VÉRONIQUE ET VESTA

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1945, la France crée le Commissariat à l'Énergie Atomique CEA. La nécessité d'avoir des missiles et des lanceurs pour les bombes donne naissance au CEPA, le centre d'étude des projectiles autopropulsés chargé d'expertiser les V2 et au LRBA, Laboratoire de Recherche Balistiques et Aérodynamique installé à Vernon dans l'Eure en mai 1946, dont le colonel Jean Jacques Barré en sera le président. Les 123 ingénieurs Allemands récupérés par la France s'installe au LRBA de Vernon. Deux équipes se font, l'une chargée du guidage et du pilotage des engins et l'autre de la propulsion. Au contact des ces savants, les français commencent leur formation. Ils se voient confier la mise au point de la première fusées sondes à propergols liquide "Véronique" inspirée du V2 allemand.

Avril 1947, le Gouvernement choisit le Sahara et plus précisément le site de Colomb-Béchar, dans le but d'y construire un champ de tir de missiles de vingt-cinq kilomètres carrés, appelé B1. Le Centre d'Essais d'Engins Spéciaux (CEES) est né. Il devient le Centre Interarmées d'Expérimentation (d'Essais ?) des Engins Spéciaux (CIEES) au printemps 1948.

Le 15 mars 1949, la DEFA, direction des études et fabrication d'armement prend la décision de lancer un programme d'étude d'une fusée sonde "étude 4213", après l'abandon du projet "Super V2-4212", un engin propulsé par un moteur de 40 tonnes. Le cahier des charges est le suivant: la nouvelle fusée sonde doit avoir un calibre de 600 mm, une longueur de 6 m, une masse de 300 kg à vide, 1000 au décollage avec le plein en carburant ainsi qu'une ogive récupérable d'une centaine de kg avec un casier à expériences d'un volume de 130 litres capable d'emporter 60 kg. La fusée non guidée sera stabilisée grâce à son empennage fixe. Comme la fusée EA 1941 du colonel barré, elle devait être lancé au moyen d'une rampe de 14 m de long et assister d'accélérateurs auxiliaires d'une poussée totale de 6 tonnes, largué après 2 secondes de vol.
Ce programme a deux objectifs :
- L'étude du comportement en vol et les possibilités d'un moteur de fusée à ergols liquide;
- De permettre à des scientifiques l'étude de la haute atmosphère au-delà de 65 Km ;

VÉRONIQUE

Quelques mois après, le LRBA de Vernon commence à travailler sur le projet "4213". Il est rebaptisé Véronique pour VERnon-éléctrONIQUE ou VERnOn-acide NItriQUE ou VERnOn-service techNIQUE. Haute de 6,5 m (contre 14,5 pour le V2), elle est équipé à son sommet d'un compartiment pour les charges utiles et à sa base de 4 stabilisateurs. 

   

Maquette de Véronique au musée de Vernon (photo Pierre François Mourieux)

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Le système de propulsion de Véronique se compose de 3 éléments, le générateur de gaz, les réservoirs carburant-comburant en acier et le moteur à injection directe de 4 tonnes de poussée. La tuyère est réalisée en graphite avec des renfort en acier. Une double paroi permet le refroidissement grâce à la circulation d'un film d'acide nitrique. Une série de trou gicleurs sur la circonférence de l'injecteur permettaient l'alimentation en carburant - comburant.  Contrairement aux V2, la fusée véronique n'utilise pas de turbopompes pour amener les propergols (acide nitrique et du kérosène) dans le moteur. La pressurisation des réservoirs est obtenue par les gaz du générateur.

