EA-1941,
la première fusée à ergol liquide française.
Le 15 novembre 1941, le
colonel Barré procède, au camp du Larzac, à un essai
statique au banc d'une fusée sol-air alimentée en ergol.
C'est un succès mais l'engin explose après quarante-deux
secondes de combustion. Au départ il était prévu que la
durée de l'essai serait de dix-huit secondes. La
première fusée à liquide française prend le nom de
EA-1941.
Mars 1945, après maints
incidents lors d'essais au sol, le premier tir de la fusée EA 1941 a lieu le
quinze mars 1945. La fusée EA 1941 a été conçu pour
emporter une charge tile de 25 kilogrammes à 100
kilomètres. Elle fonctionne à l'oxygène liquide, son
moteur a une poussée voisine d'une tonne. La
Marine a fait un effort considérable pour jalonner la
ligne de tir : deux hydravions, deux destroyers
d'escorte et huit chasseurs et vedettes. L'engin
franchit rapidement la rampe, mais il se met rapidement
à "précessionner" et explose après cinq secondes de
course. Une vedette de la Marine recueille plusieurs
fragments qui flottent, dont la bouteille d'azote. La
cause de l'explosion ne fut jamais bien établie. Elle
peut être attribuée à la précession, cette dernière
ayant pu être provoquée par la perte possible d'un
aileron de l'empennage.
Deux engins EA 1941
doivent être tirés le 16 mars 1945, mais un seul est mis
à feu. Pour une cause indéterminée, la télévalve ne
s'ouvre pas et la combustion a lieu sans pression.
L'engin, reste au bas de la rampe. Il explose au bout
d'une dizaine de secondes, rendant la glissière
inutilisable pour le tir du deuxième engin.

La fusée
Éole
Août 1945, un marché est
passé avec la société Société pour l'Application
Générale de l'Electricité et de la Mécanique (SAGEM)
pour réaliser un prototype d'un engin plus puissant que
la fusée EA-1941 qui doit pouvoir transporter une charge
de 300 kilogrammes à une distance de l'ordre de 500 à
1000 kilomètres. Cet engin d'abord appelé EA 1946 prend
rapidement le nom d'Éole (Engin fonctionnant à l'Oxygène
Liquide et à l'Ether de pétrole). Éole est en fait une
réplique à échelle accrue de EA-1941.
Octobre 1946, début de la
réalisation de l'EA-1946-A. La tuyère de ce nouvel engin
doit être refroidie par circulation entre ses parois,
d'éther de pétrole refroidi lui-même à une température
voisine de celle de l'oxygène liquide; l'alimentation du
moteur en ergols étant réalisée en pressurisant les
réservoirs à l'azote; Comme la fusée EA-1941; 1946-A est
une fusée non guidée.
Février 1949, premier
essai au banc de la fusée EA 1946 A au Laboratoire de
Recherches Balistiques et Aérodynamiques (LRBA) de
Vernon, qui participe aussi à l'étude. Cet essai dure
13,5 secondes au lieu des 18 secondes prévues, le moteur
s'arrêtant par manque d'oxygène. C'est malgré tout un
succès.
Janvier 1950, le second
au banc de la fusée EA 1946 A n'est pas aussi
satisfaisant. Après vingt secondes de combustion
normale, trois petites détonations suivies d'une
combustion pulsatoire apparaissent et à la
trente-quatrièmes secondes une détonation violente se
produit. Une lueur intense éclaire le paysage. Elle est
même visible à quarante kilomètres de Vernon. L'engin
est complètement détruit et le banc d'essai gravement
endommagé. L'explosion a aussi fait trois blessés
légers. Après analyse, on s'aperçoit que l'origine de
l'explosion, comme celle d'ailleurs des deux EA-1941
essayés en 1945, était due à l'hypergolicité de
l'essence et de l'oxygène liquide. Il est alors décidé
d'abandonner l'éther de pétrole au profit de l'alcool
éthylique plus ou moins hydraté qui a donné satisfaction
avec le V2 et de procéder à diverses autres
modifications.
Décembre, une seconde
version d'EA 1946 est réalisée au cours de l'année 1950.
Elle prend le nom d'Eole 1951 (Engin utilisant Oxygène
Liquide et alcool Éthylique). Un premier essai à feu du
moteur est réalisé. C'est un échec, pas de mise à feu du
moteur.
décembre, second essai
au banc du moteur de la fusée Eole 1951. C'est un échec,
mise à feu mais pas de poussée développée par le
moteur.
Février 1952, troisième
essai au banc du moteur de la fusée Éole 1951. C'est un
succès, le moteur développant une poussée de 2,3 à 2,5
tonnes. La vitesse d'éjection des gaz est de 542 mètres
par seconde.
Mars, quatrième essai au
banc du moteur de la fusée Éole 1951. C'est un succès,
le moteur développant une poussée de 3,5 à 4,3 tonnes.
La vitesse d'éjection des gaz est de quatre cent quatre
vingt deux mètres par seconde.
