : l’activité missilière de Thomson-CSF et de sa filiale Shorts, l’activité de SAGEM (drone et programme de l’armement AASM), BGT en Allemagne, Bofors/Saab en Suède et Kongsberg en Norvège. Dans le cadre de la restructuration de l’industrie électronique française, en 1998, la société Dassault Électronique a été absorbée par Thomson-CSF, ce qui a entraîné en particulier la fusion des activités en matière d’autodirecteurs électromagnétiques des deux sociétés. Ainsi, la compétence des AD électromagnétiques, l’un des équipements majeurs de la plupart des missiles, est dorénavant répartie, en Europe, entre Thomson-CSF, rebaptisée Thales, et MBDA (pour les activités antérieures d’Alenia et de Marconi).
LES PROGRAMMES
L’évolution est contrastée.
D’un côté, les différentes révisions budgétaires ont entraîné l’arrêt de plusieurs programmes de missiles de la troisième période. Les antichars ne bénéficient plus du même degré de priorité. En France, le TRIGAT (LP) a été arrêté ; seuls les Allemands s’intéressent encore à ce programme pour l’équipement du Tigre. La Grande-Bretagne a arrêté le TRIGAT (MP) ; ensuite, tous les autres pays qui coopéraient, dont la France, ont suivi le mouvement ; certains pays envisagent d’acquérir des missiles autoguidés américains ou israéliens.
1 Le président du Conseil de surveillance de la société privée Aérospatiale-Matra fut Jean-Luc Lagardère. Ce sont son action et son aura européenne qui ont réussi à convaincre Daimler Chrysler de la nécessité de fusionner, de manière paritaire, les sociétés Aérospatiale-Matra et Dasa ; il est le co-président, avec un Allemand, du Conseil de surveillance d’EADS, ce conseil étant en particulier responsable de la stratégie.
Le projet d’antinavire supersonique ANF est arrêté ; l’Exocet sera amélioré pour assurer une nouvelle vie de 20 ans. La France ne commandera pas de production pour le drone Brével et le missile lance-torpille Milas ; les partenaires, l’Allemagne pour le Brével et l’Italie pour Milas, seront les seuls à les mettre en service. Les autres programmes vedettes de la troisième période continuent ; mais ils sont étalés et la cible des commandes est réduite ; ce sont l’antichar courte portée Eryx, le SATCP Mistral, l’air-air Mica, la famille sol-air Aster et le missile de croisière Apache.
D’un autre côté, l’optimisme peut aussi régner. Au niveau national, l’armée de l’Air manifeste le besoin d’acquérir des drones à longue endurance pour les expérimenter et la Marine veut armer ses grands bâtiments et ses sous-marins nucléaires d’attaque d’un missile de croisière du type SCALP, contre les objectifs terrestres. Trois nouveaux programmes sont décidés. Ils sont très importants, car ils vont dans le sens de l’européanisation des programmes, les trois pays, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie, en étant partenaires. Le même missile de croisière a été acquis en 1997, au titre de contrats globaux, par la France (le SCALP-EG) et par la Grande-Bretagne (le Storm Shadow) 2. Ces décisions traduisent la volonté des différents acteurs de privilégier la voie européenne, y compris l’harmonisation de leurs besoins opérationnels. La DGA a pu engager des contrats globaux et pluriannuels. La nouvelle société MBD a pris le risque d’anticiper les gains de productivité qui devraient découler de l’intégration des activités. En 1999, l’Italie a acquis ce missile, en particulier parce que son label était européen. C’est le programme fédérateur de MBD. Malgré la divergence sur le choix du type de frégates aériennes entre d’une part la Grande-Bretagne et d’autre part la France associée à l’Italie pour les frégates Horizon, le programme commun d’équipement de leur défense anti-aérienne, le PAAMS, a été « sauvé » en 1999. L’une des raisons a été la rationalisation possible des responsabilités des différents partenaires de la future société MBDA, permettant de réduire les coûts. Mais c’est un troisième programme qui traduit le mieux la volonté des pays européens. La Grande-Bretagne a initié, dès 1994, un programme d’air-air de nouvelle génération, le BVRAAM. Les pays européens constructeurs de l’Eurofighter et du Gripen s’y sont associés : ce sont l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la Suède. Après le lancement de l’appel d’offres international, à la fin de 1997, la France s’est ralliée, en 1999, à ce besoin pour l’armement du Rafale. Mais c’est la Grande-Bretagne qui en est le leader, avec une part de financement supérieure à celles des autres partenaires (35 % environ contre 13 % pour la France). Deux projets étaient concurrents : celui de la société MBD, associée avec des missiliers européens, qui seront pour la plupart intégrés dans MBDA, était fondé sur l’utilisation d’un statoréacteur de conception allemande ; le projet américain était un dérivé de l’AMRAAM.
2 27 missiles tirés avec succès par la RAF durant la guerre d’Irak en 2003, d’après le Livre blanc britannique.
C’est le missile européen, le Météor, qui a été choisi en mai 2000. La notification du contrat est prévue dans un délai d’un an environ 3. Ce serait à la fois le premier missile air-air commun à six pays européens, un armement commun à trois avions de combat européens, donc un choix stratégique pour l’Europe dans le domaine des missiles et aussi dans celui des avions de combat, et enfin un programme fédérateur pour MBDA.
CONCLUSION
L’industrie des missiles est devenue européenne avec le nouveau millénaire. L’industrie française des missiles aura vécu un demi-siècle environ ; le présent document retrace son histoire. La France s’est hissée, à la fin des années 1960, à la pointe de l’industrie européenne occidentale des missiles ; dans le cadre du futur marché européen, la Grande-Bretagne est devenue son égale. Souhaitons que la France garde en Europe son leadership sur la conception des missiles et sur leurs technologies. Le marché européen des missiles est en voie de création, avec des structures étatiques et industrielles efficaces et avec des programmes majeurs ; cela devrait permettre de réduire la part des armements américains acquis par les pays européens et de rester attractif pour la grande exportation.
3 En définitive, la notification eut lieu le 23 décembre 2002.
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