Véronique n'a pas de système de guidage complexe, la fusée devant être bien stabilisée lors de la phase de décollage. En dessous une vitesse de 50 m/s, la fusée subit les effets du vent qui peuvent la faire dévier de sa trajectoire et s'écraser au sol. L'idée d'une rampe à été abandonné car au vue de l'accélération de la fusée, elle aurait du mesurer près de 50 m de long. Avec l'option de boosters accélérateur, la longueur était réduite à 14 m. Une idée neuve fit son apparition soutenue par Wolfgang Pilz : Véronique sera stabilisée durant les 60 premiers mètres de sa course par un dispositif à câbles. Le principe est de maintenir correctement la direction de l'axe de la fusée par 4 câbles se déroulant d'un tambour à axe vertical unique. Du coté de la fusée, les 4 câbles doivent être fixés aux extrémités de 4 bras de guidage rigides, eux mêmes fixés sur les 4 ailerons de l'empennage par des boulons explosifs. Au sol, les câbles sont guidés par 4 poulies de renvoi à axe horizontal montés sur une croix solidaire de la table de lancement. L'inertie du tambour à axe vertical doit être calculé pour imprimer aux 4 câbles une tension égale, suffisamment forte pour soustraire ainsi la fusée aux effets du vent. Les câbles déroulés, la vitesse de 50 m/s atteinte, les boulons explosifs détachent l'empennage des bras de guidage. La table de lancement est inclinable permettant des lancements plus précis en fonction de la direction du vent.

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Entre 1950 et 1952, le LRBA travaille à la mise au point de fusées expérimentales avec un premier lot de 9 Véronique R (réduite) et 4 Véronique P (poudre). Plus courtes, 5,8 m, plus légères (1 024 kg) elles permettent de qualifier les nouveautés techniques introduites. La première Véronique R1 est lancée du camp de Suippes, à coté de Châlon en Champagne (Marne) le 31 juillet 1950. Elle s'élève de 3 m restant accrochée à son système de poulies. R2 atteint 8 m le 5 août. A Vernon, le LRBA teste de façon similaire les premières Véronique P, avec P2 lancée le 6 avril 1951. Véronique P2 a les caractéristiques d'encombrement d'une Véronique N. Son poids est rapporté à 500 Kg pour reconstituer les conditions d'accélération d'une Véronique N. Elle est propulsée grâce à un moteur à poudre facile à mettre en oeuvre. La poussée de ce moteur est deux deux tonnes pendant deux secondes. La longueur des câbles de la rampe à câble est de 45 mètres, correspondant à l'altitude atteinte à la fin de la combustion des blocs de poudre. Le concept de la rampe à câble a été validé avec la réussite de ce tir.

Suivent les lancements avec succès des R3, P5, R4 et R5 depuis Suippes. La R5 atteint 180 m d'altitude. En janvier 1952 sont lancées P6, R7, R6 et R8 depuis le polygone de tir du Cardonnet, au camp de l'Ardoise, près de Montpellier. Ces vols permettent de tester la récupération des ogives qui abriteront les équipements scientifiques.

Dimensions :
- Hauteur : 5,80 mètres
- Diamètre : 0,55 mètres
- Encombrement : 1,35 mètres au sol
Poids :
- Fusée : 360 Kg
- Oxydant : 125 Kg (Acide nitrique)
- Fuel : 35 Kg (Petrole-ANF 58)
- Système de guidage : 25 Kg
- Charge utile (avec le supplément d'eau) : 475 Kg
Masse totale au sol : 1 020 Kg
Performance : altitude maximum 2 Km
Moteur :
- Impulsion spécifique : 189 secondes
- Accélération initiale : 27 m/s2
- Poussée au niveau du sol : 4 tonnes
- Vitesse en fin de propulsion : 200 m/s
- Durée de combustion : limité à 6,5 secondes.

Fortes de ses succès, le LRBA teste les Véronique N (normale), mesurant 6,5 m de long pour 1435 kg au décollage dans les conditions réelles de vol, en Algérie sur le polygone de tir d'Hammaguir, au CEES. La méfiance des riverains ont rapidement guidé les équipes vers le désert Sahara que les accords d'Evian laisserait libre jusqu'en 1967.

 Véronique N1 décolle le 22 mai 1952 et atteint 19 km d'altitude avant de se briser suite à la rupture d'un empennage. N3 atteint elle 70 km mais les 6 autres tirs suivants en novembre sont des échecs, problème d'instabilité de combustion dans le moteur. L'injecteur est modifié (injection radiale) et renforcé. Les lancements qui suivent permettent d'atteindre 3 et 45 km d'altitude (N11 et 10). 

