LES INSTALLATION DE LANCEMENT 

 

 

Créé à Colomb-Béchar le 24 avril 1947, le Centre d'Essais d'Engins Spéciaux (CEES) devient inter - armées - Terre et Air - en 1948. C'est un polygone depuis lequel pourraient être lancés des engins spéciaux, qu'ils soient du type Sol-Air, Air-Sol, Sol-Sol, Air-Air, etc., et effectuées du sol, les mesures indispensables à la mise au point de ces engins.

La présence d'une petite oasis et d'une base aérienne rendaient possible la vie du personnel. Une bonne piste et deux voies ferrées, dont une à écartement normal, reliaient le Centre à la Côte (700 km au nord). L'intérêt d'un tel choix ne s'arrêtait pas là sans être absolument parfaites, les conditions atmosphériques étaient en général favorables pour les tirs, l'ensoleillement et le ciel d'une pureté rare permettant l'emploi de dispositifs optiques 250 jours sur 365.

Une extension possible était alors envisagée vers un plateau se trouvant à une centaine de kilomètres vers le sud-ouest de Béchar. En 1949, les premiers engins étaient lancés d'un petit champ de tir " B-1 ". On y tirait des engins de courte portée sa profondeur était l'imitée par le relief, la présence de la frontière marocaine à l'Ouest, les agglomérations de Colomb-Béchar et Kenadza.

Rapidement, le domaine d'action des engins devenait plus vaste. L'installation du champ de tir destiné aux longues portées s'imposait. En 1951-1952 naissait B-2 Hammaguir, nom créé pour la circonstance (contraction de Hamada du Guir) situé à 120 km au sud-ouest de Colomb-Béchar, sur un plateau.

Hammaguir présentait des dégagements importants. En effet, la Hamada s'étendant sur 200 km environ vers le Sud-Ouest, on pouvait prévoir un réceptacle à cette distance au Sud-Est, d'autres réceptacles à 500, 1000, 1 500, voire même 3000 km pouvaient être envisagés. en raison de l'étendue désertique. C'est ainsi que le déploiement des appareils de mesures de B-2 fut décidé en fonction d'un axe de tir orienté vers le territoire du Tchad, et que des travaux géodésiques furent exécutés, reliant Hammaguir au réceptacle intermédiaire " 1500 km" de Djanet au cours de la campagne 1960-1961.

 

 

 

A partir de 1952 est construit le pad de tir Brigitte, affectée au programme de fusées expérimentales de la série des Pierres Précieuses, et au lanceur spatial Diamant. Situé par 30.9° Nord et 3.07° Ouest, la base permet de lancer des satellites sous une inclinaison de 34.0° au minimum et 40.0° au maximum. 

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En 1962, l'indépendance de l'Algérie provoqua un changement majeur dans les programmes de développement du champ de tir en limitant aux deux polygones d'essais de Colomb-Béchar et d'Hammaguir les dimensions définitives, réceptacle compris. Il fallut modifier l'implantation des matériels, en vue d'accomplir les missions de mesures sur des missiles lancés à la verticale et non plus tirés sur trajectoires tendues, c'est-à-dire sur longues distances. Les portées étant ainsi réduites aux dimensions du polygone lui-même, les culminations allaient être très sensiblement plus élevées.

Afin d'élargir la base de mesures, les moyens des deux champs de tir B1 et B2 durent être employés simultanément pour des mêmes tirs à la verticale d'Hammaguir, pouvant atteindre l'attitude de 2000 km. Dès lors, on pouvait parler d'un seul champ de tir "Bécbar - Hammaguir". Les constructeurs d'engins balistiques et autres missiles ne tardèrent pas à prendre conscience des possibilités que le CIEES mettait à leur disposition une base bien conditionnée, dotée d'un matériel moderne, et où leurs expériences pouvaient être menées avec un maximum de sécurité.

Le volume des essais ne tarda pas à s'accroître, tant au profit des entreprises expérimentant du matériel militaire -vocation première du Centre - qu'au profit d'organismes civils français. C'est ainsi que le CNES procède couramment à des expériences scientifiques au profit du Laboratoire d'Aéronomie et du Laboratoire de Physique de haute atmosphère. Ayant poursuivi le développement de ses équipements au même pas que celui des engins, le ClEES s'est trouvé fin prêt pour le premier lancement spatial.