Avril, cinquième essai au
banc du moteur de la fusée Éole 1951. C'est un succès,
le moteur développant une poussée de 4,2 à 5,9 tonnes.
La vitesse d'éjection des gaz est comprise entre cinq
cents et sept cents mètres par seconde.
Mai, sixième essai au
banc du moteur de la fusée Éole 1951. Le moteur explose.
C'est un échec.
Septembre, septième essai
au banc du moteur de la fusée Éole 1951. C'est un
succès, le moteur développant une poussée de 8,7 à 9,59
tonnes. La vitesse d'éjection des gaz est de 2110 mètres
par seconde.
Mars 1952, essais au banc
PF1 d'une fusée Éole 1952 N°1 complète. C'est un échec
car le moteur ne développe pas de poussée.
Avril, essais au banc PF1
d'une fusée Éole 1952 N°2 complète. C'est un succès, le
moteur développant une poussée de 7,4 tonnes. La vitesse
d'éjection des gaz est de 2110 mètres par seconde.
Octobre, essais au banc
PF1 d'une fusée Éole 1952 complète. C'est un échec arrêt
du moteur après sept secondes de fonctionnement suite à
la fusion du fond de la chambre.
Pendant les années 1951
et 1952, alors que les essais au point fixe du moteur de
la fusée Eole se déroulent sur le banc du Laboratoire de
Recherches Balistiques et Aérodynamiques (LRBA), on
prépare les essais en vol de la fusée Eole 1952. Ces
essais devront avoir lieu à Hammaguir au Sahara, tout
nouveau champ de tir d'où commencent à être lancées les
fusées-sondes Véronique. La fusée Eole n'étant pas
guidée elle doit être lancée à partir d'une rampe dont
la longueur est raisonnablement fixée à vingt et un
mètres mais qui reste insuffisante. En effet, avec une
vitesse en fin de rampe de vingt-cinq mètres par
seconde, l'engin reste très sensible à une éventuelle
rafale de vent. Il est donc envisagé d'augmenter la
vitesse de l'engin à cinquante mètres par seconde au
moyen d'un propulseur auxiliaire à poudre.

Octobre 1952, le matériel
nécessaire aux essais en vol de la fusée Éole 1952 est
transporté à Hammaguir. Alors que les essais en vol de
la fusée Éole 1952 vont commencer, le propulseur
auxiliaire à poudre permettant d'augmenter la vitesse de
la fusée Eole 1952 en fin de rampe, n'a pas encore été
réalisé. Il est décidé d'effectuer les premiers
lancements d'Eole sans ce dernier mais avec des engins
allégés de capacité égale aux deux cinquièmes de leur
capacité normale, c'est-à-dire avec une masse d'ergols
semblable à celle utilisée lors des essais au banc.
Incontestablement ce fut la mise en oeuvre de l'oxygène
liquide qui causa le plus de problèmes lors des
lancements de la fusée Éole 1952 comme le relata
Jean-Jacques Barré lui-même. "Un groupe de production
d'oxygène liquide provenant de la station d'essai
d'Oberraderach en Bavière, avait été remonté à Bidon II,
près de Çolomb-Béchar. L'usine, reliée par un épi au
Méditerranée-Niger, disposait de deux wagons-citernes
allemands de 32000 litres provenant également
d'Oberraderach.
La consigne était de remplir un wagon et
de l'envoyer à Abadla, terminus provisoire du
Méditerranée-Niger. Arrivé là, le liquide devait être
transvasé dans la citerne routière de 3000 litres
normalement utilisée à Vernon. Il restait à parcourir
une quarantaine de kilomètres de piste en tôle ondulée
pour atteindre la base de lancement. Malheureusement,
cette citerne qui avait donné toute satisfaction sur les
routes de France était de construction légère, la
citerne proprement dite étant constituée par d'anciens
réservoirs de V2 dans lesquels on avait riveté des
cloisons de tranquilisation. Pour comble de malchance,
un sous-ordre prit l'initiative désastreuse de charger
la citerne routière à Bidon II et de l'expédier
directement par piste à Hammaguir, soit sur quelque cent
vingt kilomètres de tôle ondulée. A trente-cinq
kilomètres de l'usine, le convoyeur s'aperçut d'une
fuite importante et il fit vidanger la citerne sur place
puis lui fit gagner Hammaguir pour examen et réparation
; il eut certainement été plus expédient de la ramener à
l'usine, à proximité des moyens importants du Centre
Interarmées d'Expérimentation des Engins Spéciaux
(CIEES).
Quoiqu'il en soit, il fallut attendre deux
jours pour que le reliquat de la citerne s'évapore, le
siphon de vidange n'atteignant pas le point bas de la
citerne. Durant ce temps, l'on s'apercevait que le
wagon-citerne parvenu enfin à Abadla était mal
calorifugé et devait être envoyé à Bidon II pour
rechargement; sur les entre faits, le transformateur de
l'usine grillait; il était heureusement très vite remis
en état. Par ailleurs, l'ingénieur militaire principal
Corbeau prenait l'heureuse initiative de faire
transformer deux citernes d'acide nitrique en acier
inoxydable en citernes pour oxygène liquide.