Véronique N mesure 7,3 m de hauteur pour 56 cm de diamètre. Elle pèse 1 435 kg au lancement avec 60 kg de charge utile.

 

Cliquer pour voir un tir à Colomb Béchar

 

Cliquer pour voir un tir à Hammaguir

Afin de gagner des altitudes plus élevées nécessaire aux expérimentations scientifiques, la fusée est rallongé, passant à 7,3 m. La masse de carburant emportée permet au moteur de fonctionner 45 secondes. Les 4 Véronique NA (normale allongé) lancées en 1954 (V15, V13, V14 et V12) permettent d'atteindre 29, 39, 135 et 140 km d'altitude. A noter que des scientifiques ont participé à des expériences civiles sur cette campagne de vol, le laboratoire de physique de l'atmosphère de la faculté de Paris La Sorbonne avec le vol V12 (propagation des ondes radio à hautes altitudes). La fusée avant d'atteindre 104 km dévie de sa trajectoire, l'ogive ne sera récupérée qu'un an plus tard !

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Malgré les améliorations apportées, dès cette époque, les scientifiques considèrent les performances de la Véronique NA comme étant insuffisantes. Dans le cadre de la préparation de l'Année Géophysique Internationale de 1957-1958 et notamment l'activité solaire est importante prévue entre juin 1957 et décembre 1958, des démarches sont faites pour utiliser la fusée Véronique pour des expériences scientifiques sur la haute atmosphère. Une commande de 15 fusées Véronique est passée au LRBA. Malheureusement pour des raisons budgétaires le programme fusée de l'AGI est rapidement annulé, avec pour conséquence l'arrêt de la fabrication des fusées. Entre 1954 et 1959, il n'y a donc pas de lancements de Véronique par manque de fonds. En 1958, pour l'année internationale de géophysique les Français ne participent pas aux lancements.

En 1958, des fonts sont obtenus pour développer une version plus puissante de Véronique capable d'atteindre 200 km d'altitude avec un temps de combustion de 49 secondes et une charge de 60 kg. Baptisées AGI, ces Véronique possèdent des réservoirs plus légers en acier PM35 et un nouvel injecteur en alliage léger et une chambre de combustion à simple paroi. Le col de la tuyère est recouvert d'un ciment réfractaire assurant une bonne isolation thermique. L'essence de térébenthine remplace le kérosène assurant une ips supérieure de 5% et réduisant les instabilités de combustion. La charge utile est logée dans une coiffe de 130 dm3, séparée par boulons explosifs et fusées et récupérée par parachute. Enfin les stabilisateurs sont légèrement allongés avec de petits radômes permettant de loger les antennes. D'une masse de 1300 kg, elle embraque 977 kg de propergols. 

A partir de janvier 1959 le Comité des Recherches Spatiales confirme l'utilisation de la fusée Véronique comme vecteur d'expériences, mais la nouvelle version Véronique AGI ne pourra être expérimentée en vol qu'à partir du premier trimestre de l'année 1959 pour la campagne de mars. La première Véronique AGI V18 transporte 60 kg à 210 km d'altitude le 7 mars 1959. L'expérience avait pour but l'étude des couches ionisées de l'atmosphère grâce à l'éjection de sodium, mais à 37 km d'altitude, la fusée est perdue. Le 10 mars, l'expérience est un succès V17, le nuage est observé à 127 km. V16 permet d'atteindre 180 km d'altitude le 12 mars.

Une seconde campagne d'éjection de sodium est lancée en 1960 avec 3 tirs V23, V22 et 21. Les autres suivent à raison d'une à deux par an jusqu'en 1969, soit 22 campagnes (V18 à 61). Les deux derniers tirs sont réalisés depuis la nouvelles base de lancement de Guyane en avril 1968 et février 1969. Au total, 48 Véronique AGI sont lancés entre le 7 mars 1959 et le 20 février 1969 avec un total de 10 échecs. V25 emportait une charge explosive de 65 kg de TNT mise à feu à 152 km d'altitude pour étudier la propagation du son dans l'atmosphère. V24 lança le rat Hector dans une capsule pressurisée à 109 km d'altitude avant d'être récupéré sain et sauf. La chatte Filicette revint sain et sauf après un vol à 155 km V47.