 

Aux termes d'une " Convention d'Essais passée entre le général - directeur du ClEES et le constructeur, le Centre s'engage à : 
     - mettre à la disposition de l'expérimentateur un champ de tir adapté,
     - fournir un certain nombre de mesures,
     - assurer le soutien logistique nécessaire,


En contrepartie, le constructeur s'engage à tirer un engin :
     - dont les caractéristiques doivent être conformes aux impératifs de sécurité (sauvegarde),
     - dont l'équipement doit être compatible avec les appareils de mesure du champ de tir.

 

       

 

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La préparation d'un essai donne ensuite lieu à la rédaction d'un Ordre d'Exécution d'Essais Particulier, document qui détaille la chronologie et les fonctions de chaque participant, y compris le constructeur. Dans le cas d'un tir de l'importance du lancement de A-1 et de D-1A, la préparation doit être menée d'une manière intensive et parallèlement à l'exécution des autres essais. Elle aboutit à la rédaction d'un ordre d'essais volumineux, de 120 pages, qui exige une coordination étroite avec des organismes situés en métropole. Sa rédaction pose des problèmes jamais encore abordés sur le champ de tir et de leur connaissance dépend l'établissement de procédures permettant en particulier d'envisager la ré-acquisition du satellite.

La responsabilité de la rédaction de l'ordre d'essais est confiée à un officier d'essais dont la mission est de vérifier la préparation du champ de tir, d'assurer la coordination de tous les moyens du constructeur et du centre participant au tir en faisant respecter intégralement la chronologie, puis de faire un compte rendu détaillé sur tout le déroulement des opérations.

Ses connaissances sur l'engin et le champ de tir doivent être parfaites. Au moment du tir, c'est lui qui " tiendra les commandes ", tel un chef d'orchestre. Avant le premier tir " Diamant ", 6 " essais généraux " avaient été réalisés, à raison d'un par jour, ceux-ci étant en quelque sorte un examen blanc du champ de tir où chaque détail était repris aussi consciencieusement que s'il s'était agi du tir réel.

 

 

 Le grand polygone de Colomb Béchar - Hammaguir comprend une série de moyens de trajectographie que l'on peut classer en deux familles :
     - Tout d'abord des moyens optiques qui reproduisent des films le comportement de la fusée à tout instant. Des repères en sites et gisements définissent sa position on les appelle cinéthéodolites. Des caméras et ciné - télescopes ajoutent à ces moyens de trajectographie optiques des photographies d'événements ou d'attitudes de l'engin autour de son centre de gravité ; 
     - Des moyens électromagnétiques qui comprennent les radars et tes systèmes Secor et Cotar, dont le principe est fondé sur l'interférométrie.

On trouve ensuite des stations de télémesure dont le rôle - tels de gigantesques stéthoscopes - est d'ausculter en permanence le coeur  même de l'engin pendant le vol. Ces moyens sont répartis sur l'ensemble du polygone. Le célèbre radar " Aquitaine " par exemple, dont la portée atteint 3 000 km se trouve sur la crête d'une colline surplombant B-1, c'est-à-dire à 120 km environ de l'aire de lancement. Un tel recul est nécessaire pour un radar de cette portée surtout lorsqu'il s'agit de tirs verticaux.

Tous les moyens Cités sont synchronisés par 2 horloges électroniques de haute précision se recalant l'une sur l'autre. Ces horloges sont d'une précision telle qu'elles ne subiraient qu'un décalage de 1 seconde en 500 ans par rapport au temps vrai.

Cinéthéodolites, radars, antennes de télémesure, etc., vont poursuivre le satellite dans sa course jusqu'à sa disparition au-delà de l'horizon. Les renseignements obtenus seront les seuls critères du comportement de l'engin. La précision des résultats dépend principalement du matériel employé et de l'adresse des opérateurs.

Par ailleurs, il est nécessaire de connaître la trajectoire au temps réel pour une éventuelle intervention sur l'engin. C'est alors qu'intervient le calculateur d'Hammaguir, relié à tous 'les appareils du champ de tir. Il est capable, non seulement de restituer instantanément la trajectoire sous forme de courbes (sur tables traçantes), mais encore de renvoyer une indication de repointage pour le moyen qui aurait perdu l'engin, et ceci bien sûr sans intervention manuelle de la part des opérateurs.

Lors des essais généraux, la simulation du tir se fait au moyen de bandes magnétiques comportant des données Introduites dans le calculateur, et capables de concrétiser la trajectoire nominale de Diamant. Ces bandes peuvent même être " bruitées " ou " déviées " afin d'introduire des erreurs ou des défauts susceptibles de se produire dans le cas du tir réel.