Simultanément, la citerne de Vernon était remise en état
par retrait de la cloison de tranquilisation et
obturation des trous de rivet, tandis que le colonel
Michaud, Commandant du Centre Interarmées
d'Expérimentation des Engins Spéciaux se proposait
d'acheminer par avion l'une des citernes transformées
par Corbeau. Deux jours après, enfin, le transvasement
s'effectuait à Abadla dans la citerne de Vernon réparée,
qui, après une menace de crue du Guir, put regagner,
sans incident cette fois, son poste de remplissage.".
22 novembre, à 11h30,
l'ordre de remplissage de la fusée Éole 1952 vient
d'être donné, un affreux craquement se fait entendre et
la citerne s'entoure de vapeur. L'ingénieur responsable
de l'étude comprend de suite qu'il s'agit d'un incident
analogue à celui qui s'était produit précédemment au
cours d'un essai à Vernon : rupture du coude supérieur
du siphon. Effectivement, la réparation faite à l'époque
vient de céder.
Après modification et réparation, le plein peut être
effectué et l'engin prend son essor à 16h30 ; sept
secondes plus tard, l'on aperçoit une pluie de débris et
l'engin désemparé, sans queue ni tête, tombe, tournant
comme un bâton, à deux kilomètres de la rampe où son
résidu d'alcool continue à brûler durant une bonne
partie de la nuit. La tuyère ne porte aucune trace de
cloquage et son poli se discerne encore à travers les
flammes. Les débris déchiquetés de l'empennage jalonnent
la ligne de tir. Cette détérioration de l'empennage
peut-être attribué à la chaleur dégagée par les traceurs
qui avaient été fixés en bout d'ailes afin d'apprécier
le roulis de l'engin et de permettre de suivre ce
dernier après la fin de combustion. Il est décidé de
tirer le deuxième engin sans traceur.
Le second tir de la fusée
Éole 1952 a lieu le 24. Cet engin ne comporte ni
télémesure, ni appareil de la Société Française
d'Équipement pour la Navigation Aérienne (SFENA), ni
ogive largable mais est muni d'un enregistreur de la
Société de Fabrication d'Instruments de Mesure (SFIM).
Les pleins s'effectuent sans incident. A la mise à feu,
l'engin hésite à démarrer. La combustion irrégulière
manifeste un manque de pression. En fin de rampe la
fusée est larguée à la très faible vitesse de dix-huit
mètres par seconde. Lors du tir précédent elle avait
atteint 30,5 mètres par seconde, valeur elle-même
inférieure à ce qui a été prévu, à savoir quarante-six
mètres par seconde. Redressé par une rafale opportune,
l'engin poursuit son trajet cahin-caha et perd à son
tour son empennage vingt-cinq secondes après la mise à
feu. Après avoir atteint une altitude de 2950 mètres, il
tombe à 4000 mètres de la rampe.
Au dépouillement des films des cinéthéodolites, on
s'aperçoit que les deux engins ont perdu leur empennage
à des vitesses très voisines : 335 et 315 mètres par
seconde ; les responsables ne sont donc pas les traceurs
mais... le mur du son.
Décembre, les deux échecs
successifs survenant après les péripéties de la citerne
à oxygène liquide causent une impression très
défavorable aux assistants qui, pour la plupart,
ignorent sans doute que les deux premiers lancements
réussis du V2 avaient été suivis de treize échecs
successifs. Quoi qu'il en soit, le premier décembre 1952
l'étude de la fusée Éole est suspendue "sine die". À
cette date s'arrêtent les expérimentations concernant
les fusées de Jean-Jacques Barré. A cette époque aucun
programme de missile balistique n'est à l'étude. Seuls,
les missiles tactiques et en particulier les systèmes
sol-air sont l'objet de multiples recherches mais
l'utilisation de l'oxygène liquide est incompatible avec
la souplesse d'emploi et la capacité de départ rapide
requis par ces systèmes.
Par ailleurs, une autre
voie plus satisfaisante de ce point de vue, celle de
l'acide nitrique, est prise par les équipes du
Laboratoire de Recherches Balistiques et Aérodynamiques
(LRBA) depuis quelques mois avec la fusée-sonde
Véronique et aussi par la Société pour l'Étude de la
Propulsion par Réaction (SEPR). Si, pour l'heure,
l'arrêt des études françaises concernant l'oxygène
liquide est très décevant pour Jean-Jacques Barré et le
laissa quelque peu amer, l'avenir ne devait pas tarder à
lui donner raison. Au début des années 1960, les études
françaises sur la propulsion à oxygène liquide seront
reprises pour un lanceur Diamant amélioré et conduiront
directement à la réalisation du troisième étage du
lanceur européen Ariane. Les idées d'Esnault-Pelterie et
de Jean-Jacques Barré ont donc été particulièrement
pertinentes.
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