   

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Véronique AGI

Longueur : 7,3 m
Diamètre : 0,55 m
Masse à vide : 288 kg
Masse au lancement : 1342 kg
poussée au sol : 40 000 kN (40 tonnes)
Temps de combustion : 45 s
Charges utiles : 60 kg à 200 km d'altitude

Le Comité des Recherches Spatiales passe de nouvelles commandes et fait étudier par le LRBA dès 1961 une nouvelle version plus performante Véronique 61, haute de 9,5 m, avec un réservoir allongé réalisé en acier léger, un nouveau moteur de 6 tonnes de poussée, capable de transporter 60 kg à 315 km d'altitude. La première Véronique 61 est lancé d'Hammaguir le 8 Juin 1964. Deux suivent les 13 juin et 27 mai 1965.

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Trois fusées sont lancées par le Centre national d'études spatiales (CNES) en juin 1964.

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Une version modifié la remplace. Véronique 61M mesure 11,72 m de long, le temps de fonctionnement est de 55 secondes et l'altitude atteinte de 325 km avec 100 kg de charge. Pas moins de 12 campagnes sont réalisées entre mars 1966 (V80) et avril 1973 (V95). La dernière Véronique à quitter le sol d'Hammaguir vole le 4 avril 1967 (Véronique 61M/88). A partir de 1968, elles sont lancés depuis Kourou. A cette époque, c'est l'atelier de construction de Tarbes et la SEP (crée en 1971) qui fabrique les Véronique. 

Une dernière Véronique 61M est lancé de Kourou le 31 mai 1975. Ce dernier lancement marque la fin des fusées sonde à propergols liquide en France.

Véronique 61 M

Longueur : 9,26 m
Diamètre : 0,55 m
Masse à vide : 321 kg
masse au lancement : 1932 kg
Poussée  53 kN
Durée de fonctionnement : 55 s
Charges utiles : 170 kg à 250 km d'altitude

 

A bord des Véroniques, ont pris place de nombreuses série d'expériences ayant pour cadre la biologie, la technologie, les nuages Alcalin, la géodésie et l'astronomie.
Ainsi le premier "astronaute" français ne fut pas Jean Loup Chrétien mais un dénommé
Hector, un rat qui parti pour l'espace le 22 février 1961 sur Véronique AGI24. Le 15 octobre, un autre rat Castor embarque sur Véronique AGI37 mais le retour est mortel, la capsule atterrissant à l'envers et Castor se brise la tête. Pollux lui succède le 18 mais la capsule ne sera jamais localisée et Pollux jamais retrouvé. En 1963, Felicette, une chatte monte dans Véronique AGI47 et est récupère saine et sauve. Un autre chat est lancé sur AGI50 mais une mauvaise trajectoire de la fusée fera qu'on ne retrouvera la capsule que deux jours après avec son passager malheureusement mort. 
Avec les tirs des véroniques 61 de novembre 1966 et février 1967 sont testé des nouveaux systèmes de récupération. Ces lancements réalisés d'Hammaguir servent de "répétition" pour les futurs lancements qui auront lieu en 1968 de la base de Kourou en Guyane Française. En effet suite aux accord d'Evian de 1967, la base du Sahara doit être rendue en fin d'année. Le Cnes a en construction depuis 1964 cette nouvelle base près de l'équateur pour lancer les fusées Diamant de la SEREB. La première Véronique lancée de Kourou est aussi la première fusée lancée de Kourou le 9 avril 1968 AGI62.
7 Véronique AGI sont lancés entre 1959 et 60 pour d'injecter dans la haute atmosphère un nuage de Sodium afin d'étudier les interactions des atomes avec le rayonnement solaire. Chaque expérience de ce type nécessitait deux fusées. Par la suite, ce seront les centaure qui réaliseront ces expériences dans les années 1970.