 

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La véritable chronologie commence à J-O. Les émetteurs de télémesures sont vérifiées soigneusement. Ce sont eux qui fourniront tous les renseignements sur le comportement du lanceur et du satellite lors de leur aventure spatiale (les paramètres mesurés à bord et recueillis au sol se chiffrent à 180 environ). On contrôle le répondeur qui permettra d'augmenter considérablement la portée du radar ordinaire. Les éléments de la fusée arrivent en pièces détachées et prennent le chemin de la base Brigitte (base de lancement), où ils vont être assemblés étage par étage à l'aide d'un grand portique roulant.

Dans le même temps, le soutien logistique fourni par le Centre aux équipes Constructeur bat son plein. Il a déjà fallu assurer le transport depuis la Métropole de près de 300 personnes. 800 tonnes de fret aérien sont manipulées en un mais. Dans le cas du tir du premier Diamant le 26 novembre, l'interruption des relations routières dues aux crues du Guir avait, par exemple, obligé le Centre à utiliser en permanence 5 avions " Noratlas " entre Béchar et Hammaguir.

 

6 h 00 avant l'heure prévue pour le tir, on procède au remplissage de la fusée. 13 tonnes d'acide nitrique et d'essence de térébenthine sont ainsi ainsi englouties par le premier étage de l'engin - remplissage délicat et dangereux - nécessitant le déploiement d'un service de sécurité important et entraîné. Les ergols sont acheminés depuis la métropole sous la responsabilité du Centre. Le transport s'effectue par voie routière et par bateau, à l'aide de " conteneurs " spéciaux : 28 de 2 600 litres d'acide nitrique et 2 de 4 000 litres d'essence de térébenthine stockés à Hammaguir. Ils parviennent sur l'aire de lancement dans des véhicules appropriés. L'engin est vérifié une dernière fois sur sa table de lancement grâce à un ultime contrôle de tous les équipements de bord, à l'aide d'une source d'énergie extérieure. Il s'agit en effet de ménager au maximum les batteries de bord, seule source d'énergie possible au cours du vol.

 

H - 04 h 00  Toutes les sections sont à l'écoute de l'officier d'essai qui procède au contrôle ultime des liaisons internes et externes du champ de tir. Avec l'extérieur, ce sont les liaisons avec Brétigny (calculateur Hammaguir - calculateur du CNES. ; Diane/Hammaguir - PC, Diane de Brétigny), avec Villacoublay, avec 'l'escorteur " Guèpratte " enfin, qui croise dans le golfe de Gabès. Hammaguir et Béchar sont eux-mêmes reliés par un " câble hertzien " comportant 36 voies capables de fonctionner simultanément et par lequel s'opère l'échange des informations entre les équipements placés à Bêcher et à Hammaguir.

Tout est donc prêt. L'officier d'essai, depuis son pupitre, égrène les derniers instants de la chronologie en surveillant attentivement le passage au vert des différents voyants de signalisation.

 

 

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Le système de télécommande utilisé en particulier pour penser, si nécessaire l'ordre d'allumage du 3ème étage.

 

 " 7 - 6 - 5 - 4 - 3 - 2 - 1 - Feu  ". L'engin décolle 3 secondes après la mise à feu, temps nécessaire au moteur pour atteindre son plein régime de fonctionnement, projetant dans toutes les directions les panneaux de protection thermique. Les caméras ultra  rapides de rampe déroulent leurs 300 mètres de film à raison de 1 200 images à la seconde. Elles permettront de restituer le départ de la fusée avec un ralenti de 50 environ. Leur rôle, purement documentaire en cas de fonctionnement normal de l'engin, deviendrait capital an cas d'incident. Toute I'armada des appareils optiques se déclenche alors suivant les ordres de l'officier d'essai, se relayant les uns les autres en fonction de leurs possibilités ou de leurs implantation, tant que le Diamant sera visible.

Ce sont d'abord les cinéthéodolites de B.2 mieux placés pour le départ, puis ceux de B. 1. Dans le même temps ce sont les caméras d'attitude à grande vitesse de prises de vues, aux focales allant jusqu'à 2 m puis ce sera le tour des ciné télescopes " lgor " dont la focale atteint 12,50 m et dont la portée est de plusieurs centaines de km.

L'antenne Cyclope a commencé à recevoir des informations dès le départ. Toutes sont enregistrées par des procédés appropriés (enregistreurs magnétiques, graphiques, photographiques, etc.). Un bon nombre d'entre elles sont visualisées pour permettre de suivre le comportement de l'engin en temps réel.