Parmi les expériences lancées depuis l'Algérie, la création d'une onde de choc dans la haute atmosphère grâce à une charge explosive de 100 kg en juillet 1961. Lors des dernières vérifications au crépuscule un technicien constate que Véronique fuit : de l'acide chlorhydrique coule... Devant l'impossibilité de lancer ou d'envoyer des gens sur place, il fallu l'abattre !!
Un des allemands de l'équipe expliqua qu'à Pennemude lors des tirs des V2, on tirait sur la fusée à la mitrailleuse. Des soldats "Dragons" furent mis en position et tirèrent la peur au ventre mais ratèrent la fusée. C'est un homme seul armé d'un MAS 36 qui réussit à "tuer" la fusée. Les ergols ont coulé et la fusée à brûlé sans exploser. Puis elle s'est cassé en deux en tombant, le cône d'explosif roulant sans être atteint. La charge fut désamorcée le lendemain.

Quoique précise, les premières Véronique allait un peu où elle voulait. Toujours en 1961, une Véronique lancée d'Hammaguir partit en direction du Maroc. Craignant l'incident diplomatique, les techniciens la firent exploser avant de passer la frontière. 

23 février 1963, Véronique AGI 23 est prête au lancement. Le moteur est mis à feu mais les boulons explosif qui la retiennent au sol sur la table n'explose pas. Pendant 40 s, le moteur fonctionne à pleine poussée commençant à fondre le métal de ses attaches. Libérée, Véronique part à l'horizontale au dessus des techniciens. Elle ne s'écrasera qu'après 10 secondes de vol et quelques kilomètres parcourus.  

Le dernier lancement de Véronique en 1975 emporte l'expérience FAUST Fusées Astronomiques pour l'Étude de l'Ultraviolet Stellaire mais elle n'est qu'un succès relatif suite à des problèmes d'équipement de bord. Un  second tir est programmé mais annulé suite à une fuite de propergol.

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VESTA

Après la fin de la seconde guerre mondiale, le LRBA de Vernon était en majorité composé d'ingénieurs allemand, les français ne représentant qu'une petite minorité. A partir de 1951, le nombre de techniciens et ingénieurs allemands diminua régulièrement et seul resta un petit noyau d'origine. L'abandon du projet Super V2 4212 y était pour beaucoup. De nombreuses personnes partirent pour retourner en Allemagne, qui se relevait économiquement. D'autres partirent au Caire en Égypte où ils aidèrent à la construction d'un missile pour l'armée de Nasser qui ressemblait étrangement au Véronique. Cette "ressemblance" allait renforcer les mesures de sécurité à Vernon et le contrôle des ingénieurs travaillant sur site. Le développement de ces missiles inquiéta aussi Israël qui tenta en plusieurs occasions de faire assassiner ces ingénieurs. 

Les équipes du LRBA de Vernon se penchèrent rapidement sur des engins beaucoup plus puissant que les modestes Véronique. Son dernier projet en tant que maître d'oeuvre fut la fusée sonde Vesta. Baptisée Super Véronique, ces fusées utilisaient des moteurs délivrant des poussées de 4, 8, 12, 16 et 25 tonnes. Les performances atteintes avec ces engins permettaient d'amener 100 kg à 350 km d'altitude pour le modèle le moins puissant jusqu'à 100 kg à 600 km pour le plus puissant Véronique 25 6NG (moteur de 285 tonnes de poussée). Une version "guidée" permettait d'envoyer 200 kg à 350 km. Malheureusement aucune Super Véronique ne volera, l'étude de 4 moteurs différents s'étant avérée trop longue et coûteuse.   

En 1962, le jeune CNES demande au LRBA de développer une version de 10 m de long pour 10 cm de diamètre dotée d'un moteur de 16 tonnes, Vesta. La fusée est capable de transporter 500 kg à 400 km d'altitude ou 1000 kg à 200 km. La première Vesta décolle d'Hammaguir le 15 octobre 1965 et atteint 187 km d'altitude.

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La carrière de Vesta est courte. Seulement 4 autres fusées sont lancés au lieu des 10 commandées par le CNES. Vesta 3 est lancé le 25 octobre 1965 et n'atteint que 107 km d'altitude. 