Parallèlement la station de télémesure de lancement de Golomb - Béchar reçoit et enregistre les mêmes paramètres, afin de pallier un affaiblissement éventuel du signal reçu par Cyclope, affaiblissement qui pourrait être dû à l'ionisation provoquée par le jet de flammes. Les radars de moyenne et longue portées d'Hammaguir (LV et TLP) prennent l'engin an compte pour le donner au radar de trajectographie Aquitaine de Colomb-Béchar. Celui-ci va suivre l'engin jusqu'à as disparition au-dessous de l'horizon électromagnétique, c'est-à-dire jusqu'à une distance d'environ 3 000 km.

Le système Gotar, omnidirectionnel, se tient " prêt " à redonner " l'objectif au radar Aquitaine et à l'antenne Cyclope, au cas où l'un ou l'autre viendrait à " décrocher Toutes les informations de trajectographie électromagnétiques sont en effet envoyées au calculateur central, afin d'être redistribuées vers les autres appareils où elles arrivent calculées dans leurs référentiels propres.

Les tables traçants du poste de commandement du champ de tir (PCCCT) bourdonnent d'activité, filant à des échelles variables la trajectoire réelle de l'engin an fonction de critères soigneusement choisis.

 

 

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Le Poste de Commandement du Champ de Tir PCCT. Il contient le cerveau de toute opération de lancement, le calculateur central.

 

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Si tout se déroule normalement, la trajectoire est " nominale ", le programmeur de bord commande au moment voulu les différentes séquences. La seule intervention an vol peut être, après calcul du temps d'allumage du troisième étage, l'envoi de cet ordre. Si tout se passe comme prévu, la mise à feu du troisième étage est déclenchée par une minuterie. En cas d'une trajectoire aberrante ou d'un fonctionnement légèrement anormal de l'engin - basculement par exemple - il est possible de " sauver " la satellisation en avançant la mise à feu du troisième étage. 

 

 

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Champs de l'antenne AME Angle Mesearing Equipment qui permet de déterminer par interférométrie la direction de l'engin. les antennes positionnées à 5 mm près sont reparties suivant 2 axes orthogonaux de 150 m chaque. La portée peut atteindre 2000 km. Il y a deux stations de ce type.

 

12 mn du décollage, le satellite est maintenant sous l'horizon électromagnétique du champ de tir, la partie n'est cependant pas terminée. Les deux calculateurs d'Hammaguir et de Brétigny travaillant simultanément, calculent chacun de leur côté 20 orbites possibles, à partir des informations recueillies lors de l'injection.

Ces paramètres s'inscrivent sur une table traçante afin de permettre aux responsables d'établir leur diagnostic de satellisation et de choisir l'orbite la plus probable. Ces données, digérées par le calculateur d'Hammaguir. vont permettre d'orienter les appareils vers le premier " point de rendez-vous ", au-dessus de "horizon, lors de la prochaine apparition du satellite.

Le radar Aquitaine annonce alors " Réac" Le Centre n'a cependant pas terminé son contrat il prépare tous les documents an vue de leur exploitation. Ceux-ci passent au Bureau Calcul Contrôle qui sera chargé de les pré - exploiter et de repérer les anomalies éventuelles avant de les donner au constructeur pour une étude approfondie.

 

 

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La station de télémesure à Hammaguir. l'antenne géante Cyclope pèse 35 tonnes et mesure 27 m de hauteur.

 

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Véritable entreprise parfaitement rodée, le CIEES met ainsi an place au cours d'un essai " lourd ", 800 scientifiques et techniciens, militaires et civils, sur des équipements de pointe. 3 000 personnes les ravitaillent, les administrent, dépannent leurs moyens de travail et de vie.

Sa part de responsabilité dans les essais est normalement importante, lors du lancement du premier satellite elle fut exceptionnellement très lourde. Le Centre représente pour la France un bel exemple de coordination entre personnels officiers, ingénieurs militaires, ingénieurs, sous-officiers, personnels civils divers, hommes de troupe du contingent, tous venus d'horizon et de milieux différents, mais qui appelés à résoudre de nombreuses difficultés, se sont parfaitement intégrés, réussissant à dominer les problèmes posés et permettant ainsi, en neuf mois, lors de la dernière campagne, de réaliser plus d'un demi - millier d'essais sur le champ de tir Béchar-Hammaguir.

 

 

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Le radar de trajectographie Aquitaine capable de déterminer à 10 mètres près et

0,1 millirads près la position de la fusée. Sa portée est de 3 000 km

 

 

Le 1er juillet 1967, le CIEES est évacué et remis aux autorités algériennes, comme le prévoyaient les accords d'Evian signés en mars 1962.

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