Deux Vesta sont attribuées au CERMA (Centre d’Études et de Recherches de Médecine Aéronautique) pour la campagne de tir de mars 1967 à Hammaguir. Deux macaques nemestrina équipés de façon chronique d'électrodes pour l'enregistrement de 6 voies corticales, d'une voie hyppocampique et de 3 voies d'électromyographie, préalablement conditionnés à un signal lumineux, filmés par une caméra embarquée, sont envoyés dans l'espace. Le premier tir (Vesta 4) a lieu le 7 mars avec la guenon Martine. Au décollage, la Vesta s'incline un peu trop et prend la direction du Maroc. Refusant de la détruire, les ingénieurs coupent simplement l'alimentation du moteur laissant la fusée terminée sa vol culminant à 234 km d'altitude avant que l'ogive pressurisée soit récupérée. Les enregistrements sont excellents et l'animal récupéré en bonne santé. 

Moteur et générateur de gaz de Vesta

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Le vol du macaque Martine, a eu pour but de tester sa possibilité d’exécuter une tâche motrice précise lors de cette phase. La guenon avait été longuement dressée au sol, à appuyer sur le bouton central d’un groupe de 5 sur une plaque placée en face d’elle, pour obtenir comme récompense une dose de jus de fruits dans la bouche à chaque appui correct, les boutons périphériques étant sans effet. Pendant le vol une caméra située devant l’animal filmait son visage tandis qu’une autre enregistrait les mouvements de sa main sur la plaque à boutons. D’autre part l’EEG, superficiel et profond, était enregistré de façon continue.

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Le singe, vêtu d’une petite tunique, était assis dans un siège auquel la tunique était fixée afin que l’animal ne flotte pas pendant la période d’apesanteur. On a constaté un intéressant phénomène : lors de la phase ascendante du vol, l’animal exécutait sa tâche sans paraître le moins du monde affecté, son EEG étant normal. Au contraire, dès qu’était atteinte la période d’apesanteur, l’animal, immobile, cessait complètement d’exécuter sa tâche : on n’a pas observé d’erreurs, tel par exemple qu’un appui sur un bouton périphérique au lieu du bouton central. Comme chez les rats et les chats, l’EEG, au lieu de montrer un tracé fait d’ondes rapides et peu amples, était très riche en grandes ondes rythmiques lentes (4-6 par seconde) qui, au sol, on l’a montré, signent un état d’inattention. Simultanément le faciès de Martine, paupières mi-closes, a pris une expression anormale, de malaise ou d’hébétude. Il est remarquable qu’aussitôt terminée la phase d’apesanteur, le singe ait récupéré un faciès normal, que son EEG ait lui aussi retrouvé sa normalité et que simultanément, il se soit remis à sa tâche comme au début du vol.

Après l’atterrissage, les opérateurs ont ouvert la tête de la fusée et trouvé Martine en train d’appuyer calmement sur le bon bouton pour obtenir sa récompense. Que s’est-il passé pendant la période d’apesanteur ?
Les ondes rythmiques lentes s’observent lorsque le sujet devient incapable de fixer son attention sur son environnement, soit qu’il s’assoupisse, soit qu’il tombe dans un état d’hébétude. Toutefois on s’est demandé, devant l’expression du faciès, si l’animal n'avait pas été pris de nausées, qui surviennent fréquemment, on le sait maintenant, chez l’Homme dans l’espace.

Le second tir Vesta 5, le 13 mars suivant avec Pierrette est parfait à tout point de vue : absence de pesanteur pendant 6 minutes et 31 secondes, enregistrements de très bonne qualité, animal récupéré vivant. Avec la fermeture du site d'Hammaguir en juillet 1967, ce fut la dernière expérience de biologie spatiale où la maîtrise d'oeuvre aussi bien dans le domaine des lanceurs que dans le domaine biologique restait strictement nationale.

Le dernier tir d'une Vesta a lieu depuis Kourou en Guyane le 8 novembre 1969. La fusée atteint 204 km d'altitude. Son ogive contenant les appareils de mesures installées par le CNES et l'ONERA retombe en mer mais ne peut être récupérer.

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Vesta

Longueur : 9,94 m
Diamètre : 1 m
Masse à vide : 715 kg
Masse au lancement : 5 017 kg
Poussée au sol : 141 kN
Durée de fonctionnement : 57 s
Charges utiles : 850 kg à 250 km

 

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